TJ de Nanterre : « C’est un échec pour vous, pour moi, pour la société, l’incarcération n’a servi à rien »
Un voleur « de carrière » est présenté devant la justice pour avoir écumé le sud de Paris et les Hauts-de-Seine et pour avoir dérobé des colis directement dans les boîtes aux lettres de particuliers.
Jacques*, la soixantaine, cheveux gris se lève et s’avance à la barre de la 16e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Nanterre. Il a gardé sa veste en cuir, ce qui lui donne une carrure imposante et silencieuse. La juge commence à lire la liste de la dizaine de victimes, l’une est d’ailleurs dans la salle et l’avocat de la partie civile lui fait signe d’approcher et de prendre place devant lui.
Le déroulé des infractions est long, essentiellement des vols commis entre mai et août 2024 dans le sud de Paris et dans les Hauts-de-Seine. C’est durant cette période que des policiers ont aperçu un homme sortir d’un immeuble. Connu défavorablement des services de police pour de nombreux vols, il a été aussitôt suivi : les policiers l’ont alors observé en train d’entrer et de sortir de plusieurs immeubles et ont découvert des emballages de colis dans les poubelles sur son passage. L’enquête s’est poursuivie, avec surveillance téléphonique afin de repérer où son téléphone a borné, et prise de contact avec les victimes potentielles. S’est alors dessiné un mode opératoire simple : entrer dans des immeubles en journée, utiliser un pass PTT et se servir dans les boîtes aux lettres pour ensuite revendre le butin. Dans certains cas, l’individu tombait sur un trousseau de clés et en profitait pour visiter l’appartement et y voler des objets. Rapidement les policiers ont découvert son compte Vinted, très actif et très bien noté, qui comptabilisait alors 87 transactions en un an pour un bénéfice d’un peu plus de 4 700 euros.
Appréhendé et interrogé, Jacques a reconnu les faits sans pour autant se souvenir des dates précises. « Je suis retombé dans mes vieux démons. J’avais besoin d’arrondir mes fins de mois », explique-t-il sans détour à la juge. Il a contesté un seul des vols et continue de nier en être l’auteur.
– « Vous reconnaissez tout, mais pas celui-là ?
– J’en suis sûr et certain.
– Vous en avez commis un certain nombre…
– J’ai pas volé de papiers administratifs, ça c’est sûr ! »
« Je pensais que c’était la solution pour m’en sortir »
Du fait du mode opératoire, la juge ne s’attache pas davantage sur chaque circonstance, mais plutôt sur les raisons qui ont poussé cet homme, pourtant en CDI, à commettre ces vols : « J’ai des grosses difficultés financières, je pensais que c’était la solution pour m’en sortir. Je travaille, mais j’ai des problèmes de santé, j’ai été hospitalisé… » Reste que ce n’est pas la première fois que Jacques commet ce type de faits. « J’en suis pas fier », ajoute-t-il d’un air contrit.
Le procureur revient sur les faits contestés par Jacques, en tout point similaires aux autres infractions. « J’ai vraiment aucun souvenir », réaffirme le prévenu. « Vous subvenez à vos besoins en étant voleur et receleur », souligne le parquet, qui demande l’abandon de la circonstance aggravante de l’effraction.
Jacques a 24 mentions à son casier judiciaire. Son histoire avec l’institution judiciaire a débuté en 1982 et ne compte quasiment que des vols, mais aussi des faits de blanchiment d’argent et de proxénétisme en 2022. En tout, il a passé plus de vingt ans de sa vie en détention et connaît « à peu près toutes les prisons de France », selon ses propres dires. Il n’a plus de famille et deux de ses enfants sont décédés : « J’ai des amis et je suis en contact avec ma grande fille. » Il est aujourd’hui cuisinier en CDI dans plusieurs établissements. Mais les sommes retenues sur son salaire de 2 400 euros pour payer ses amendes l’empêchent de s’en sortir financièrement. Il a fait deux AVC, deux infarctus, deux cancers. Il doit être opéré en novembre. Ce n’est que tout récemment qu’il s’est tourné vers une aide psychiatrique. À cette évocation, on le sent vaciller :
– « Beaucoup de choses remontent à la surface. Quand je suis né, j’avais un jumeau. Il y a un manque en moi.
– C’est seulement maintenant que vous avez été voir quelqu’un ?
– J’avais pas conscience avant…
– Même pas avant, quand vous avez été en détention ?
– En détention, y’a trop de monde à voir… »
Le parquet revient sur certains éléments du casier judiciaire. « C’est un échec pour vous, pour moi, pour la société, l’incarcération n’a servi à rien », déplore le procureur en constatant que Jacques était encore face à la justice en tout début d’année pour des vols. « L’évolution en 43 ans, elle est faible. » Jacques ne peut qu’admettre la triste réalité de son casier :
– « Je peux pas effacer mon passé.
– Vous êtes un voleur professionnel depuis 40 ans. Où est la garantie qu’on ne vous reverra pas ?
– Je m’engage à ne pas revenir. »
Le procureur n’a pas l’air convaincu. La défense revient sur la condamnation pour blanchiment et proxénétisme et donne des éléments du contexte : Jacques s’était vu proposé par un ami la gestion d’un salon de massage pour 500 euros par mois, en somme être un homme de paille. Il avait alors accepté. « Quelle est la seule chose qui vous fait tenir aujourd’hui ? » La réponse de Jacques laisse planer un léger silence : « Mon chat. »
« Peut-on lui faire confiance ? Pour la première fois, peut-être que oui »
L’avocat de la partie civile représente un couple victime de Jacques : des bijoux, un appareil photo, un drone ont été dérobés à leur domicile du XVe arrondissement. Le sentiment d’insécurité est encore présent, relate l’avocat. Les deux personnes demandent à être indemnisées pour le préjudice matériel et moral. « Ils sont attachés au principe de justice restaurative et espèrent quelque chose de positif pour le prévenu. »
Jacques approche de l’âge de la retraite, âge où l’on est en droit d’espérer un peu de repos, estime le procureur dans sa plaidoirie. La justice a incarcéré Jacques à de nombreuses reprises et lui a donné sa chance : « Mais il a continué et continue à commettre des vols. Quelle garantie pour qu’il ne commette pas de nouveaux faits ? » Le parquet demande une peine de 30 mois, dont 18 assortis du sursis probatoire. Les douze restants pourront être aménagés à domicile.
La défense reconnaît le caractère « sévère mais juste » du réquisitoire. Cet avocat connaît Jacques de longue date, il connaît sa vie, son parcours cabossé, mais aussi hors du commun, comme lorsqu’il est devenu cuisinier personnel d’un émirat en Arabie Saoudite. Aujourd’hui, son client veut réparer : « Il a ouvert un compte provisionné pour montrer sa bonne volonté, il ne conteste pas le montant du préjudice moral. » La défense fait aussi valoir le parcours psychiatrique entamé par Jacques. « Il le dit : tout remonte à la surface. Peut-on lui faire confiance ? Pour la première fois, peut-être que oui. »
La juge suit les réquisitions du ministère public et condamne Jacques à 30 mois d’emprisonnement dont 18 assortis du sursis probatoire et l’obligation d’indemniser les victimes.
*Le prénom a été modifié.
Référence : AJU015x0