TJ de Nanterre : « Alors on fait quoi ? On le laisse en détention jusqu’à la fin de sa vie ? »

Publié le 18/12/2024
Salle des pas perdus de Nanterre - Photo Pierre Anquetin
Salle des pas perdus du Palais de justice de Nanterre (Photo : ©P. Anquetin)

Quelle peine juste prononcer pour un prévenu atteint de schizophrénie, et désormais sous traitement, qui comparaît pour des faits de violences et d’outrage contre un policier ?

Temps de latence dans la 16e chambre correctionnelle du TJ de Nanterre, où l’on patiente depuis de longues minutes en cet après-midi : la visioconférence va-t-elle fonctionner pour que l’audience puisse se dérouler en lien avec la maison d’arrêt où le prévenu est déjà détenu ? Et puis finalement, on apprend qu’il a été extrait et est déjà en route, et ce, malgré la neige qui tombe à gros flocons sur toute l’Île-de-France.

Monsieur K. pénètre dans le box et est désentravé. « Finalement, vous êtes avec nous ! », constate la juge. La trentaine et l’air absent dans une posture raide, il a été extrait de la maison d’arrêt de Villepinte. Il comparaît pour des faits d’outrage et de violences ayant occasionné 45 jours d’ITT à un policier en octobre 2021 à Clichy.

« J’ai pas assez de force pour blesser un policier. »

C’est lors d’une garde-à-vue pour un vol à l’étalage que Monsieur K. a blessé Monsieur P., absent de l’audience. Le prévenu était alors particulièrement énervé et incontrôlable. Alors qu’il avait demandé un verre d’eau, il a donné un violent coup de pied dans la porte de la cellule, qui s’est refermée sur la main de Monsieur P.. Il a alors essayé de sortir et a tordu le poignet du policier. Difficilement maîtrisé, Monsieur K. s’est tapé la tête contre le sol. L’unité médico-judiciaire a constaté une fracture de la main droite de la victime. Si le prévenu a été présenté au tribunal pour le vol à l’époque, il a fallu attendre octobre 2024 pour qu’il soit entendu pour ces violences. S’en souvient-il seulement ?

– « Je me rappelle, on s’est tabassé. Moi aussi, j’ai été blessé. J’ai pas assez de force pour blesser un policier. Ça faisait des heures que j’attendais un verre d’eau. Il me l’a renversé dessus en disant : « Bois sale chien ».

– Effectivement, ça a été une garde-à-vue violente. Vous reconnaissez les outrages ?

– Oui, mais eux aussi m’ont outragé ! »

Monsieur K. nie avoir tordu le poignet de la victime. Il affirme ne pas avoir fait exprès et présente des excuses. L’expertise psychiatrique faite au moment des faits a montré une instabilité psychique aggravée par la consommation d’alcool et a recommandé un suivi et un traitement en centre médico-psychologique. Un traitement, Monsieur K. en suit justement un pour la schizophrénie, puisqu’il a été diagnostiqué en détention.

– « Vous le prenez bien ?, s’enquiert la juge.

– Oui, je le prends, regardez comment je bouge, comment je parle. »

Reste que le prévenu explique qu’avoir un suivi régulier de son traitement n’est pas chose facile en dehors de la détention. Car Monsieur K. a passé beaucoup de temps en prison pour des vols ou de la détention de stupéfiants. Au total, on compte 21 mentions à son casier judiciaire. Il doit rester en détention jusqu’en avril 2025. « Vous avez compté combien d’années vous avez passé en prison ? », interroge la juge. Face à l’incongruité de la question, Monsieur K. a un petit sourire et rétorque : « Je suis perdu dans le calcul… »

« Dans dix mois, il est encore là dans le box »

Avant l’incarcération, il était SDF. En détention, il suit son traitement, ne consomme pas d’alcool et a arrêté de consommer des stupéfiants. Le procureur prend la parole pour souligner que Monsieur K. va avoir une réduction de peine de six mois… et l’intéressé en est le premier étonné : « Je pensais que ça avait été refusé. » Hormis les faits pour lesquels il est jugé ce jour, il n’a plus d’autres peines sur les épaules. « C’est plutôt une bonne nouvelle », renchérit la juge qui s’enquit de ses projets à sa sortie de prison : trouver un logement, trouver du travail, aller chercher une aide auprès de sa sœur qui vit dans le Val d’Oise.

« Ce policier a eu la gentillesse de ramener un verre d’eau et a reçu un coup dans la main », insiste l’avocat de la partie civile qui demande 3 000 euros de provisions et le renvoi sur intérêts civils. Le ministère public pointe l’accès de rage disproportionné de Monsieur K. lors de cette garde-à-vue. « Il reconnaît les injures et pour expliquer les violences, il dit qu’il en a été victime lui aussi. » Une version peu crédible selon lui. Le prévenu a déjà vu son sursis probatoire révoqué en 2023, ne laissant d’autre choix que de requérir une peine ferme et un maintien en détention. Le procureur demande dix mois et ajoute : « J’espère que le SPIP se mettra en lien avec le juge d’applications des peines pour préparer au mieux la sortie de Monsieur K. »

« En comparution immédiate, on a été très vite, avec un psychiatre qui a dit que tout allait bien… mais qu’il faudrait quand même qu’il se fasse soigner ! », raille l’avocate de Monsieur K. « Alors on fait quoi ? On le laisse en détention jusqu’à la fin de sa vie ? On ne prend pas en compte qu’il a un diagnostic psychiatrique ? Je ne suis pas en train de dire qu’il n’y a pas de victime, mais quand il sort, on fait quoi ? Dans dix mois, il est encore là dans le box, mais c’est pas la maison de Monsieur K., ce box ! » Très véhémente, l’avocate défend au contraire un suivi renforcé pour s’assurer que le prévenu n’ait pas de rupture de traitement. En conclusion, elle rebondit acerbe sur les mots de l’avocat du policier : « Ce n’est pas par gentillesse que des policiers amènent des verres d’eau en garde-à-vue, c’est parce que c’est leur travail ! »

Monsieur K. a la parole en dernier : « Dix mois, c’est trop pour moi. J’ai passé trop de temps en prison. Si je sors, je suis mon traitement, ça peut marcher… » Mais ni ces mots, ni la plaidoirie de l’avocate n’auront porté leurs fruits. La juge prononce une peine de six mois et le maintien en détention.

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