TJ de Nanterre : « Ce n’est pas un avenir de commencer une carrière de délinquant en France »

Publié le 07/01/2025
Salle des pas perdus de Nanterre - Photo Pierre Anquetin
Salle des pas perdus du Palais de justice de Nanterre (Photo : ©P. Anquetin)

Après un vol dans une bijouterie, l’un des prévenus a-t-il changé de version pour porter seul la responsabilité et éviter la prison à son comparse au casier un peu plus chargé ?

Ils sont deux, Farid* et Ismaël*, originaires d’Algérie, à comparaître pour un vol avec ruse dans une bijouterie et arrivent libres devant la 16e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Nanterre. L’affaire aurait dû être jugée en comparution immédiate en août au moment des faits, mais a été renvoyée à de nombreuses reprises, l’un des deux prévenus n’ayant pas encore d’avocat.

En plein Paris pendant les Jeux olympiques, une patrouille de police a repéré deux individus s’intéressant d’un peu trop près aux voyageurs nombreux en cette période. Suivis jusqu’à La Défense, ils ont été vus pénétrant dans une bijouterie et observés depuis l’extérieur du magasin. Le vendeur a ouvert la vitrine, s’est baissé pour saisir un bracelet pour le montrer à l’un des comparses, tandis que l’autre s’est saisi d’un écrin en hauteur. Les deux se sont ensuite rejoints dans le RER et ont été interpellés avec six chaînes en or sur eux pour un montant de plus de 2 600 euros.

Le commerçant, qui a porté plainte, n’avait pas remarqué le vol avant l’arrivée des policiers pour lui remettre les bijoux, mais a reconnu que les deux hommes avaient l’air agités et pressés de partir. Il est absent de l’audience mais s’est constitué partie civile. Devant les policiers, Ismaël a reconnu les faits, et a affirmé que le rôle de Farid était d’occuper le vendeur. Farid a, quant à lui, déclaré qu’il n’était pas au courant de la combine et qu’Ismaël a agi de sa propre initiative.

« J’ai eu peur, j’ai pas réfléchi »

Ismaël répond aux questions du juge le premier :

– « Ce n’était pas réfléchi entre vous ?

– Non. Il m’a vu quand j’ai pris le truc.

– Il vous a vu faire, mais il n’était pas informé ?

– Oui.

– Sauf que ce n’est pas vraiment ce que vous avez dit aux policiers. Vous avez dit qu’il vous a fait plusieurs signes de tête en mode « prends ».

– J’ai eu peur, j’ai pas réfléchi.

– C’est pas exactement la même chose, comment vous expliquez la différence entre ce que vous avez dit et ce que vous dites aujourd’hui ? »

Les explications d’Ismaël sont confuses, la juge propose l’aide de l’interprète qui traduit déjà l’audience pour Farid : « Le policier m’a demandé si Farid m’a vu en train de voler, j’ai dit oui ».

De son côté, Farid maintient qu’il ne savait pas qu’il allait voler. Et si son comportement a pu paraître suspect, d’abord aux policiers qui les ont suivis, puis auprès du bijoutier, c’est parce qu’il était sous Lyrica©, un traitement pour l’épilepsie qu’il utilisait alors comme un psychotrope. Il a quatre mentions à son casier judiciaire, chacune pour des vols. Deux peines fermes n’ont d’ailleurs pas encore été exécutées, huit mois en tout. Il est en situation irrégulière, travaille sur les marchés, et a reçu en garde-à-vue une mise en demeure de quitter le territoire. Quelles démarches compte-t-il entreprendre ? « Se marier ».

Plus jeune que Farid, Ismaël n’a aucune mention à son casier et a reçu une OQTF en garde-à-vue. Il souhaite rester en France, a contacté sa famille en vue de récupérer son passeport sans lequel aucune démarche n’est possible avec les associations. Il vit avec sa petite amie, travaille au noir.

« Cinq fois qu’il vient la boule au ventre, il tremble, il est en panique »

« Les deux prévenus tissent une version qui ne correspond pas à la réalité », déplore le procureur pour qui cette situation est très simple à comprendre : Ismaël veut endosser toute la responsabilité du vol car il n’a pas de casier et sauver la peau de son ami. Il rappelle qu’en garde-à-vue, les policiers lui ont posé la question à deux reprises. « Je suis désolé, Monsieur, il y a trop d’éléments pour dire que vous êtes coupable. » Quant à Farid, il n’y a pas vraiment de doute sur son rôle de chef dans cette histoire. « C’est malheureux de voir deux jeunes hommes comme ça qui veulent se frayer un chemin dans la société en France. » Il requiert huit mois de sursis simple pour Ismaël pour lui laisser une chance de régulariser sa situation. Pour Farid, ce sera une peine de dix mois aménageables en semi-liberté avec un bracelet électronique. Il requiert aussi une peine complémentaire d’interdiction du territoire français pendant cinq ans. « Ce n’est pas un avenir de commencer une carrière de délinquant en France. »

La défense de Farid juge ses réquisitions disproportionnées : des bijoux restitués, zéro dommage, aucune menace contre le personnel. « Il n’a pas eu une histoire facile, il a pris des risques pour venir dans un pays qu’il ne connaît pas, ce n’est pas anodin, on ne fuit pas son pays par hasard. Il pensait trouver une vie meilleure, il ne trouve pas d’emploi. » Elle loue sa volonté de sortir de l’addiction et sa prise de conscience. « Il a été pris au dépourvu par l’acte d’Ismaël, ils ne se sont pas mis d’accord au préalable. Je vous demande la relaxe au bénéfice du doute. »

Pour l’avocat d’Ismaël, il y a deux profils très différents dans ce dossier. « Il reconnaît sa responsabilité depuis le départ. Il a pris conscience de la gravité et est prêt à assumer les conséquences. » Renvoyée à quatre reprises, l’audience a enfin eu lieu, et son client s’est présenté à chaque fois. « Cinq fois qu’il vient la boule au ventre, il tremble, il est en panique, il a peur, peur d’être condamné. On est dans le cadre d’une première condamnation, il est arrivé en France mineur, venu avec un passeur en bateau. » Arrivé avant le confinement de 2020, il a vu son quotidien d’employé dans une pizzeria voler en éclats. Il a réussi depuis à retrouver une situation stable comme livreur, a une compagne. Autant de raisons qui poussent à demander une peine adaptée, du sursis simple, sans interdiction du territoire français.

Au délibéré, la juge prononce une peine de six mois assortis d’un sursis simple pour Ismaël, et une peine de huit mois aménagés à domicile sous surveillance électronique pour Farid.

*Les prénoms ont été modifiés.

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