TJ de Nanterre : « La dernière fois que j’ai donné mon mot de passe, ils ont gardé mon téléphone ! »

Publié le 17/12/2024
Salle des pas perdus de Nanterre - Photo Pierre Anquetin
Salle des pas perdus du Palais de justice de Nanterre (Photo : ©P. Anquetin)

Refuser de donner ses codes de téléphone, alors que des documents prouvant sa bonne foi s’y trouvent, c’est le choix hasardeux qu’a fait ce jeune prévenu, interpellé pour transport, détention, offre ou cession et acquisition non autorisée de stupéfiants en récidive.

Interpellé à Meudon au volant d’une voiture, Souleymane* souhaite être jugé aujourd’hui dans le cadre de la procédure de comparution immédiate. Il a été contrôlé la veille car il n’avait pas mis son clignotant et qu’il utilisait son téléphone en conduisant. Dans l’habitacle, régnait une forte odeur de cannabis. Les policiers y ont trouvé deux empaquetages de cannabis pour un total de 250 grammes. En audition, Souleymane a d’abord refusé de s’exprimer, mais aussi de donner ses codes de téléphone. Il a fini par reconnaître une partie des faits, affirmant qu’il travaille comme chauffeur et que le cannabis était simplement dédié à sa consommation personnelle.

Devant la juge de la 16e chambre correctionnelle, le prévenu maintient qu’il était au volant d’une voiture louée à des fins professionnelles. Il tente d’expliquer par la même occasion pourquoi la location est prolongée d’un jour sur l’autre, sans vraiment convaincre de l’intérêt d’une telle manœuvre. La géolocalisation montre effectivement qu’il circulait au quotidien dans toute l’Île-de-France. S’ensuit un dialogue de sourds entre la juge et Souleymane :

– « Vous pouvez justifier de votre activité ?

– C’est dans mon téléphone.

– Bah c’est dommage, il aurait fallu permettre de le déverrouiller !

– Oui mais j’allais pas le récupérer ensuite !

– Mais s’il y avait les preuves de votre travail dedans ?

– Mais j’allais pas récupérer mon téléphone !

-… Mais là, maintenant, vous l’avez votre téléphone ? !

-…

– Je comprends pas bien votre raisonnement.

– Ça servait à rien, la dernière fois que j’ai donné mon mot de passe, ils ont gardé mon téléphone !

– Vous comprenez qu’on puisse penser que vous livrez des produits stupéfiants ?

– Mais c’est pas le cas. »

Souleymane insiste et persiste, il travaillait bien ce jour-là. La juge reste perplexe, surtout en l’absence d’éléments concrets pour l’attester :

– « Vous avez des feuilles de paie ?

– Oui. Tout ça, c’est sur mon téléphone.

– Ça aurait pu être un élément à décharge si vous les aviez montré aux policiers ! »

« Seize mois, pour un jeune qui travaille, ce serait un coup d’arrêt à son insertion ! »

Le procureur rebondit, quant à lui, sur le cannabis retrouvé dans la voiture : « 250 grammes pour 350 euros ? C’est une bonne affaire ! raille-t-il. C’est pas vraiment les prix du marché ! » Le prévenu reste stoïque face à l’ironie cinglante.

Dans son casier judiciaire, cinq condamnations, dont une en 2024 qui doit être effectuée avec un bracelet électronique. Aujourd’hui, Souleymane travaille en intérim et vit chez ses parents.

« En moins d’un an, il a été mis en cause plusieurs fois », constate le ministère public. Demeure une difficulté à ses yeux : les faits de possession sont-ils attestés ? Aucun élément ne permet de montrer s’il était en train de livrer des produits stupéfiants… puisqu’il a refusé de donner les codes de son téléphone. « Les avertissements et les aménagements ont échoué, il persiste dans la délinquance, il fait peu de cas des opportunités que lui présente la justice. » Pour ces raisons, le procureur requiert 16 mois d’emprisonnement avec mandat de dépôt.

Sur le refus de donner ses codes de téléphone, la défense affirme que l’infraction n’est pas matériellement caractérisée et s’appuie sur la jurisprudence selon laquelle lorsqu’un prévenu est interrogé, l’officier de police judiciaire doit poser la question une seconde fois pour s’assurer que la personne a bien compris que ce refus constitue une infraction. Or le procès-verbal montre que la question n’a été posée qu’une seule fois à Souleymane, puis à nouveau lors de la seconde audition. « Mais pas dans un laps de temps immédiat, souligne l’avocate. Je demande la relaxe sur ce point. » Deux sachets non conditionnés, ce sont des circonstances peu pratiques pour une livraison « stop and go », ajoute-t-elle. La version de Souleymane est de plus corroborée par son père qui a déclaré que le jeune homme a travaillé comme technicien fibre optique puis dans la livraison ces derniers mois. « Seize mois, pour un jeune qui travaille, ce serait un coup d’arrêt à son insertion ! » Elle demande une peine mixte avec sursis probatoire et obligation de soins.

Souleymane est relaxé pour les faits d’offre et cession de stupéfiants. Pour le surplus, il est condamné à douze mois de détention avec un mandat de dépôt.

*Le prénom a été modifié.

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