TJ de Nanterre : « J’ai vu des gens mourir, c’est un autre monde, vous ne vous rendez pas compte… »
Présenté en comparution immédiate pour évasion alors qu’il était incarcéré en semi-liberté, un trentenaire a tenté de mettre en avant son état psychologique très fragile. Il avait déjà été présenté à la justice quelques semaines plus tôt pour le même motif… et devant le même juge !
Avant d’examiner le dossier de Lamine*, présenté en comparution immédiate devant la 16e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Nanterre, l’avocat de la défense présente ses conclusions de nullité. Il se base sur une décision de 2014 de la Cour de cassation concernant la réglementation ePrivacy du droit européen. Selon cette jurisprudence, ePrivacy porte atteinte à l’intimité de la vie privée. Ce sont en effet des techniques de géolocalisation qui ont permis de retrouver Lamine, une fois son absence constatée du quartier de semi-liberté de la prison de Nanterre.
« C’était une main tendue, cette peine de deux mois »
Le prévenu reconnaît les faits, explique qu’il voulait être aux côtés de sa mère qui a fait un AVC récemment. Sauf que pour Lamine, comme pour le juge, la scène a un goût amer de déjà-vu : il a jugé ce même prévenu pour les mêmes raisons quelques semaines plus tôt, et l’a condamné à une peine de deux mois. Le magistrat semble tiraillé entre un profond agacement et une sincère incompréhension :
– « Je vous ai dit quoi ? Je vous ai dit que votre mère a besoin de vous en semi-liberté, pas en détention ferme ! Et je vous retrouve dans des situations identiques. Je considère qu’il y a deux semaines, le tribunal a été clément avec vous. Qu’est-ce que le tribunal va pouvoir décider aujourd’hui ? »
Il marque une pause, on le sent réellement embêté par la situation. Il insiste : « C’était une main tendue, cette peine de deux mois. Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? » Lamine souhaite un suivi psychologique, ce à quoi le juge répond en détaillant les horaires auxquelles il a la possibilité d’être hors les murs : de 9 heures à 18 heures en semaine et de 10 heures à 17 heures le week-end : « Ça ne vous laisse pas le temps d’aller au premier CMP du coin ? Ce n’est pas audible de dire « Aidez-moi, j’ai besoin de soins ». »
Le prévenu a passé la nuit chez sa compagne au lieu de revenir à la maison d’arrêt. « Il a fallu vous géolocaliser, vous ne croyez pas que les forces de l’ordre ont autre chose à faire ? » Lamine était en semi-liberté depuis un mois, c’est donc sa seconde évasion. Il sera libérable en février 2026, mais comment maintenir cette échéance, s’interroge le juge, toujours aussi dépité. « Je ne sais pas de quoi on va parler d’autre, il en va de la crédibilité de l’institution judiciaire ! J’ai l’impression de refaire la même histoire. »
« C’est un autre monde, vous ne vous rendez pas compte… »
Si Lamine était particulièrement surveillé, c’est parce que sa dernière condamnation est en lien avec des faits de violences conjugales. Et son casier judiciaire contient d’autres mentions pour violences. À son tour d’expliquer ce qui l’a conduit à ne pas revenir au quartier de semi-liberté. Il semble très perturbé et fébrile. « J’ai dormi dans un parc et je suis reparti. J’avais besoin de voir ma compagne. J’ai essayé de me faire admettre à l’hôpital. » C’est là-bas qu’il a finalement été interpellé, alors qu’il voulait se faire interner.
Son avocat se permet d’ajouter un élément d’importance : Lamine a sérieusement envisagé de mettre fin à ses jours pendant cette période d’évasion. « Qu’est-ce qui ne va pas dans votre vie ? », veut savoir le juge. Lamine parle des conditions de détention : « J’ai vu des gens mourir, c’est un autre monde, vous ne vous rendez pas compte… »
Au vu de cette deuxième évasion, il apparaît que la mesure de suivi n’est pas adaptée, constate le ministère public, qui souligne que Lamine n’a d’ailleurs pas respecté ses obligations de soins. « Il n’est pas admissible qu’il fasse valoir l’état de santé de sa mère. » Est requise une peine de quatre mois d’emprisonnement et un maintien en détention.
« J’aime les films, et la vie de mon client, c’est comme du cinéma, sombre et lumineux », relate l’avocat de la défense. Il parle de l’enfance violente de Lamine, battu par son père, sa consommation d’alcool pour calmer ses angoisses. « Il a encore besoin qu’on lui tende la main. Je veux que ce film se termine bien », insiste-t-il. Il demande son retour au quartier de semi-liberté. Lamine prend la parole en dernier, il espère qu’on lui donnera une seconde chance.
« Il n’est plus possible de prononcer des peines comme celles dont vous avez bénéficié », tranche finalement le juge, qui déclare Lamine coupable et prononce une peine de quatre mois d’emprisonnement et son maintien en détention.
*Le prénom a été modifié.
Référence : AJU014s9