TJ de Nanterre : « Moi, dans ma tête, j’avais vraiment le permis » !
Présenté au tribunal judiciaire de Nanterre en comparution immédiate pour conduite malgré l’injonction de restituer son permis et usage de stupéfiants en récidive, le prévenu a argué qu’il avait été victime d’une usurpation d’identité qui aurait été la cause de sa perte de points. Difficile pour autant de convaincre le juge de sa bonne foi…
T-shirt de sport blanc et fluo assorti à son pantalon de survêtement, Monsieur D. a une allure de grand gamin avec son visage rond et souriant. Il est présenté dans le box de la 16e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Nanterre pour conduite alors qu’on lui a retiré son permis après la perte de tous ses points, et récidive de conduite sous usage de stupéfiants.
Monsieur D. reconnaît la conduite après avoir consommé du cannabis mais pas la conduite malgré l’injonction de restituer son permis. Selon lui, le retrait de ses points n’est pas de son fait, il est même le résultat d’une usurpation d’identité : « Une personne conduisait en mon nom. » Le juge veut s’assurer qu’il a bien compris : « Pour vous, vous avez toujours votre permis ? » Pourtant, un courrier lui a bien été envoyé pour l’informer du retrait de ses points après un contrôle en janvier 2023. « J’étais pas du tout au courant, sinon j’aurais pris le train », clame le prévenu. « Moi, dans ma tête, j’avais vraiment le permis » !
« Le mariage ne vous réussit pas… »
S’ensuit un match de ping-pong verbal lunaire entre Monsieur D. et le juge qui tente de lui faire comprendre que dans la configuration actuelle, jamais il n’aurait dû prendre le volant, peu importe ce qu’il croit, peu importe qu’il ait porté plainte pour usurpation d’identité. « Avez-vous été notifié du retour de votre permis ? Donc, on reste sur l’information selon laquelle vous n’avez plus de points ! » Le prévenu négocie, argue qu’il a lancé les démarches. « Vous continuez à prendre votre véhicule, vous ne vous souciez pas de savoir si c’est résolu ou pas ! », s’emporte le juge, estomaqué par l’immaturité du prévenu.
Monsieur D. s’est marié en mai dernier, et vit chez sa conjointe. Il a fait beaucoup de petits boulots, n’a pas de pathologies connues, il avait réussi à arrêter le cannabis, mais a finalement repris.
– « Le mariage ne vous réussit pas…
– Oh non…», veut rectifier le prévenu, dont l’avocat ajoute aussitôt « son épouse est dans la salle ».
Sa reprise s’explique par des problèmes dans sa famille, ainsi que la fin prématurée de son entreprise de location de voitures. Il a deux condamnations en cours, 140 heures de travaux d’intérêt général et neuf mois de sursis probatoire. Sur ce dernier point, le juge est particulièrement dépité :
– « Sur les six convocations du suivi du Service pénitentiaire d’insertion et de probation, vous n’en avez honoré que deux.
– C’est à cause de mon changement d’adresse, avec le mariage j’ai été débordé…
– Vous étiez débordé avec le mariage ? Est-ce que votre obligation, c’est pas plutôt d’honorer ces convocations ? »
« J’aurais tendance à croire que peut-être vous vous moquez un peu de moi ! »
Les justifications ne semblent pas convaincre le juge, passablement agacé : « Ça commence à me tendre », lâche-t-il, face au peu de sérieux de ce prévenu qui n’a pas transmis son adresse lui permettant de recevoir ses convocations. « Je vous le rappelle, vous exécutez une peine. Entre mai et septembre, on est dans le néant. »
Au casier judiciaire de Monsieur D., 16 mentions sont recensées. « Au bout d’un moment, vous ne laissez plus beaucoup le choix au tribunal », déplore le juge. « Votre personnalité montre que quand on tente de vous faire confiance, c’est difficile. Je n’aimerais pas être votre juge d’applications des peines ou votre conseiller. J’aurais tendance à croire que peut-être vous vous moquez un peu de moi ! »
Le prévenu ne se laisse pas démonter : « Je dis la vérité, j’ai demandé les convocations, j’ai les messages à Madame la SPIP sur mon portable. » Le juge d’applications des peines se dit favorable à une révocation très partielle du suivi.
« 600 personnes meurent chaque année dans des accidents liés à la consommation de stupéfiants », tient à rappeler la procureure. Dans son réquisitoire, elle rappelle qu’il « ne suffit pas de porter plainte pour faux pour être exonéré. » Selon elle, le prévenu a pleinement conscience qu’il ne devait pas conduire, mais veut croire à son évolution, telle que cela est souvent constaté chez les hommes qui atteignent la trentaine et s’assagiraient en se mettant en couple et en fondant une famille. « J’espère que c’est le cas. » Elle requiert neuf mois d’emprisonnement aménagés avec une surveillance électronique.
L’avocat de la défense connaît bien son client, il le conseille depuis longtemps, au point que c’est la famille qui l’a prévenu de cette nouvelle infraction. « Monsieur D. ne voulait pas trop me dire, la honte s’installe quand on grandit. » Il note une réelle évolution dans la personnalité de son client, du fait de s’être marié, d’avoir coupé avec certaines relations. Le bracelet électronique lui semble une bonne mesure : « Il a besoin de se ressaisir. »
Au délibéré, il est reconnu coupable et condamné à sept mois d’emprisonnement, avec la révocation de son sursis à hauteur de trois mois. Sa peine sera aménagée à domicile sous surveillance électronique. Monsieur D. jubile dans le box, trépigne et fait signe à son épouse et à sa petite sœur dans la salle, au grand dam du juge qui roule des yeux et le rappelle à l’ordre : « La case prison n’est pas loin, cette peine, c’est une faveur. »
Référence : AJU011b1