TJ de Nanterre : « Elle a le droit de vivre sans avoir un marteau sous son oreiller »
Un prévenu qui n’a pas daigné se présenter pour un motif très contestable, mais une victime bien présente et soutenue par ses proches dans ce dossier de menaces de mort.
C’est avec étonnement et agacement que la juge de la 20e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Créteil constate l’absence du prévenu, Hicham*, en cet après-midi déjà bien avancé. Il a refusé l’extraction, explique l’avocate de la partie civile, toute aussi agacée qu’elle. La raison avancée ? Il sort de détention dans deux jours. « Je ne vois pas trop le rapport avec le fait de ne pas venir à l’audience », commente la présidente. Cela n’empêchera pas de traiter ce dossier, d’autant que la victime, Sarah*, est présente et a attendu que son cas soit examiné toute la matinée. À ses côtés, sa mère et deux amies sont venues la soutenir.
La victime, âgée d’une vingtaine d’années, a été en couple avec le prévenu, de 2020 à 2023. Après la séparation, Sarah a reçu des menaces de mort très violentes via les réseaux sociaux et par mail. « Petite pute », « Je vais t’étrangler en te regardant dans les yeux », « Je vais te regarder agoniser ». Après avoir porté plainte fin 2023, Hicham a été interpellé. Aux policiers, il assure qu’il avait bu, regrette, dit qu’il n’a jamais eu l’intention de passer à l’acte. Il a été jugé peu de temps après au tribunal judiciaire de Créteil pour trafic de stupéfiants et a été condamné à une peine de 18 mois. Il est incarcéré à la maison d’arrêt de Fresnes et a vu sa peine aménagée en semi-liberté. D’où sa sortie imminente, qui lui sert de justification à son absence.
« Les absents ont toujours tort ! »
Après cet exposé sommaire, Sarah souhaite ajouter plusieurs choses : « J’ai porté plainte parce que j’ai senti qu’il allait passer à l’acte. » La plainte vise des faits qui s’étendent sur quelques semaines, mais selon elle, les violences et les menaces sont plus nombreuses. Elle a été en contact avec une ex-compagne de Hicham qui affirme avoir elle aussi reçu des violences.
Depuis l’incarcération à Fresnes, les menaces n’ont pas cessé pour autant. Sarah raconte sa tentative d’y mettre un terme. Son récit glace le sang : « J’ai appelé la prison de Fresnes. Ils m’ont demandé si je voulais rester anonyme, j’ai dit oui. Dans la journée, j’ai reçu un message de lui qui disait : « t’es bien conne d’avoir appelé Fresnes ». » Son avocate confirme qu’il y a des messages vocaux postérieurs à la prévention : « Il va être libéré demain, comment vous le vivez ? » Sarah reste silencieuse quelques longues secondes. « Je le vis mal », lâche-t-elle en tamponnant ses yeux déjà embués de larmes. L’avocate précise que les proches de Sarah sont en train de s’organiser pour l’héberger.
« Il ne nous fait même pas l’honneur d’être présent », s’emporte le conseil de la jeune femme, « mais les absents ont toujours tort ! Elle craignait ses regards, ou même qu’il la menace ici même devant vous. » C’est donc une sorte de soulagement de constater cette absence. « On pourrait se dire que c’est pas si méchant, ces menaces de mort, c’est juste un jour, sous l’effet de l’alcool. Mais quand on connaît le contexte, c’est beaucoup plus inquiétant et plus dangereux qu’il n’y paraît. Il regrette, il ne présente pas d’excuses, il n’en a rien à faire d’elle ! » Elle cite à nouveau une longue litanie de menaces, violentes, outrancières.
Sans surprise, elle demande l’interdiction de contact et de paraître au domicile de Sarah avec exécution provisoire. « Elle a peur et elle a raison d’avoir peur. Elle a le droit de vivre sans avoir un marteau sous son oreiller. Elle attend une demande de relogement. » L’avocate déplore que ce soit à la victime de partir, même s’il en va de sa sécurité.
« Je demande aussi 1 000 euros au titre du préjudice moral. Souvent les victimes de violences conjugales disent qu’elles ne veulent pas d’argent, mais pourquoi ce serait gratuit ? » L’avocate se refuse à demander un euro symbolique en ce qui concerne les dommages et intérêts. Une façon de « responsabiliser les coupables » : « Est-ce que pour 1 000 euros, on accepterait de recevoir ce genre de messages et de vivre dans la peur ? La réponse est non. Ça fait partie de la réparation. » À cette demande, s’ajoute celle du remboursement des frais de justice de Sarah.
« Quelle peine pour protéger Madame ? »
La procureure se désole face à la teneur des messages « dégradants », face à ces contacts qui n’ont même pas cessé en détention. « Il y a un risque de passage à l’acte important. Quelle peine pour protéger Madame ? » Elle requiert dix mois avec sursis probatoire avec une obligation d’indemniser la victime, l’interdiction de contact et de paraître à son domicile, mais aussi l’interdiction de paraître dans les Hauts-de-Seine.
Le prévenu, absent de l’audience, est finalement condamné à six mois d’emprisonnement avec sursis probatoire. Il devra indemniser Sarah à hauteur de 600 euros et rembourser ses frais d’avocat. Il a interdiction de la contacter, de se rendre à son domicile et d’apparaître dans la ville où elle réside. La présidente reprend pour être sûre que Sarah a bien toutes les informations. La jeune femme semble perplexe sur la façon dont cette nouvelle condamnation va s’ajuster à celle déjà en cours et qui est aménagée en semi-liberté. Lorsqu’elle comprend que l’interdiction de contact vaut pour les deux ans à venir, elle prend une profonde inspiration et semble un peu soulagée d’avoir été prise au sérieux. « Il peut pas rentrer en contact avec toi, sinon hop ! Retour case départ ! », résume une de ses amies. Le petit groupe sort de la salle d’audience.
*Les prénoms ont été modifiés.
Référence : AJU015f9