TJ de Nanterre : « Il a brandi la chaise, j’ai reculé, je suis tombé dans le piège ! »
Présenté au tribunal judiciaire de Nanterre, un homme a dû s’expliquer des menaces de mort proférées contre un homme qui s’était interposé entre lui et des personnes qu’il avait importuné avec agressivité et insistance dans la rue.
Ce mercredi dans la 16e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Nanterre, Monsieur T. avance sa grande silhouette fine à la barre en arrangeant son sweat gris, tandis que le juge énonce les faits qui lui sont reprochés : le 23 juin dernier dans la matinée, il a proféré des menaces de mort et sorti un couteau dans une rue de Clichy contre Monsieur S., absent de l’audience.
L’altercation commence entre Monsieur T. et un homme et une femme à la terrasse d’un café du centre-ville. Selon cette dernière, entendue par la police, le prévenu a eu un comportement agressif, a proféré des insultes avant de s’éloigner, puis de revenir à nouveau. C’est dans ce contexte que Monsieur S. est intervenu pour tenter de faire partir Monsieur T. qui tenait alors des propos incohérents en arabe, assortis de « Vous êtes des sheitans », des « diables », traduit le juge. En revenant sur les lieux, c’est là que le prévenu a sorti de la poche de son manteau une lame d’une vingtaine de centimètres face à la victime, qui a alors eu le réflexe de prendre une chaise pliante pour se défendre. Un autre témoin a également tenté de calmer l’agresseur.
Un prévenu esquinté par la rue
Durant l’audience, Monsieur T. écoute, garde les mains dans le dos. Quand il prend la parole, c’est pour affirmer que c’est en fait lui qu’on a menacé de mort, qu’il n’est pas venu pour s’en prendre à quelqu’un, qu’il n’a pas non plus insulté la femme. « Il m’a dit « Je vais te casser les dents » », assure-t-il en parlant de la victime. « J’ai eu plus peur de lui, comme c’est un arabe. Mais oui, j’ai traité de sheitan. » Enfin, il assure que c’est Monsieur S. lui-même qui lui a demandé de vider ses poches, et qu’il en a donc sorti un couteau en toute bonne foi. Il s’agite, semble presque mimer la scène.
– « Comment vous le teniez ? Dans la direction de qui ? »
Monsieur T. sautille presque sur place, comme s’il revivait l’altercation. Son débit de parole est rapide, des mots se fondent les uns dans les autres, au point qu’il est parfois difficile de le suivre. Les témoins tiennent des versions similaires qui le contredisent, rappelle le juge. « Vous vous souvenez qu’il a pris la chaise pliante ? » Le visage de Monsieur T. s’éclaire : « Il savait que j’allais rien faire ! Il a brandi la chaise, j’ai reculé, je suis tombé dans le piège ! »
Le rapport psychiatrique du prévenu ne montre pas d’anomalie mentale, ni d’abolition ou d’altération du discernement. Selon l’expert, Monsieur T. a un léger retard mental. Il souligne en outre une immaturité affective, ainsi qu’une consommation d’alcool et de cannabis. « Il a à moitié raison », reconnaît Monsieur T. S’il admet qu’il pourrait avoir besoin d’un suivi avec un psychologue ou un psychiatre, il ne voit personne, affirme qu’il n’en a pas les moyens. Il glisse à demi-mot avoir eu une enfance difficile, faite de traumatismes et de violences. L’enquête sociale montre qu’il vit dans un petit studio, seul, après avoir passé plusieurs années dans la rue, des circonstances qui expliquent sa consommation d’alcool. « Impossible de tenir, sinon ! », ajoute-t-il. Il touche le RSA. Dans son casier judiciaire, quatre condamnations, dont une dernière, récente, prononcée en avril 2023 pour des violences commises dans le métro où il a mordu la main de quelqu’un. À cette évocation, Monsieur T. rouspète. Le procureur en profite pour rappeler que le prévenu se savait sous le coup de cette condamnation et en attente d’un aménagement de cette peine avec un bracelet.
« Ne le faites pas moisir en semi-liberté ! »
Pour le procureur, le sentiment de menace de Monsieur T. pour expliquer son agressivité au moment des faits ne tient pas franchement la route. « Ce n’est pas quelqu’un de foncièrement méchant. Il a des difficultés mais il ne résiste pas à la frustration. C’était dans le métro en avril, cette fois, à une terrasse de café… mais on n’a pas à importuner les gens comme ça ! Quand on dit stop, il faut partir tranquillement. Le sursis probatoire n’a pas été suffisant, le bracelet non plus, les avertissements ne dissuadent pas. » Il requiert un an d’emprisonnement ferme avec un aménagement « de dernière chance ». Il préconise la semi-liberté comme une mesure adaptée à la situation de vulnérabilité du prévenu. Un moyen de pouvoir envisager sa réinsertion, un suivi des soins, tout en passant ses nuits en maison d’arrêt.
Au tour de l’avocate de Monsieur T. de prendre la parole. Elle donne des éléments de contexte à l’altercation, son lieu notamment : « Ça se passe dans sa rue, il essaie de rentrer chez lui, a cru reconnaître une amie d’une voisine qui lui aurait volé des choses. » Elle affirme que Monsieur T. n’a pas sorti un couteau en l’exhibant, mais qu’il a répondu à la demande de Monsieur S. de vider ses poches. « On aurait aimé qu’il soit présent pour clarifier ce point », souligne-t-elle. Son client a passé cinq ans dans la rue, cela ne fait que deux ans qu’il en est sorti. « Même en semi-liberté, vous allez le priver de ce studio, son toit, qu’il a mis des années à obtenir. Avoir des fenêtres, un chauffage, ça a un vrai sens pour lui. Ne le faites pas moisir en semi-liberté ! » Elle demande au juge la relaxe et la requalification des faits et que Monsieur T. soit condamné à effectuer des travaux d’intérêt général.
« Vous seriez d’accord pour des travaux d’intérêt général ? », s’enquit le juge. Monsieur T. acquiesce aussitôt. Au délibéré, il est finalement reconnu coupable et condamné à huit mois ferme aménagés en semi-liberté.
Référence : AJU010v9