TJ de Nanterre : «En tant que tribunal, vous êtes garants des droits et des libertés »

Un homme est présenté au tribunal judiciaire de Nanterre pour apologie du terrorisme et menaces réitérées de crime contre des personnes. L’audience va montrer comment le contexte de l’assassinat du professeur, Dominique Bernard, au lycée d’Arras et le climat de suspicion, ont pesé sur cette comparution immédiate.
Monsieur L. est incrédule lorsqu’il est amené dans le box de la 16e chambre correctionnelle du tribunal judicaire de Nanterre le 17 octobre. Le juge est encore en train de conclure le dossier précédent quand il lance un « Bonjour ! » sonore. Jovial, mais inquiet, il attend qu’arrive son tour.
Il est accusé d’apologie du terrorisme et de menaces réitérées de crime contre des personnes. Le juge résume les faits : le vendredi 13 octobre, les policiers de Boulogne-Billancourt sont appelés à intervenir. Ils ont eu l’information selon laquelle un individu est présent devant un lycée avec un couteau. Selon le témoin, l’homme a dit « Vive la Palestine », crié une dizaine de fois « Allah Akbar », et prononcé la phrase « Wallah, promis, je le fais demain ». Le juge tient à clarifier tout de suite un élément : il n’y avait pas d’arme.
– Merci Monsieur le juge, lance Monsieur L., visiblement soulagé que ce point soit évacué.
– Vous pourriez avoir le sentiment qu’on le prend pour acquis, explique le juge.
C’est Monsieur B. qui a appelé la police et se présente comme témoin direct de la scène, qu’il a d’ailleurs filmée. « Vu l’actualité, j’ai fait appel à la police », a-t-il déclaré aux policiers. Monsieur L. est interpellé le lendemain, en fin de matinée, « au vu de la gravité des faits et du déclenchement de la phase Urgence Attentat », rappelle le juge. Il est placé en garde-à-vue, tandis que les policiers prennent attache avec sa sœur, qui l’héberge de façon temporaire pour des raisons de santé. Monsieur L. a été victime d’un accident qui a affecté sa santé morale et physique et il doit suivre des soins importants.
« J’ai pas dit « vive le Hamas », j’ai pas dit « vive le Hezbollah » ! Je soutiens pas les terroristes »
Les six vidéos faites par Monsieur B., de quelques secondes chacune, sont examinées. Sur deux d’entre elles, on entend le prévenu dire « Wallah je le fais », « Wallah, demain matin, je le fais ». Son attitude est-elle menaçante ? Le témoin a affirmé que Monsieur L. a donné des coups de pied dans la porte du parking du lycée, un geste qui n’apparaît pas sur les vidéos. En garde-à-vue, Monsieur L. a confirmé avoir parlé du conflit israélo-palestinien avec un ami et avoir dit « Vive la Palestine », mais que l’objet de leur conversation portait sur un sujet bien plus trivial, des paris sportifs concernant le match de football en cours ce soir-là.
– « Pourquoi vous étiez en train de crier ?
– C’est ma façon de m’exprimer !, se justifie Monsieur L., qui a de fait un certain coffre. Et j’ai jamais dit « Allah Akbar » !
– Les vidéos ne le démontrent pas, reconnaît le juge. Et « wallah », vous l’utilisez beaucoup pour vous exprimer ? ».
Confirmant presque malgré lui, Monsieur L. répond du tac au tac en parlant du témoin : « Wallah, j’ai même pas de mots ! ». Et son « Je le fais demain » répété à plusieurs reprises ? Pour signifier son intention de parier à nouveau, cette fois sur l’appli PokeMatch. « Vous avez fait une dinguerie chez ma sœur », commente-t-il.
En garde-à-vue, Monsieur L. a affirmé qu’il était bien au courant de l’actualité récente. Que faisait-il devant un lycée ? Son domicile est situé juste à côté. Dans son téléphone exploité par les policiers, rien n’indique une quelconque intention de commettre un acte terroriste. Des messages vocaux ont aussi été trouvés dans lesquels il est menaçant envers une personne avec qui il a des comptes à régler, « une histoire de moto ». Dans l’un des enregistrements, il a déclaré « Vive la Palestine, vive les rebeus », message qu’il a dû là encore justifier en garde-à-vue : « J’ai toujours aimé la Palestine, car ils se sont fait voler leur terre », propos qu’il confirme à l’audience, ajoutant « C’est un peuple qui souffre. J’ai pas dit « vive le Hamas », j’ai pas dit « vive le Hezbollah » ! Je soutiens pas les terroristes ! ».
À nouveau, il le répète, il n’a jamais prononcé les mots « Allah Akbar », des mots qui seraient de toute manière insuffisants pour caractériser une apologie du terrorisme, rappelle le juge, conscient que le contexte de l’actualité joue une large part dans cette affaire.
– « Il a dit que j’avais un couteau ?, demande Monsieur L. incrédule.
– Je l’ai dit, il n’y a rien, pas de couteau, c’est votre téléphone.
– Merci.
– Vous n’avez pas à remercier, c’est la procédure ».
« N’importe quel musulman pourrait se trouver devant le tribunal »
L’avocate de Monsieur L. demande à faire venir la sœur du prévenu. Vêtue d’une veste rose saumon, les cheveux attachés en queue-de-cheval, elle parle à la barre avec chaleur malgré son inquiétude palpable. Son frère est un homme « gentil, souriant, loyal » : « Y’a vraiment une erreur, le lycée est juste derrière, c’est une mauvaise interprétation ».
Monsieur L. est célibataire et sans enfants, n’a pas d’activité professionnelle depuis l’été dernier en raison de son accident. Il est inscrit à Pôle emploi et touche le RSA. Il consomme de l’alcool de façon occasionnelle et ne consomme plus de cannabis depuis 6 ans. Son casier judiciaire comporte 22 mentions, dont la majeure partie date du début des années 2000, pour des vols, des violences, de la conduite sans permis. « C’est fini, c’est du passé », tempère Monsieur L. qui met ces nombreuses infractions sous le coup de ses « mauvaises fréquentations » de l’époque. « Vous avez épuisé tout le panel des infractions routières », note le juge.
Dans son réquisitoire, la procureure estime ne pas avoir la même lecture que le prévenu de la situation. Elle maintient que Monsieur L. était devant un lycée, alors qu’un professeur a perdu la vie à Arras quelques heures plus tôt. « Un requérant, un témoin ne pouvait qu’avoir peur pour lui, pour son entourage. Le prévenu a précisé qu’il y avait une « no-go zone » autour de lui. Les passants évitaient cet homme ». Elle insiste sur son « ton » : « On ne pourra pas me faire croire qu’il n’employait pas un ton démesurément fort. Je ne comprends pas que Monsieur L. ne soit pas plus réaliste sur l’impression que donne cette scène ! ». Elle ajoute qu’il minimise son casier et requiert 18 mois d’emprisonnement avec mandat de dépôt.
L’avocate de Monsieur L. se dit « abasourdie » par la lecture de cette procédure faite par le ministère public. Elle insiste sur le fait que les éléments décrits ne sont pas retranscrits dans les vidéos. D’une part, les mots « Allah Akbar » ne ressortent pas du dossier et ne pourraient de toute façon pas être retenus comme caractérisant une apologie du terrorisme. D’autre part, la phrase « Vive la Palestine » n’a pas été dite dans le même temps. Elle appuie sur la nécessité de rappeler les éléments qui constituent l’apologie du terrorisme. « Ici, on a quelqu’un qui a de la peine pour les Palestiniens, qui parle avec un ami, il n’y a aucun jugement favorable à un acte terroriste et aucune adhésion ». Elle appelle à ne pas succomber à la peur : « En tant que tribunal, vous êtes garants des droits et des libertés. Oui, il était énervé, il l’a reconnu. Et il était devant ce lycée car il habite à côté ». L’avocate demande la relaxe pour les deux infractions et met en garde sur ce qui a conduit à cette comparution. « N’importe quel musulman pourrait se trouver devant le tribunal »…
Au délibéré, Monsieur L. est déclaré non coupable. « Merci beaucoup », lance-t-il en quittant le box, toujours de sa voix forte.
Référence : AJU011b3
