TJ de Nanterre : « Je leur ai dit vous avez tué ma femme, et maintenant vous allez me tuer moi »

Publié le 20/12/2024
Salle des pas perdus de Nanterre - Photo Pierre Anquetin
Salle des pas perdus du Palais de justice de Nanterre (Photo : ©P. Anquetin)

Un sexagénaire inscrit au Fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes, après une condamnation pour agression sexuelle incestueuse, n’a pas jugé opportun de justifier de son domicile. Devant la juge, ses tendances paranoïaques sont rapidement ressorties.

Monsieur Z. est introduit dans le box de la 16e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Nanterre. L’homme d’une soixantaine d’années a été placé en détention provisoire quelques semaines plus tôt. Il comparaît pour non-justification de son adresse alors qu’il est inscrit au Fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (Fijais).

Les faits s’étalent de 2022 à 2024 puisqu’il aurait dû se présenter au commissariat de son domicile du Plessis-Robinson tous les six mois. D’abord présenté devant la justice en octobre, Monsieur Z. a vu son audience renvoyée à ce jour dans l’attente d’une expertise psychiatrique. La juge rappelle les faits : suite à une condamnation en décembre 2018, Monsieur Z. devait justifier semestriellement de son adresse. Il a fait l’objet d’une alerte dès juin 2022. Interpellé et placé en garde-à-vue, il a reconnu qu’il n’a pas fait cette démarche tout simplement parce qu’il n’était pas au courant qu’il devait le faire. Sa condamnation lui impose de déclarer son domicile jusqu’en 2048.

« J’ai vu la juge d’application des peines l’an dernier, mais je ne me suis pas présenté au commissariat, la SPIP ne me l’a pas expliqué. Je savais qu’il me manquait quelque chose, mais je ne savais pas quoi », déclare-t-il devant la juge.

« Ne vous inquiétez pas, vous en avez déjà parlé »

Monsieur Z. est un bavard, il embraye directement sans vraiment qu’on lui pose de questions sur sa situation médicale. Il raconte avoir été baladé entre plusieurs CMP entre Sainte-Anne, Malakoff et Clamart pour obtenir un suivi psychiatrique. « On m’a donné deux cartes vitales, mais aucune ne marche ! »

La juge aborde sa situation personnelle. Cet ancien analyste et programmateur qui a grandi en Yougoslavie et en Suisse est aujourd’hui veuf. De nouveau, Monsieur Z. prend la parole et évoque le décès de sa femme pour lequel il met en cause un hôpital contre qui il a essayé de porter plainte. Mais c’est lui qui a fini en garde-à-vue, dénonce-t-il : « Je leur ai dit vous avez tué ma femme, et maintenant vous allez me tuer moi ! »

C’est le moment opportun pour la juge d’examiner l’expertise psychiatrique qui mentionne les « idées délirantes de persécution et de grandeur » de Monsieur Z. Le prévenu a un trouble psychique majeur, une tendance à surévaluer son importance, un caractère soupçonneux et un délire de type paranoïaque. Dans le box, il maugrée silencieusement. L’expert a estimé que ses troubles ont pu altérer son discernement, et qu’il est partiellement accessible à une sanction pénale.

Monsieur Z. demande la parole et se lance aussitôt dans un récit autour des attentats du 13 novembre 2015 et d’un déplacement en Syrie. La juge l’interrompt : « On a tous les éléments, ne vous inquiétez pas, vous en avez déjà parlé. »

Il vit désormais seul et sans ressources. « J’ai un livre publié sur mon Facebook », lance-t-il. Son casier judiciaire comporte quatre mentions, dont une pour violences sur conjoint. En 2018, il a été condamné à cinq ans d’emprisonnement pour agression sexuelle incestueuse, et détention et diffusion d’images à caractère pornographique.

Après une nouvelle digression obscure de Monsieur Z., la juge met les choses au clair calmement : « On va écouter les réquisitions, ensuite votre avocat, et vous aurez la parole en dernier. »

« Il prétend qu’il n’était pas au courant, il l’était »

Pour le parquet, Monsieur Z. a bien reçu toutes les informations lui indiquant de justifier de son domicile. « Il dit qu’il n’était pas au courant, mais on a cette notification à domicile, il a été suivi par le SPIP. Il prétend qu’il n’était pas au courant, il l’était. » Quelle peine serait la plus adaptée pour ce profil pénal « assez inquiétant » ? « On est sur des infractions graves qui justifient ce suivi important par les services de police et de justice. Et on a un souci sur le fait de répondre à ces obligations. » Elle se réfère à une expertise psychiatrique effectuée en 2020 qui soulignait alors des troubles paranoïaques sévères et une difficulté à éprouver de l’empathie. « Je demande six mois d’emprisonnement ferme avec maintien en détention, car il n’est pas accessible au sursis simple. »

Comme attendu, Monsieur Z. tente de prendre la parole en levant le doigt comme un enfant. « Pas maintenant Monsieur ! » Son avocate entend souligner une question dans ce dossier : « Cette soustraction est-elle volontaire ou non ? Il n’avait pas compris la démarche, n’était pas informé, le SPIP n’a rien fait dans ce sens. C’est factuel, mais pas intentionnel. » Elle insiste sur le fait qu’il n’a commis aucune infraction depuis sa sortie de prison. Pour elle, la réquisition de la procureure est assez sévère : « On ne condamne pas un malade, Monsieur Z., pour moi, est malade. »

Comme prévu Monsieur Z. a la parole en dernier. Il relate son entretien avec l’expert psychiatre en 2020, digresse sur son rapport aux femmes et une anecdote liée au Rainbow Warrior, avant de laisser entendre que le rapport d’entretien qu’il a consulté est faux. « C’est noté, Monsieur, on a compris », conclut la juge.

Il est déclaré coupable et la juge retient l’altération du discernement. Elle prononce une peine de quatre mois d’emprisonnement. Monsieur Z. sera convoqué par le juge d’application des peines : « Soit ce sera aménagé, soit il faudra faire cette peine en détention. Et il faut aller justifier de votre adresse, Monsieur Z. ! »

– « Là je fais quoi, je vais où ?

– Là vous rentrez chez vous et vous allez être convoqué… Vous rentrez chez vous, vous vous tenez à carreau, vous attendez la convocation et vous allez justifier de votre adresse au commissariat ! »

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