TJ de Nanterre : « Menotté et capable de faire ça à un fonctionnaire de police, c’est inquiétant ! »

Publié le 06/01/2025
TJ de Nanterre : « Menotté et capable de faire ça à un fonctionnaire de police, c’est inquiétant ! »
Palais de Justice de Nanterre (Photo : ©P. Anquetin)

Chantait-il un morceau de Fresh LaDouille ou insultait-il des femmes dans une gare de RER ? En comparution immédiate pour outrage, mais aussi agression sexuelle, le prévenu a clamé qu’il s’agissait d’une série de malentendus, notamment concernant une main aux fesses contre une fonctionnaire de police alors qu’il était emmené au commissariat.

Pour un outrage à une agente de la RATP, puis pour une agression sexuelle commise en récidive et en état d’ivresse, Monsieur G., un trentenaire originaire de Levallois-Perret, est présenté en comparution immédiate devant la 16e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Nanterre.

Seule une des victimes est présente sur le banc des parties civiles, Madame L., qui a subi l’agression sexuelle. Les faits se sont déroulés à la gare RER d’Antony, où la police a été appelée parce qu’un homme avait proféré des insultes devant l’agence RATP, des « sale pute » et « salope » une première fois dans la soirée, avant de revenir deux heures plus tard. Les policiers ont constaté son comportement agité, des propos incohérents (« Je vais mourir en martyr ») et une forte consommation d’alcool. Emmené à bord du véhicule de police, Monsieur G. a été placé au centre de la banquette arrière, menotté, entre deux agents, dont Madame L. du côté droit. Cette dernière a essayé de discuter pour calmer la situation. C’est alors qu’elle a senti un mouvement au niveau de sa fesse gauche et s’est décalé. Sentant une nouvelle pression, elle a allumé sa lampe et a vu les mains menottées toucher sa fesse.

Aux policiers, Monsieur G. a contesté les insultes à l’agente RATP et a affirmé avoir cherché une position plus confortable dans le véhicule de police. En garde-à-vue, mécontent du plat qui lui a été servi, il a aussi uriné sur la porte de sa cellule.

« Je veux vraiment m’excuser si elle a mal pris »

Devant la juge, le prévenu nie les insultes : il avait ses écouteurs et rappait tout haut. « Une chanson qui disait “pute”, “salope” ? », interroge la juge, perplexe.

– « C’est la musique que j’écoutais, Madame.

– Ça ne correspond pas non plus au visionnage de la vidéo, où on voit un échange.

– Y’a pas d’échange, j’ai rien à voir avec ça, Madame.

Monsieur G. nie tout comportement agressif, mais reconnaît qu’il avait bu un flash. Qu’en est-il de l’agression sexuelle subie par Madame L. ? « J’ai rien à voir avec la dame », répète-t-il en montrant ses mains.

– « Vous maintenez que c’était involontaire ?

– Non, non, Madame, rien à voir, elle m’expliquait que j’allais sortir bientôt que j’allais pas rester longtemps en garde-à-vue. Je vous jure, c’est un malentendu, je veux vraiment m’excuser si elle a mal pris. »

Et le problème avec le repas ? Encore un « malentendu », maintient-il. Madame L. se présente à la barre. Son récit est précis sur le déroulé des événements : « Je sens quelque chose me toucher la fesse gauche, mais je me dis que c’est quand même pas ça. Je me décale vers la portière. Je sens à nouveau, j’allume ma lampe et là je vois ses doigts sur ma fesse. C’est là que j’ai dit « C’est toi qui me touche le cul depuis tout à l’heure ?! ». Elle se dit choquée : « Menotté et capable de faire ça à un fonctionnaire de police, c’est inquiétant ! Notamment quand on est une femme, on se dit qu’on va faire attention maintenant. Nous on s’adapte. Pas le choix. »

A-t-elle déjà subi de tels comportements. « Des interpellations compliquées, oui, mais à ce point, non, pas au niveau sexuel. » Elle réfléchit à comment éviter que cela se reproduise. « Même mon collège m’a dit qu’il s’en voulait de pas avoir mis l’individu au côté droit et de pas s’être mis au milieu », une possibilité puisque la sécurité enfant du véhicule est active de ce côté.

« Ça a rien à voir avec l’alcool »

Après quelques questions à la victime sur la taille de la voiture et le gabarit de ses occupants ce jour-là, l’avocat de Monsieur G. s’oriente vers une étrange démonstration :

– « Vous prenez les transports ?

– Oui, le RER ou le métro.

– Vous avez déjà pris les transports en heure de pointe ?

– Oui.

– Il y a la place pour circuler en heure de pointe ?

– On est collés les uns aux autres…

– Parfois, sans faire exprès, on touche les gens à gauche et à droite…

– Oui enfin, pas les fesses. »

Le parquet veut revenir sur l’outrage :

– « J’entends votre version des faits. C’est quoi le titre de la chanson que vous écoutiez ?

– Fresh LaDouille, Autre Part.

– Je vais regarder sur internet. »

L’avocat de Monsieur G. entend montrer que l’attitude de son client aux abords de l’agence RATP étaient bien moins menaçante et agressive que cela a été décrit par la plaignante, en s’appuyant notamment sur les images de vidéosurveillance.

Monsieur G. a 31 mentions à son casier, pour du vol, de la conduite sans permis, des violences, de l’usage de stupéfiants, ou encore exhibition sexuelle. Il est sorti de détention trois mois plus tôt.

– « Monsieur, vous avez été condamné plus de 30 fois dans votre vie, avec beaucoup d’outrages et de menaces, comment vous l’expliquez ?

– Ça a rien à voir, c’est quand j’étais impulsif.

– Au vu de votre comportement en garde-à-vue, vous l’êtes toujours. C’est lié peut-être à l’alcool ?

– Ah non, ça a rien à voir avec l’alcool. »

Il vit aujourd’hui chez ses parents, travaille depuis un mois en CDI comme préparateur de commandes à la Fnac. Lors de l’enquête sociale, il a refusé de donner le numéro de ses proches. « Je veux pas inquiéter ma mère, elle va s’inquiéter pour rien, elle sait que j’ai trouvé un travail », explique-t-il en maintenant que tout est un malentendu : « J’étais au mauvais endroit au mauvais moment. »

« Il se ment un peu à lui même »

Le conseil de la partie civile salue le courage de Madame L., qui tacle au passage la défense pour ses questions « inappropriées » et « sans rapport avec le dossier » : « Ce n’était pas évident de faire venir Madame, c’est déjà difficile en tant que victime d’une agression sexuelle dans une salle d’audience qui n’est pas vide, mais aussi dans sa qualité de policière. C’est un dossier d’agression sexuelle dans l’exercice de ses fonctions. Sa qualité contextualise, mais ce n’est pas une circonstance aggravante. Ce n’est pas normal ni dans le RER, ni dans une voiture de police. » L’avocate demande 1 000 euros au titre du préjudice moral.

« Il se ment un peu à lui-même », résume le procureur qui après avoir lu les paroles du morceau de Fresh LaDouille, n’a vu aucune occurrence des mots « pute » ou « salope » : « C’est peut-être une autre chanson, en tout cas, ce n’est pas celle qu’il a choisie pour cette audience. Soit il se trompe et c’est dommage. Soit il n’assume pas. Et je penche pour la seconde hypothèse. » Il ne croit pas non plus un seul instant que les mains du prévenu se soient retrouvées sous les fesses de la victime sans faire exprès. « Ça a glissé tout seul, enfin, ce n’est pas crédible ! Il est au milieu, dans une voiture spacieuse et familiale, avec deux personnes pas corpulentes. Sa position est intenable. Je rejoins la défense, on peut malencontreusement toucher les fesses, mais c’est fugace, on dit qu’on n’a pas fait exprès. » Le ministère public veut faire en sorte que Monsieur G. se prenne en charge, notamment par rapport à l’alcool. Il requiert 18 mois d’emprisonnement dont 6 assortis du sursis probatoire, avec mandat de dépôt « pour comprendre la gravité de ses actes et travailler sur soi-même, sur son rapport au corps des autres. »

Pour la défense, ce dossier n’a aucun élément à charge. L’agente qui accuse son client d’outrage n’est pas présente : « Des insultes qu’elle a prises pour siennes, mais qui ne sont pas corroborées, son collègue l’a dit, une personne déchaînée a proféré des insultes mais en était-elle destinataire ? On ne voit pas d’échange avec Madame sur les images de vidéosurveillance. » Quant à la chanson, l’avocat rappelle qu’il serait bien en peine de dire quelle chanson il écoutait deux jours plus tôt, quoi qu’on pense du rap. Les éléments ne confirmant pas la parole de la victime, il demande la relaxe pour l’outrage. Pour les faits d’agression sexuelle, il rappelle que personne ne dit que la victime n’a pas été touchée et que son client s’est excusé dès son audition par la police. « Mes questions ont du sens : je prends la ligne A en heure de pointe, c’est toujours plein à craquer, on a du mal à rentrer. Je peux vous dire que même moi j’ai pu toucher dans des zones pas appropriées. » Reste que selon lui, Monsieur G. cherchait à soulager sa posture et n’avait aucune intention de commettre ce geste. Il demande là encore la relaxe. « Moi je chantais, marmonne Monsieur G., j’ai rien à voir avec elle, je la connais pas, je sais pas pourquoi elle a dit ça. C’est un malentendu. »

Au délibéré, il est reconnu coupable et condamné à 18 mois d’emprisonnement dont 8 assortis du sursis probatoire avec obligation de soins en addictologie, obligation de travailler et d’indemniser les victimes qu’il a interdiction de contacter. Monsieur G. baisse la tête d’un air buté, ne veut pas signer le papier qui lui tend la greffière. Il s’agace, est menotté et sorti du box.

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