TJ de Créteil : « Vous vous mettez à la place des autres parfois ? »

Publié le 06/03/2024
TJ de Créteil : « Vous vous mettez à la place des autres parfois ? »
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Messieurs B. et P. sont présentés en comparution immédiate pour le vol et le recel de tickets de loto. Tous les deux ont un casier judiciaire déjà fourni mais surtout, Monsieur B. a bénéficié quelques semaines avant cette audience d’un ajournement de peine, dont l’audience est fixée à peine dix jours plus tard.

« On s’est vu récemment, Monsieur B. C’était pourquoi ? », demande le juge à l’un des deux prévenus qui viennent d’entrer dans le box. « Tentative de vol », se contente-t-il de répondre. Ce que le jeune homme ne dit pas mais que les magistrats finiront par savoir, c’est que lors de l’audience précédente, le même président de séance avait décidé d’un ajournement de peine pour une tentative de vol d’un cric dans la camionnette d’un particulier. À l’époque, le juge avait déclaré : « Pour l’instant, vous n’avez pas de peine et on attend la prochaine audience pour en décider. Attention, ça peut aller jusqu’à plusieurs années de dépôt. Moi je n’oublierai pas, n’oubliez pas non plus ! »

Il faut croire que cette mise en garde n’a pas suffi ! Moins d’un mois après la tentative de vol de cric et à peine dix jours avant l’audience de renvoi qui devait décider de sa peine, Monsieur B. est présenté une nouvelle fois devant la 12e chambre du tribunal judiciaire de Créteil. Cette fois-ci, il est mis en cause pour le vol de tickets gagnants de loto dans une voiture, ainsi que pour outrage et rébellion. Il comparaît en binôme avec Monsieur P., prévenu de menaces et du recel des tickets de loto.

Deux hommes ont pris leur journée pour se constituer parties civiles dans cette affaire. Sans quitter sa doudoune, celui qui a assisté à toute la scène déroule sa version des faits et raconte avoir constaté la disparition des tickets de loto, s’être rendu au café d’à côté où il est tombé sur Monsieur P. qui l’aurait menacé avec une gazeuse et un couteau. « C’est faux déjà. Ça ne s’est pas spécialement passé comme ça », assure Monsieur P., debout, à gauche dans le box. Il récuse les menaces et assure que chacun est parti dans son sens.

Le juge ne semble pas convaincu par la version du mis en cause et questionne la victime : « Est-ce que vous avez eu peur ? J’ai vu que vous aviez encore peur, c’est le cas ? Vous êtes venu car c’était important de voir ce qui allait se passer aujourd’hui ? » À chaque fois, il répond en toute discrétion mais par l’affirmative.

« Il ne faut pas seulement qu’on se revoit pour des faits de vol, Monsieur B., mais en plus la garde-à-vue se passe mal », poursuit le président de séance à l’attention du prévenu de droite. « Vous avez beaucoup parlé de vos couilles, puis c’est devenu moins poétique avec des menaces comme « Je vais tous vous baiser »», lit le juge. Pour sa défense, Monsieur B. assure avoir été maltraité au commissariat : « Ils m’ont tabassé sur le banc, parce que j’ai réclamé à être placé en garde-à-vue. » Et c’est en réponse à des violences qu’il aurait répondu aux insultes des fonctionnaires police par des formules qu’il assure regretter. Le prévenu a bien été vu par un médecin qui a constaté des contusions et des éraflures, sans poser de jours d’ITT : « Je ne comprends pas pourquoi les gardés-à-vue sont vus par SOS Médecins et les policiers par les UMJ [unités médico-judiciaires] », relève au passage le président du tribunal.

L’une des deux juges assesseures revient au vol et à la proposition faite par l’une des victimes aux prévenus de ne pas porter plainte s’ils restituaient les tickets gagnants.

« — Pourquoi n’avez-vous pas rendu les tickets ?

— C’était bête, j’aurais dû, assure Monsieur B.

— Vous vous mettez à la place des autres parfois ?

— Au commissariat non plus, personne ne se met à ma place. Vous voulez que je vous dise quoi de plus ? »

Au milieu de l’audience, il ressort que la peine pour la tentative de vol de cric avait été ajournée pour laisser une chance au prévenu. Le président de séance vérifie que le prévenu avait bien compris les enjeux : « C’est quoi le principe d’un ajournement de peine ?

— C’est d’avoir un contrat de travail et un justificatif de domicile.

— Quoi d’autre ? Le plus important !

— Ne pas commettre d’autres délits… Mais on m’a mis tentative de vol pour le cric à cause de mon casier, commence à s’énerver le prévenu.

— Vous vous enfoncez tout seul. Là, on est à 10 ans de prison encourus et on va se revoir pour la peine du cric… Le contrat, c’était aucune nouvelle infraction ! »

L’avocate qui représente le policier entame la ronde des plaidoiries en rappelant que son client a reçu trois jours d’ITT. Elle demande 500 euros au titre du préjudice moral et 500 euros en vertu de l’article 475-1 du Code de procédure pénale. L’avocat des deux hommes volés plaide à son tour et demande 2 750 euros pour le propriétaire de la voiture (préjudices matériel et moral confondus) et 3 850 euros (préjudices matériel et moral confondus) pour celui à qui appartenaient les tickets et qui assure avoir été directement menacé.

Dans ses réquisitions, la procureure distingue les deux cas et commence par celui de Monsieur B., qu’elle invite à déposer plainte pour violences policières s’il estime nécessaire. « C’est votre droit », insiste-t-elle. Cette précision faite, elle rappelle le casier de Monsieur B., lourd de sept mentions à seulement 22 ans, dont presque deux passés en prison. Elle requiert 18 mois de prison avec maintien en détention. Pour son acolyte, Monsieur P. au casier moins chargé (six condamnations, essentiellement pour des affaires de stupéfiants), elle demande 8 mois de prison en semi-liberté, sans maintien en détention.

Leur avocate plaide la relaxe pour la rébellion dans le cas de Monsieur B. Quant à la peine, elle demande du mixte : « La peine doit être prononcée à l’aune du casier et de la personnalité, mais aussi de la gravité des faits. Ici, il s’agit du vol de tickets de loto à travers une fenêtre ouverte. » Pour Monsieur P., elle plaide la relaxe pour les menaces et demande un aménagement de peine sous bracelet électronique à domicile pour que le prévenu puisse continuer à aider sa mère, atteinte d’un cancer depuis 2017.

Verdict : Monsieur B. est relaxé pour les faits de rébellion mais condamné pour le reste à douze mois de prison avec maintien en détention. Monsieur P. est déclaré coupable du recel et des menaces et condamné à huit mois de prison sous bracelet électronique mais avec un maintien en détention à Fresnes jusqu’à sa mise en place. Ils devront verser 1 250 euros au propriétaire de la voiture et 2 550 euros à la seconde victime (préjudices matériel et moral confondus), de manière solidaire. Du fait de la relaxe pour la rébellion, le policier est débouté de ses demandes.

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