TJ de Créteil : « Quand on vous écoute, on dirait qu’il ne s’est pas passé grand-chose. Mais il y en a partout des bleus ! »

Publié le 23/10/2023
TJ de Créteil : « Quand on vous écoute, on dirait qu’il ne s’est pas passé grand-chose. Mais il y en a partout des bleus ! »
Andrii/AdobeStock

Après une dispute, l’ex-copine de Monsieur D. a eu six jours d’ITT et des bleus sur tout le haut du corps. Lui, déjà condamné en 2021 pour violences conjugales, confirme qu’il y a eu altercation mais nie être à l’origine de ses blessures. Les juges des comparutions immédiates de Créteil vont-ils y croire ?

Monsieur D. a beau être le dernier prévenu que les juges de Créteil auditionnent en comparution immédiate en cette fin de journée, les bancs du public sont bien garnis. Une dizaine d’amis à lui sont venus le soutenir, sous l’œil attentif de policiers venus en renfort pour surveiller la salle. La bande est assise en groupe, côté gauche. À droite, deux jeunes femmes sont là en soutien à Madame Y. qui accuse le prévenu de violences conjugales.

Les faits remontent au week-end : dans la nuit du samedi au dimanche, le couple s’est retrouvé à Alfortville et Monsieur D. s’est emparé du téléphone de Madame Y. Une dispute a éclaté. Il a exigé qu’elle le suive plus loin, à l’écart des immeubles d’habitation, pour s’expliquer en la menaçant sinon de jeter ses affaires dans la Seine. Elle l’a suivi, chacun dans sa voiture, jusqu’à la gare de Créteil-Pompadour. La dispute s’est poursuivie et Madame Y. assure que le mis en cause lui a tiré les cheveux, l’a giflé, l’a étranglé et a cassé son téléphone. Elle en a eu pour six jours d’ITT (incapacité totale de travail). Dans un long enchaînement de termes abscons pour les non-initiés, le juge se lance dans la lecture du rapport rédigé par le médecin légiste. « J’adore les termes qu’ils utilisent », commente-t-il avant de lire la phrase essentielle : « Lésions somatiques compatibles avec les faits relatés. »

À la demande du président, Madame Y. se lève pour venir témoigner. Elle est vêtue tout de noir, les cheveux plaqués en une queue-de-cheval, la voix douce.

 — « Votre sœur a témoigné auprès de la police et dit qu’elle ne croit pas que ce soit la première fois. Qu’en est-il ? », demande le juge.

— Si, c’est bien la première fois.

— Pourquoi avez-vous décidé d’aller porter plainte ?

— Mon téléphone et ma voiture ont été cassés. Je suis d’abord allée le voir après la dispute pour lui demander des réparations. Il n’a pas voulu, c’est pour ça que j’ai porté plainte.

— Qu’attendez-vous de ce procès ?

— Je veux avoir réparation pour le téléphone et la voiture et ne plus avoir de contact avec lui. »

Monsieur D. confirme qu’il y a eu dispute. Il nie cependant avoir fait usage d’une telle violence physique et assure que c’est la plaignante qui a tenté de le mordre pour récupérer son téléphone.

Le juge le questionne : « Pourquoi a-t-elle des marques au cou ?

— Justement, je lui ai demandé après, quand elle est venue chez moi, elle m’a dit que c’était la ceinture.

— Pourquoi ne pas l’avoir évoqué lors de votre audition et de la confrontation ? C’est de l’or pour votre défense ça. Je ne comprends pas.

— L’OPJ demandait de répondre juste par oui ou par non.

— J’ai votre audition sous les yeux, vous avez fait bien plus que répondre juste par oui ou non… Le médecin légiste, c’est son taf et il parle de marques de strangulation et pas de marques de ceinture. Et comment vous expliquez la marque dans le dos ?

— C’est mon bracelet qui a dû frotter.

— Quand on vous écoute, on dirait qu’il ne s’est pas passé grand-chose. Mais la liste des blessures dressée par le médecin est longue. Il y en a partout des bleus ! Comment ça se fait ? »

Monsieur D. ne répond pas à la question et passe à autre chose, assurant qu’il a beaucoup appris en garde-à-vue. « Il y a des choses qui ne sont pas normales, comme le fait de fouiller dans le téléphone de sa compagne », assure-t-il, l’air sincère.

La patience du juge s’amenuise, il passe à l’examen de personnalité. Monsieur D., agent d’artiste en herbe et assistant régisseur, a quatre mentions à son casier dont une condamnation pour violences conjugales en 2021. Des stups aussi. « J’étais jeune, j’avais besoin d’argent et j’étais bête », se justifie le mis en cause de 24 ans. « On ne va pas refaire l’histoire. Tout le monde a été jeune et avait besoin de s’en sortir en matière de stups, c’est une constante, toujours la même histoire… », s’agace le président.

Une heure après le début de l’audience, le procureur, jusque-là avachi sur son siège après cette longue après-midi, sort de sa léthargie pour rappeler que le prévenu encourt dix ans de prison. Il salue « une parole de victime qui n’en rajoute pas, ne cherche pas à l’enfoncer, dit que c’est la première fois » et requiert quinze mois de prison avec maintien en détention, sans aménagement possible.

Au tour de l’avocat de Monsieur D., qui commence par s’indigner de devoir plaider à 19 h 43 un dossier qu’on avait d’abord orienté en CPVCJ – convocation par procès-verbal avec placement sous contrôle judiciaire. Le procureur l’interrompt en bondissant de son siège pour justifier cette décision par l’état de récidive légale, qui avait dans un premier temps échappé. « À ce compte-là, je peux me rasseoir », gronde l’avocat de Monsieur D. en faisant mine de retourner à son pupitre. Il reprend finalement sa plaidoirie : « Si nous avions eu un peu de temps, nous aurions pu plaider que Madame a fait usage de violence avec arme par destination quand elle a foncé avec sa voiture dans celle de Monsieur, rendant son propre véhicule inutilisable… Si nous avions eu le temps. » Il se contente donc de dire que ce dossier est celui de la pauvreté, « humaine et intellectuelle » et enjoint les juges à « [s’]élever au-dessus de ça ». Pour son client, « qui mesure la portée de ses actes », il demande une peine mixte avec du sursis probatoire.

Après les derniers mots de Monsieur D. – « Si j’ai de la prison ferme, ça me tuerait, je ne m’en remettrais jamais » –, la cour se retire pour délibérer.

Les amis du prévenu sortent, attendent dans le hall. « Casquette », grondent la greffière quand ils rentrent dans la salle pour assister au délibéré. L’un d’eux fait finalement demi-tour, par superstition : « Je n’ai jamais vu un gars sortir de prison, vaut mieux que j’attende dehors », chuchote-t-il à ses copains un peu avant l’entrée des juges. Il a sans doute bien fait. A 20 h 30, le président déclare Monsieur D. coupable des faits qui lui sont reprochés et le condamne à 18 mois de prison dont 10 mois avec sursis probatoire et 8 mois fermes, sous bracelet électronique.

Un air de joie se répand dans la salle et sur le visage du prévenu qui échappe à l’enferment en geôle. « Continuez à m’écouter au lieu de sourire aux autres », réprimande le juge. Monsieur D. écope également d’une obligation de soins, d’une interdiction de contact avec la victime ou de paraître à son domicile et d’indemnités à lui verser (3 350 euros au total).

Comme il se doit, le juge pose à Monsieur D. quelques questions sur le maintien en détention pour la petite semaine qui le sépare de sa visite chez le juge d’application des peines :

« — Il n’y a pas de risque d’évasion ?

— Non.

— Pas de stups ?

— Non.

— Vous êtes sûr ? Pas de risque de faire une crise de manque ?

— Sûr.

— Est-ce que vous risquez d’attenter à votre intégrité physique en attendant de voir le JAP ?

— Cinq jours, je pense que je vais tenir, rétorque Monsieur D. avec un grand sourire.

— Ça peut être un peu plus, prévient le président.

— Si c’est plus, je ne suis pas sûr d’y arriver. »

Tout le monde rigole, sauf les magistrats. « C’est sérieux, 8 mois de prison ferme, c’est beaucoup ! », gronde le juge. Pas de quoi ternir le soulagement du prévenu et de ses amis.

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