TJ de Nanterre : « Ça n’aurait pas été plus raisonnable d’aller au commissariat pour vous expliquer ? »

Publié le 06/01/2025
TJ de Nanterre : « Ça n’aurait pas été plus raisonnable d’aller au commissariat pour vous expliquer ? »
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Recherché pour des faits de violences, un jeune homme a été interpellé et présenté en comparution immédiate pour un refus de donner les codes de déverrouillage de son téléphone.

Charles*, la vingtaine, entre dans le box de la 16e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Nanterre et est désentravé. Ce vingtenaire est présenté en comparution immédiate pour des faits qui se sont déroulés la veille, un refus de donner aux autorités les codes pour déverrouiller son téléphone, mais aussi des violences plus anciennes contre deux personnes.

La juge commence par rappeler les faits : la police a été appelée à Chaville en début de soirée quelques semaines auparavant parce qu’un homme, E., a été blessé au visage par un coup de machette dans la mâchoire. Il a dans un premier temps refusé de donner l’identité de son agresseur et était alcoolisé. Trois témoins ont été entendus : l’un a vu une altercation entre deux hommes, l’autre est intervenu pour les séparer, quant au troisième, J., lui aussi est une victime car il a reçu un coup de poing. Il a laissé entendre que son agresseur et l’auteur du coup de machette était la même personne, son demi-frère, Charles. Transportée à l’hôpital, la victime du coup de machette a également fini par désigner Charles. Les deux victimes n’ont pas porté plainte et sont absentes de l’audience.

Charles n’était pas à son logement lorsque la police s’y est rendue. Ce n’est que la veille de cette audience qu’il a finalement été interpellé et est resté peu loquace en garde-à-vue. En sera-t-il de même aujourd’hui ?

« J’ai eu un différend avec mon frère, je l’ai réglé »

« Ce jour-là, je me rappelle de l’altercation avec J., par rapport à une histoire de famille. Mais après je suis parti », assure-t-il. Il décrit E. comme une simple connaissance qu’il connaît de loin. « Il indique pourtant que c’est vous qui l’avez attaqué à coups de machette. » Charles reste vague.

– « Je sais pas. Il m’a pas identifié comme son agresseur.

– Auprès des pompiers, il a donné votre nom, pourquoi ça selon vous ?

– Je sais pas.

– Vous avez déjà eu des disputes avec E. ?

– Non.

– Mais un témoin dit que vous vous seriez énervé parce qu’il aurait demandé à J. de faire une course.

– Non, ça n’a rien à voir. J’ai eu un différend avec mon frère, je l’ai réglé. »

Charles reconnaît le coup de poing à J., son demi-frère, mais continue de nier être revenu avec une machette pour attaquer E. La juge s’intéresse aux raisons qui l’ont poussé à disparaître de Chaville après les faits, si justement il n’a rien à se reprocher.

– « J’ai entendu par des amis que des policiers me cherchaient pour des choses que j’avais pas commis. Mais j’ai pas quitté Chaville.

– Ça n’aurait pas été plus raisonnable d’aller au commissariat pour vous expliquer ?

– J’aurais pu faire ça quelques mois plus tard. »

Charles a finalement été appréhendé parce qu’il devait régler un problème administratif. La juge insiste, cite la description de l’agresseur « jeune, grand, de type africain, des dreadlocks » face au prévenu qui rétorque « Je sais pas quoi vous dire », avant de laisser entendre une vieille rancune :

– « S’il y avait eu un braquage ou un vol, il aurait dit que c’était moi…

– Vous avez une machette ?

– J’ai pas de machette, j’en ai jamais utilisé de toute ma vie !

– C’est une erreur de la victime et de votre demi-frère ?

-… je sais pas quoi vous dire.

– Vous avez mauvaise réputation à Chaville ?

– Ouais, on peut dire ça ».

« Vous êtes le seul jeune homme de type africain avec des dreadlocks à Chaville ? »

La juge en vient aux autres faits, le refus de déverrouiller son téléphone lors de son interpellation.

– « Pourquoi refuser de donner votre code ?

– Parce que y’avait des vidéos intimes dedans.

– Vous aviez peur que les policiers tombent dessus ?

– Oui.

– Vous préférez prendre le risque d’une infraction ?

– J’ai peut-être fait le mauvais choix. »

La juge essaie de lui faire entendre que les policiers allaient seulement chercher des éléments en lien avec les violences et qu’il aurait justement pu montrer sa bonne foi en donnant son code. Le ministère public intervient pour revenir sur la description évoquée par la juge, de façon ironique : « Cette description… ça correspond un peu à vous quand même ? » La défense contre-attaque avec une question : « Vous êtes le seul jeune homme de type africain avec des dreadlocks à Chaville ? ». Charles répond d’un simple non.

Le prévenu a déjà quelques condamnations à son casier judiciaire et est sous le coup d’un sursis probatoire. Il admet ne pas avoir reçu les convocations pour son suivi. « Vous n’étiez même pas en région parisienne, le SPIP indique que vous ne vous présentez pas, vous pourriez vous en soucier », rétorque la juge face à la nonchalance manifeste du prévenu.

Charles est sans travail, il vit chez sa mère. La juge insiste pour en savoir plus sur ses ressources, et là encore, la réponse est la même : « Je sais pas quoi vous dire. »

– « C’est votre mère qui subvient à vos besoins ?

– Oui.

– Comment vous achetez le cannabis que vous consommez quotidiennement ?

– J’ai de l’argent de poche.

– Elle a un fils majeur et elle est obligée de lui donner de l’argent de poche pour acheter son cannabis ?

– C’est son choix. »

La juge s’étrangle :

– « C’est votre maman qui travaille dur, qui est obligée de vous donner de l’argent de poche !

– Elle est pas obligée, mais elle le fait. »

« On ne voit rien mais on conclut que c’est lui, c’est extraordinaire ! »

« Les policiers n’ont que peu à faire de photos intimes », ironise le procureur. C’est peut-être pour d’autres raisons, des mails, des messages, des échanges sur des messageries cryptées qu’ils souhaitent avoir accès à votre téléphone. » Les descriptions physiques de l’agresseur, les images de vidéosurveillance mènent à Charles, maintient le parquet, qui demande 15 mois d’emprisonnement avec mandat de dépôt.

« Il faut remettre l’église au milieu du village, tempère l’avocate de la défense, on se rend compte qu’il n’y a pas grand-chose ou alors des “peut-être”. Le parquet essaie de gratter les fonds de tiroir dans ce dossier. » Elle revient sur chaque témoin, notamment sur l’absence de reconnaissance du prévenu sur une planche photographique, et sur la description de l’agresseur : « Dans cette salle, au moins trois personnes correspondent à cette description ! » Elle rappelle enfin que les images du G20 exploitées par la police sont floues : « On ne voit rien mais on conclut que c’est lui, c’est extraordinaire ! » Elle demande la relaxe pour le coup de machette et une amende d’un montant approprié pour le coup de poing.

Charles est finalement reconnu coupable de l’ensemble des faits et condamné à 12 mois d’emprisonnement avec mandat de dépôt.

*Le prénom a été modifié.

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