TJ de Nanterre : « Monsieur continue à prendre des choses qui ne lui appartiennent pas » !

Publié le 21/03/2024
TJ de Nanterre : « Monsieur continue à prendre des choses qui ne lui appartiennent pas » !
Andrey Popov/AdobeStock

En comparution immédiate devant le tribunal judiciaire de Nanterre, un homme arrivé en France quelques mois plus tôt a dû répondre de vol et d’escroquerie avec récidive. Un geste désespéré, motivé par la seule nécessité de subvenir à ses besoins.

Une interprète prête serment alors que Monsieur M. pénètre dans le box de la 16e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Nanterre. Deux jours plus tôt, cet Algérien d’une trentaine d’années a été appréhendé à Colombes pour un vol de sacs à main et avoir tenté de payer des courses avec une carte bancaire qui ne lui appartenait pas. Les deux victimes ne sont pas présentes à l’audience. Lui est en récidive légale après une condamnation quelques mois plus tôt pour des faits similaires. Des faits qu’il reconnaît.

« Qu’est-ce qu’on fait quand on trouve un sac par terre ? »

La plainte vient de deux femmes, toutes deux livreuses chez Amazon, qui se sont vues dérober leur sac dans leur véhicule alors qu’elles étaient en service. Ce sont des commerçants qui ont permis d’appréhender Monsieur M. qui tentait de procéder à un paiement le jour même avec l’une des cartes bancaires dérobées.

– « Est-ce que vous avez pris les sacs ?

– J’ai trouvé les sacs.

– Où ?

– À la gare de La Garenne-Colombes

– Où dans la gare ?

– J’allais à la gare pour me faire soigner. Les sacs étaient par terre ».

Dans le box, il plie et déplie sa main avec précaution comme pour signifier son état.

« Qu’est-ce qu’on fait quand on trouve un sac par terre ? », insiste le juge. En garde-à-vue, Monsieur M. a expliqué avoir choisi d’utiliser les cartes pour s’acheter des denrées alimentaires. Mais sa version des faits n’est pas constante et cela a tendance à fatiguer le juge.

– « Vous les avez trouvées où, ces cartes bancaires ? En garde-à-vue, vous avez dit les avoir volés dans le véhicule.

– Je les ai trouvées à côté de la voiture.

– Faut être un peu sérieux, Monsieur.

– En face de la gare de La Garenne-Colombes.

– Elle est comment cette voiture ?

– C’est un fourgon.

– Un fourgon de livraison.

Colombes ou La Garenne-Colombes ? Toutes les parties s’accordent pour dire que ce n’est pas au même endroit du tout. Le prévenu parle de la gare de La Garenne-Colombes, mais la plainte indique la ville de Colombes. Qu’à cela ne tienne, les questions se poursuivent.

L’avocate de Monsieur M. insiste : « Vous êtes entré dans le fourgon ou vous avez trouvé les sacs par terre ? » Ils étaient par terre, répète le prévenu par la voix de son interprète. « Vous avez eu l’impression que c’était abandonné ou de prendre quelque chose à quelqu’un ? Les cartes, vous les avez prises dans un sac ? »

Monsieur M. a bien vu les sacs, c’est là qu’il a pris les cartes bancaires, ainsi que 25 euros. Il raconte avoir marché puis posé les sacs avant de s’éloigner. Il explique être en mauvaise santé, et avoir subi une opération de la main : « Je suis perturbé ».

– « Ça signifie quoi ?

– Je suis stressé. »

Un mois plus tôt, Monsieur M. a été présenté à la justice pour un vol, des portables et une sacoche.

– « Monsieur continue à prendre des choses qui ne lui appartiennent pas !

– Je suis SDF, j’ai pas trop à manger.

– C’est le seul moyen pour manger et dormir ? »

« Je ne suis pas sûre qu’il comprenne tout et ce n’est pas juste à cause de la langue »

Monsieur M. a l’air à bout de forces, il fond en larmes dans le box, essaie de se reprendre. Il est en France depuis quatre mois et travaille sur des marchés de façon non déclarée. Il consomme quotidiennement du Rivotril et de la résine de cannabis. « Je suis fatigué, j’en ai marre », souffle Monsieur M. qui tremble sur sa chaise. Le 26 octobre, le tribunal de Paris l’a condamné à une peine de huit mois avec sursis. Qu’avait-il alors compris de cette décision, veut savoir le juge. « Il fallait pas que je refasse ça », répond le prévenu.

Qu’il s’agisse d’un vol ou d’un recel, les faits et leur reconnaissance sont suffisants pour entrer en voie de condamnation, estime la procureure. Elle reconnaît un vol lié à la nécessité de se nourrir, mais aussi par conséquent le risque élevé de réitération, comme en témoignent les rapports précédents et la condamnation très récente. « Il n’a pas retenu le sursis simple », tranche-t-elle en demandant une peine de huit mois d’emprisonnement ferme et une interdiction de séjourner dans les Hauts-de-Seine.

L’avocate de Monsieur M. entend faire peser la précarité et la fragilité de son client en situation irrégulière et sans aucune attache pour alléger le verdict. Elle conteste en outre la soustraction frauduleuse du sac et pointe plusieurs manquements : pourquoi les images de vidéosurveillance n’ont pas été visionnées ? Pourquoi n’y a-t-il pas eu d’identification par les victimes ? Pourquoi la présence d’empreintes n’a pas été vérifiée sur le fourgon ? « Je ne suis pas sûre qu’il comprenne tout et ce n’est pas juste à cause de la langue. » Elle demande la relaxe pour le vol en absence de constitution de l’infraction. Avant d’être sorti du box, Monsieur M. demande pardon.

Au délibéré, il est reconnu coupable et condamné à quatre mois d’emprisonnement avec mandat de dépôt. La décision du tribunal judiciaire de Paris est révoquée, le juge prononce l’incarcération immédiate : « Il y avait huit mois au-dessus de votre tête », lance le juge. « Vous allez effectuer ces huit mois immédiatement. » Monsieur M. s’effondre à nouveau, « Je vous jure, j’ai rien fait ». Il est rappelé à l’ordre par le juge qui ne goûte pas qu’on conteste son jugement. Monsieur M. enfouit son visage dans ses mains, accablé.

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