TJ de Créteil : Qu’est-ce qui pousse un homme de presque 50 ans à se livrer au transport d’1,5 kg de cocaïne ?
Pour les juges de comparution immédiate du TJ de Créteil, les faits jugés sont assez banals : transport de cocaïne par ingestion, de Fort-de-France vers l’aéroport d’Orly. Mais le profil du prévenu a quelque chose d’atypique : c’est un homme d’une cinquantaine d’années, travaillant en Angleterre dans l’aide à la personne.
Cette après-midi (et soirée) de comparutions immédiates devant la 12e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Créteil ne fait pas exception à la règle : il y est au moins une fois question d’importation de cocaïne vers l’Hexagone. Cette fois-ci, par l’intermédiaire de Monsieur G., qui a avalé 85 ovules, soit près d’un kilo et demi de drogue.
Les faits sont simples et reconnus par le prévenu vivant en Angleterre : il a été contacté par quelqu’un qui lui a proposé 3 000 euros et un voyage en Martinique en échange du transport de cocaïne. Empêtré dans une situation financière tendue, Monsieur G. a accepté. Il fait le voyage, « joue au touriste » à Fort-de-France avant d’ingérer les ovules de cocaïne et de monter dans l’avion. Arrivé à Orly, il est contrôlé par le service des douanes et passe trois jours à la prison de la Santé pour évacuer les ovules remplis de drogue en sécurité.
« — Qu’est-ce qui pousse un homme de votre âge, presque 50 ans, et dont le métier est tourné vers les autres, puisque vous travaillez dans l’aide à la personne, à se livrer à ces faits-là ?, interroge le juge.
— Tout d’abord, je tiens à dire que je suis désolé, répond Monsieur G. par la voix de son interprète. Je suis en pleine crise financière. J’ai un emprunt de 50 000 livres à la banque et deux autres dettes de 2 000 et 1 000 livres. Je ne travaille pas à temps plein et ce que je gagne n’est pas suffisant. Ma femme gagne 1 800 livres par mois. J’ai deux garçons qui sont à l’université et on subvient à leurs besoins. J’ai deux autres enfants et ma femme ou moi devons rester à la maison pour garder la plus jeune. Ce qu’on dépense dépasse ce qu’on gagne ! »
Mains sagement plaquées dans le dos et chemise rose lavée, le prévenu se tient droit et répond avec précision aux questions du juge, n’hésitant pas à entrer dans le détail. Monsieur G., jamais jugé en France, a même l’honnêteté d’évoquer une condamnation à 30 mois de prison en Angleterre, pour des faits très similaires : le transport de 500 g de cocaïne de Lagos, grande ville du Nigeria, à Londres, en 2014. « Je suis très très désolé et je vous promets que ça n’arrivera plus », assure le prévenu avant de s’asseoir pour écouter les réquisitions.
La procureure constate que les faits sont simples et reconnus, précisant quand même qu’il est « toujours difficile de nier quand autant de cocaïne a été ingérée ». Devant cette juridiction habituée à ces dossiers-là, elle rappelle que cette drogue est chère et nocive, « en premier lieu pour celui qui l’avale. Ce sont eux, qu’on appelle couramment les « mules » qui prennent des risques, tandis que les commanditaires n’en prennent aucun. » S’adressant directement au prévenu, elle regrette que « quand vous êtes à peine en train d’évacuer les ovules en garde à vue, dix autres personnes sont prêtes à prendre votre place ». La magistrate requiert dix mois de prison avec mandat de dépôt pour s’assurer que Monsieur G., qui n’a aucune garantie de représentation en France, effectuera bien sa peine. En complément, elle demande une amende douanière ramenée à 5 000 euros, la confiscation des scellés et une interdiction de paraître à l’aéroport d’Orly.
L’avocate de Monsieur G. insiste sur sa détresse économique qui pousse à « risquer sa vie pour 3 000 euros » et rappelle la transparence dont son client a fait preuve en évoquant sa condamnation d’il y a dix ans en Angleterre. Elle demande une peine de prison ferme moindre, à laquelle pourrait s’ajouter de la prison avec sursis et une interdiction de séjour sur le territoire français pour s’assurer qu’aucune réitération ne sera possible. Concernant l’amende douanière, elle demande de la réduire de façon à ne pas alourdir les dettes de Monsieur G.
Sans surprise, il est reconnu coupable et condamné à huit mois de prison ferme, avec mandat de dépôt, assorti d’une interdiction du territoire français. L’amende douanière est fixée à 3 000 euros.
Référence : AJU014l6
