TJ de Créteil : « Votre combat, c’est de dénoncer les parents qui laissent leurs enfants nus dans l’espace public ? »
L’affaire et le prévenu ne sont pas habituels pour la 12e chambre du tribunal judiciaire de Créteil. Un retraité de 76 ans comparaît pour voyeurisme et détention d’images de mineurs à caractère pornographique. Dans un argumentaire tiré par les cheveux, Monsieur L. plaide le quiproquo et assure militer contre les parents qui exhibent leurs enfants.
Avec sa calvitie avancée et son ventre bedonnant, l’allure de Monsieur L. détonne parmi les prévenus qui se succèdent aux comparutions immédiates du tribunal de Créteil. Le président de séance, Philippe Langlois, résume les faits qui valent au septuagénaire d’être surveillé par deux policiers dans le box. « Vous êtes ici pour trois faits de voyeurisme dont un sur mineur et pour détention d’images pédopornographiques », dit le juge en parlant bien fort pour que le prévenu à l’oreille dure entende.
Monsieur L. a été arrêté au parc du Tremblay à Champigny-sur-Marne (94) trois jours plus tôt. Une témoin a raconté à la police l’avoir vu se dissimuler derrière un buisson, tenant son téléphone à bout de bras en direction d’une fête d’anniversaire qui se tenait en contrebas, l’autre main dans son short au niveau de l’entrejambe. Le téléphone pointait précisément vers un enfant de quatre ans qui avait fait ses besoins sur lui et que deux femmes étaient en train de changer. La mère de l’enfant a elle aussi vu Monsieur L. avec la caméra de son téléphone dirigé sur son fils, elle vient en témoigner à la barre. « Il nous a accusé d’être des hystériques islamistes et des anti-français. Mais vous me voyez, je suis toujours comme ça », ajoute-t-elle en montrant la robe noire à pois blancs dans laquelle elle est vêtue. « J’ai surtout demandé à ce qu’on ne s’en prenne pas à lui », continue-t-elle, calme et grave.
Aucune image du jeune enfant n’est retrouvée dans le téléphone de Monsieur L. Ce dernier assure qu’il y a méprise : il était juste en train de faire le tour du stade et se serait simplement arrêté près du buisson en tendant le bras, à la recherche de réseau. Pourtant quatre témoins ont raconté la même scène à la police. « Ils sont solidaires, c’est une grande famille », assure Monsieur L. Lors de son audition en garde à vue, il l’avait formulé de manière moins élégante, parlant d’une « smala de HLM ».
Après son arrestation, la police a saisi le matériel informatique au domicile de Monsieur L. et y a retrouvé un historique de recherches internet non-équivoque : « désir sexuel infantile », « mère qui suce le sexe de son petit garçon » ou « petite fille qui se fait pipi dessus ».
— « J’ai cherché sur internet pour mettre en avant que les parents sont responsables de ça, qu’ils sont pédophiles », se défend Monsieur L. selon une logique que le juge a du mal à saisir.
— Mais toutes ces recherches, Monsieur, vous n’en faites rien, vous les gardez pour vous ! »
Le juge quitte du regard l’accusé pour s’adresser à la salle : « L’expertise psychiatrique indique qu’il n’y a rien à signaler d’un point de vue judiciaire. Monsieur est en pleine possession de ses moyens. »
« Vous vous rendez compte de ce que vous êtes en train de dire ? »
« On va passer aux photos », poursuit Philippe Langlois, qui a devant lui une liasse d’images saisies sur l’ordinateur de Monsieur L. S’y trouvent de nombreuses photos du prévenu en train d’uriner, des photos d’enfants de moins de 10 ans dénudés, prises dans l’espace public et en cachette, ainsi que quelques gros plans de fesses de femmes en short ou minijupe et marchant dans la rue. C’est en raison de cette découverte-là que les chefs d’accusation de voyeurisme sur majeur et détention d’images pédopornographiques se sont ajoutés.
Le juge : « — Pourquoi photographier des enfants nus ?
— C’est public, si leurs parents les déshabillent dans l’espace public.
— Vous vous rendez compte de ce que vous êtes en train de dire ?
— Mais on ne voit pas le sexe.
— Votre combat, c’est de dénoncer les parents qui laissent leurs enfants nus dans l’espace public ? Dans ce cas, pourquoi cette photo de vous en train de pisser dans la rue ?, s’agace le juge en brandissant une image en noir et blanc.
— Il n’y avait personne dans la rue. Ma copine a pris la photo. Je ne suis pas coincé, vous savez. Je tolère les sex-shops. »
Le juge passe ensuite à l’enquête de personnalité : retraité, une fille qu’il n’a presque jamais vue, une compagne de 36 ans, avec laquelle Monsieur L. dit avoir des relations sexuelles trois fois par semaine. « Parfois plus », interrompt le prévenu. « À 76 ans, vous allez faire rêver des gens ici », commente le président de séance en souriant, avant de demander :
— « Pourquoi votre compagne est-elle absente ?
— Elle est timide, ça doit l’embarrasser. »
Après la plaidoirie de l’avocat des parties civiles – le père et la mère de l’enfant observé dans le parc du Tremblay – puis les réquisitions du procureur, au tour de l’avocate de Monsieur L. « Ce dossier est de ceux qui éveillent la sensibilité de chacun, parce qu’il y est question de sexualité et d’enfants, commence-t-elle. Mais il faut prendre du recul et rien de mieux pour cela que de s’attacher au droit. Monsieur L. n’est pas poursuivi pour exhibition, ni pour avoir pris des photos de lui, ni pour avoir tenu des propos racistes. » Elle plaide la relaxe pour les faits de voyeurisme sur majeur et demande un quantum plus léger que les douze mois de prison avec sursis requis par le parquet.
Comme de coutume, le prévenu a le dernier mot. Monsieur L. répète pêle-mêle ce qui lui sert d’argumentaire dans un gloubi-boulga qui fait vite oublier le travail de son avocate. Elle lui intime un « chut », sans succès, puis se prend la tête dans les mains, l’air dépité. On lit sur ses lèvres un « putain », tandis que le monologue de son client dure.
Après la suspension de séance, Monsieur L. réapparaît dans son pull bleu clair, les mains toujours derrière le dos. Il est relaxé pour les faits de voyeurisme sur majeur mais jugé coupable pour le reste. Comme le procureur l’avait requis, il écope de douze mois de prison avec sursis probatoire, une obligation de soins et l’interdiction de travailler avec des enfants pour trois ans. Son nom sera aussi ajouté au fichier des auteurs d’infractions sexuelles (Fijais) et il devra indemniser les victimes : 1 000 euros aux parents de l’enfant observé au parc du Tremblay en tant que représentants légaux, 500 euros à chacun des deux parents pour le préjudice moral et 400 euros au titre des frais non payés par l’État (CPP, art. 475-1).
Référence : AJU010d8