TJ de Nanterre : « Le fait qu’elle vous enregistre à votre insu, ça vous fait quelque chose ? »

Publié le 07/10/2024
TJ de Nanterre : « Le fait qu’elle vous enregistre à votre insu, ça vous fait quelque chose ? »
Viktoria/AdobeStock

Un dossier de violences conjugales s’est joué parole contre parole avec un prévenu qui a nié jusqu’au bout avoir été violent et avoir menacé de mort son épouse, et une victime visiblement encore en état de choc.

« Je vais te tuer, je vais te couper en morceaux et t’enterrer dans la forêt ». Ce sont les menaces de mort pour lesquelles Monsieur C., petit homme en costume gris, comparaît devant la 20e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Nanterre. Il est aussi accusé de violences contre son épouse pendant la même période, entre janvier et juillet 2023. S’ajoutent enfin d’autres menaces de mort contre la personne de Monsieur P., absent de l’audience.

Le 3 juillet 2023, la police est appelée à intervenir au domicile du couple à Clamart. Une dispute a éclaté : après avoir découvert qu’elle l’enregistrait, il a attrapé de force son téléphone en tirant sur le cordon de sa bandoulière. Il a ensuite cassé le portable. Madame C. a expliqué s’être réfugiée dans sa voiture. Garée dans la rue voisine, elle a pu compter sur l’aide d’un passant pour appeler un proche de sa famille. C’est lui qui a été pris à partie par Monsieur C. : « Toi je te retiens, je te retrouverai !  » Mme C. a porté plainte le lendemain.

Le couple est marié depuis 2021 et suivait une procédure d’aide médicale à la procréation en raison d’un problème de fertilité. Les disputes étaient fréquentes mais ont pris une tournure plus sérieuse début 2023. Madame C. a affirmé aux policiers que son mari menaçait de s’en prendre à sa famille et de mettre le feu à la maison de sa mère. Interpellé et mis en garde-à-vue, Monsieur C. a évoqué une « bousculade réciproque » mais a contesté les violences et les menaces.

« Non, je ne suis pas sorti de mes gonds »

Conteste-t-il toujours les faits ? « Ils ne sont pas exacts », explique le prévenu. Il revient sur l’élément déclencheur du 3 juillet 2023. « Elle commence à me provoquer, me traite de nul, je la vois tenir son portable de manière inhabituelle. » Il comprend qu’elle enregistre leur accrochage. Il s’approche, tire sur le cordon du portable et réussit à le déverrouiller. Il découvre alors d’autres enregistrements.

– « Le fait qu’elle vous enregistre à votre insu, ça vous fait quelque chose ?

– Ça m’a choqué. Je lui ai dit : « tu t’en vas »».

Il raconte la colère qui l’a envahi, parle de son engagement dans leur projet de PMA et de la déception provoquée par cette découverte. Mais maintient ne pas avoir commis de violences sur Mme C., qu’elle est descendue de son plein gré au sous-sol de la maison. Toutefois, il reconnaît avoir cassé son portable en le cognant contre son scooter. Quant à Monsieur P., il dit avoir « juste lâché cette phrase ».

– « Il ne devait pas se mêler de ça.

– Vous reconnaissez être sorti de vos gonds ?

– Non, je ne suis pas sorti de mes gonds. J’ai senti que j’ai été pris pour un abruti. L’arrivée d’un enfant aurait enclenché le divorce. La sincérité n’était pas dans ce projet de PMA. »

« Il m’a attrapé par le bras et m’a tiré pour descendre au sous-sol »

L’avocate de la partie civile l’interroge sur sa version changeante quant à l’altercation avec Monsieur P., puisqu’il a d’abord nié ses propos. « Avec le recul, oui, je les ai dits. Ça a dépassé ma pensée. » Son avocate prend le relais et aborde les menaces de mort dont il est accusé :

– « Vous comprenez que c’est la fin de votre couple. Sous le coup de la rage, vous pouviez avoir des mots.

– C’est pas ma nature d’insulter. J’essaie plus d’être blagueur, pour désamorcer la situation ».

Madame C. rejoint la barre. Elle n’a pas quitté sa parka blanc crème. Elle semble terrorisée, murmure au point que même la présidente peine à entendre. Sa voix tremble, couverte par des sanglots. Derrière elle, Monsieur C. fixe le sol, abattu. Elle revient sur la dispute du 3 juillet : « Il m’a attrapé par le bras et m’a tiré pour descendre au sous-sol. Il avait mon téléphone à la main, il a donné plusieurs coups contre son scooter. Il m’a juste laissé les clés de ma voiture. J’ai démarré, je savais pas où aller. » Elle maintient les menaces de mort et les violences. Son avocate évoque une autre plainte récente : Madame C. affirme avoir été suivie par deux individus à Nantes, ville où elle réside désormais. « Le prévenu avait déclaré qu’il connaissait du monde à Nantes », souligne son conseil.

La présidente est face à deux versions incompatibles, tandis que les deux avocates ne manquent pas une occasion de signaler ce qu’elles pointent comme des mensonges ou des approximations de leurs clients respectifs, sur les revenus de l’un ou le lieu de résidence de l’autre.

« C’est parole contre parole »

« Un an après, elle est toujours en état de choc, constate l’avocate de Madame C. J’avais peur qu’elle n’arrive pas à venir devant vous. » Elle déplore un prévenu qui « systématiquement se dédouane et n’assume pas sa violence ». Menaçant envers sa femme mais aussi la famille de celle-ci, aurait-il pu s’en prendre à eux d’une façon détournée ? L’avocate n’hésite pas à lier le prévenu à trois tentatives de cambriolage dont ont été victimes des membres de la famille de Madame C. Une déduction en amenant une autre, elle rappelle aussi la plainte de sa cliente déposée cette année : « Je ne peux pas établir que Monsieur a commandité deux personnes pour la suivre… mais c’est troublant ! Ça fait beaucoup de coïncidences. » Elle martèle que cette procédure pénale ne vise pas à « grossir un dossier de divorce ».

Concernant les menaces contre Monsieur P., le parquet demande la relaxe, les faits ne sont pas assez caractérisés. Même chose en ce qui concerne les menaces de mort : « C’est parole contre parole, sans témoins, sans éléments, le doute doit profiter à l’accusé. » Quant aux violences, la procureure demande une relaxe partielle et de ne retenir que les faits du 3 juillet 2023. « Oui il y a eu des violences ce jour-là, dans un contexte familial et conjugal compliqué. » Elle requiert une peine de sursis simple de six mois, avec interdiction de contact et de paraître au domicile et un stage de sensibilisation aux violences conjugales.

La défense rappelle d’abord l’histoire de ce couple, qui se connaît depuis l’enfance, leurs familles claniques, un climat délétère. Pour l’avocate, son client n’a pas le profil : « Ce n’est pas une habitude des hommes violents de dire « tu t’en vas ». Au contraire, ils veulent rester avec leur femme. » Elle conteste aussi les violences : « Elle dit avoir été traînée, prise par le bras, rien n’apparaît dans le certificat médical, seulement le frottement du cordon sur son cou. Les déclarations de Madame ne sont pas cohérentes. » Elle demande la relaxe et charge la victime : « J’ai versé au débat quelque chose de désagréable : le témoignage du premier mari de la victime, qui la décrit comme colérique, impulsive. Elle lui interdisait d’appeler sa mère. »

Monsieur C. prend la parole en dernier. « J’ai jamais voulu ça, j’ai toujours voulu notre bonheur. Je veux qu’elle continue son chemin. » Il est déclaré coupable pour les seules violences commises le 3 juillet 2023, et relaxé du surplus. Il est condamné à trois mois de sursis simple.

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