TJ de Nanterre : quand une altercation entre copains se termine devant la justice
« On a bu un coup, ça a dégénéré, mais on se pardonne ! » : c’est le discours que tenait l’un des prévenus dans une affaire de violences. Une rixe banale sur fond d’alcool qui s’est soldée par un passage devant la juge de la 16e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Nanterre.
Il y a des audiences où la violence des faits est étrangement contrebalancée par l’absurde. Deux hommes s’avancent à la barre, l’un, Thibault*, avec un interprète, l’autre, Tarik*, accompagné de sa curatrice. Un troisième, Fabien*, s’assoit côté partie civile. Tout est calme lorsque le dernier larron, Hector*, fait irruption dans le box avec le plus tonitruant et jovial des « Bonjour ». « Vous avez l’air de bonne humeur ! », s’étonne la juge. Ils sont trois à comparaître, pour des faits de violences avec usage d’une arme (en récidive pour Hector), pour transport d’arme blanche et dégradation (pour Thibault) et pour violences aggravées (pour Tarik). Hector est prévenu mais aussi victime.
L’avocat de Tarik commence par présenter des conclusions de nullité. En effet, sa curatrice, qui est aussi sa mère, n’a pas été avisée du placement en garde-à-vue. Il demande donc l’annulation de la procédure. Le procureur ne peut qu’aller dans son sens : « L’officier de police judiciaire aurait dû contacter la curatelle, au regard des mesures de protection de Tarik. » Il appuie la demande d’annulation de la procédure de garde-à-vue et la non-prise en compte des déclarations faites en audition. « Mais le défèrement n’est pas nul », précise-t-il. L’incident est joint au fond.
« Comment vous expliquez que ça dégénère pour une broutille ? »
Quatre hommes se font face dans la 16e chambre correctionnelle. Ils se connaissent, deux sont mêmes frères, Thibault et Hector. Les faits se sont déroulés fin août à Nanterre, où des policiers ont été appelés pour une bagarre sur la voie publique et ont découvert deux individus agressifs, dont l’un avec une barre de fer. Deux personnes étaient en sang, il s’agissait des deux frères. Les quatre ont été interpellés, tous alcoolisés. Hector a été conduit aux urgences pour des plaies nécessitant des points de suture. Il a reçu une ITT de 15 jours. L’origine du différend reste peu claire : ils étaient dans une voiture pour reconduire Hector au quartier de semi-liberté et une bagarre a éclaté, provoquant l’arrêt du véhicule pour en venir aux mains.
Tarik affirme avoir peu de souvenirs et refuse de s’exprimer lorsque la juge l’interroge sur les coups qu’il aurait donnés à Hector avec une barre de fer. Qu’en est-il de l’arme blanche de Thibault ? Lui affirme qu’il était en possession de son couteau de travail et que c’est pour séparer Tarik et Hector qu’il l’a sorti. Il est accusé d’avoir donné des coups avec sur la voiture de Fabien.
– « On est des victimes ici, Madame la juge, c’est à cause de l’alcool et de la drogue, mais on est des victimes !
– Y’en a aussi trois qui sont des auteurs de violences !
– C’est Tarik qui a utilisé la barre de fer.
– Mais c’est vous qui aviez mis des coups de couteau dans le véhicule de Fabien ?
– Oui, Madame la juge.
– Comment vous expliquez que ça dégénère pour une broutille ?
– C’est comme ça, Madame la juge, c’est normal…
– Normal… »
La juge est abasourdie, mais elle n’est pas en reste avec le grand frère de Thibault, qui depuis le box, lui sert le même discours minimisant avec une gouaille très convaincante : « Nous tous, là, on est des amis depuis quatre ans ! On a bu un coup, ça a dégénéré, mais on se pardonne, on est des amis ! C’est pas grand-chose ! » Malgré le rappel des 15 jours d’ITT qu’il a reçu, Hector n’en démord pas :
– « Madame, ça arrive ! Qu’est-ce que je vais faire ? Je vais pleurer ?
– C’est pas parce que vous êtes copains que ça enlève la gravité des faits ! »
Sur les faits de violences contre Tarik, Hector affirme n’avoir donné aucun coup : « J’ai touché personne, j’ai eu quatre points de suture, et là je suis en train de pardonner des gens ! » La juge se tourne vers Tarik :
– « Vous avez reçu des coups d’Hector ?
– C’est lui qui a commencé à me mettre des coups. »
Hector proteste dans le box. « On ne va pas vous mettre d’accord », constate la juge. Débonnaire, Hector a réponse à toutes les questions du procureur : il reconnaît avoir empoigné un manche à balai, mais n’a jamais touché à la barre de fer. « Si y’a mon empreinte dessus, mettez-moi dix ans ! », lance-t-il bravache avant d’enchaîner : « J’ai brandi le balai et il est tombé de ma main. Le couteau a servi à la voiture, et la barre de fer à ma tête ! » La défense d’Hector en profite pour interroger Tarik : « Vous avez dit qu’il a eu dans les mains la barre de fer, puis en fait non, c’était le balai. » Sa version change, Tarik parle maintenant de deux barres de fer, mais une seule apparaît dans la procédure.
« Son cerveau est bloqué à ses 18 ans, il est immature »
La situation d’Hector est complexe : sa semi-liberté a en toute logique été révoquée et il doit purger une peine jusqu’en mai 2025. Il a écopé d’une nouvelle condamnation de six mois en octobre pour outrage à agent. « C’est dur la prison, Madame. Je me suis inscrit à des formations, je vois le psychiatre, je vois l’addictologue, j’ai le suivi du SPIP, je fais du sport, je fais tout pour mon mieux. »
Nés en France, Hector et Thibault ont passé presque toute leur vie en Algérie où ils ont été élevés par de la famille. Ils n’ont jamais su précisément pourquoi leurs parents, aujourd’hui décédés, les ont envoyés là-bas alors qu’ils étaient enfants. Depuis son retour en France, Hector tente de subvenir à ses besoins, avec l’aide de son petit frère, qui est hébergé chez sa tante. Thibault parle surtout arabe, mais doit commencer des cours de français prochainement. Il est diplômé en carrosserie et a évoqué son souhait de commencer un suivi psychologique. Il assure être dans les clous : « Je sors pas, je traîne pas, je fais rien, je joue à la PlayStation… Je demande pardon à tous, à la justice. » Alors que son frère vient de s’exprimer, Hector est pris d’un léger malaise et est sorti du box le temps de reprendre ses esprits.
Divorcé et père de deux enfants, Tarik est atteint de troubles psychotiques et a été hospitalisé plusieurs fois en psychiatrie. Il consomme de l’alcool et du cannabis. Sa mère et curatrice prend la parole pour expliquer la situation : « Il est aux petits soins avec ses enfants, la pathologie, elle est là malheureusement, mais il est pas méchant. Même avec Hector, qu’il a hébergé, qu’il a invité à manger… » Elle est coupée par Hector, justement, qui n’apprécie guère cette version de l’histoire : « Et ça, c’est quoi ? C’est ma veste là, sur ton dos, sale clochard ! » Il est aussitôt intimé de se calmer. La mère de Tarik reprend : « Son cerveau est bloqué à ses 18 ans, il est immature, il se fait influencer par des jeunes. » Dans son casier judiciaire, des faits de vol.
Fabien est le seul de la bande à être seulement victime, il souhaite se constituer partie civile. À la barre, il affirme qu’Hector a porté le premier coup. Pour le reste, sa version concorde avec les autres. Il demande 2 000 euros pour le préjudice matériel, soit les coups portés sur le capot de sa voiture.
« Les deux frères ne vont pas se tirer dessus pendant les débats ! »
Pour le parquet, cette procédure est complexe : une rixe sur la voie publique, des insultes et des coups, une consommation excessive d’alcool, et tout le monde placé en garde-à-vue. Reste que les faits sont globalement reconnus. Il demande la requalification pour Hector en violences volontaires sans ITT et une peine d’amende de 500 euros. Concernant Thibault, il requiert une amende de 800 euros et le versement d’une indemnisation au préjudice de Fabien. Enfin, pour Tarik, il requiert une peine de six mois de détention à effectuer sous bracelet électronique.
La défense de Thibault insiste sur la reconnaissance des faits du jeune prévenu, qui dit avoir tenté d’intervenir pour calmer la situation. « À l’intervention de la police, il est venu vers eux, il voulait faire cesser le trouble. Il a exprimé ses regrets en garde-à-vue. Ce n’est pas une personne violente. » L’avocate d’Hector salue la demande de requalification des faits concernant son client : « Il est le plus amoché, il n’a eu que quatre points de suture, mais ça aurait pu être bien plus grave et nous serions dans une autre chambre que celle-ci. » Elle estime qu’il y a un sérieux doute sur la façon dont ont été portés les premiers coups. Elle demande la relaxe et souligne qu’Hector aurait pu se porter partie civile : « Il souhaite pardonner et ne formule aucune demande indemnitaire. »
La défense de Tarik se concentre sur les éléments tangibles du dossier, et pointe au passage le manque d’objectivité des autres parties : « Les deux frères ne vont pas se tirer dessus pendant les débats ! » Tarik n’a pas été vu par les témoins en train de porter les coups de barre de fer : « On ne saura jamais, je demande donc la relaxe. » En cas de condamnation, elle s’en remet au parquet, estimant qu’un bracelet pourra éloigner Tarik de ses mauvaises fréquentations. Elle espère en outre qu’il envisagera sérieusement de mettre fin à sa consommation d’alcool et de cannabis. Seuls les deux frères prennent la parole en dernier, « Je souhaite que tout le monde rentre chez soi », maintient Hector. « Je demande pardon à tout le monde », renchérit Thibault.
Les faits le concernant sont requalifiés en dégradations légères, Thibault est finalement condamné à exécuter un stage de citoyenneté. Requalification des faits aussi pour Hector, qui écope d’une amende de 500 euros pour violences volontaires sans ITT. Pour Tarik, ce sera une peine de quatre mois d’emprisonnement avec sursis probatoire et obligation de soins psychiatriques et addictologiques. Suite à la demande de conclusion de nullité, la juge prononce l’annulation du procès-verbal. Fabien obtient quant à lui 500 euros au titre du préjudice matériel.
« Madame, Madame, j’ai pas de parloir, je veux juste parler avec mon petit frère ! », lance Hector. La juge laisse faire, « Mais vite, alors ! », car les deux frères avaient interdiction de se parler le temps de la procédure. Leur étreinte par-dessus la vitre du box est brève, tandis que la juge demande à l’un des avocats que soit faite une demande de parloir.
*Les prénoms ont été modifiés.
Référence : AJU016g7