TJ de Nanterre : « Si j’avais mis un coup, j’aurais pris là ou à l’arrière de la tête, j’aurais eu des séquelles ! »
Il n’est pas revenu à la maison d’arrêt où il est en détention, puis a tenté de s’échapper durant son extraction. Un jeune homme au parcours cabossé a été présenté au tribunal judiciaire de Nanterre, audience durant laquelle il a préféré se taire quant aux raisons qui l’ont poussé à prendre de tels risques.
C’est un jeune homme de tout juste 18 ans qui entre dans le box des accusés de la 16e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Nanterre. Calme, il échange avec son avocate, tandis qu’un homme prend place côté partie civile.
Monsieur P. est présenté devant la justice pour évasion et tentative d’évasion, ainsi que pour des violences contre une personne dépositaire de l’autorité publique. Le 12 février 2024, des policiers sont avertis que Monsieur P., détenu à la maison d’arrêt de Nanterre, n’est pas revenu de sa permission. Il ne s’est pas non plus présenté à l’association où il avant rendez-vous pour un emploi. Sans logement, donc sans adresse fixe, impossible de retrouver sa trace.
Quelques jours plus tard à Courbevoie, des policiers remarquent un individu qui tente de dissimuler son visage et qui cherche à les éviter. Monsieur P. est interpellé et placé en garde-à-vue au commissariat de La Défense. C’est lors de son extraction qu’il a tenté de prendre la fuite. Selon le procès-verbal, il a mis un coup de tête à l’agent qui l’avait menotté, l’a entraîné dans sa fuite avant de percuter un véhicule de la BAC. La victime a eu les os du nez fracturés. Les caméras de surveillance de La Défense ont été exploitées : on y voit Monsieur P. partir en courant menotté dans le dos.
« J’ai fait des signalements à la prison qui n’ont pas été entendus »
Le juge montre une photo du visage ensanglanté de la victime. Le résultat d’un coup de tête ? Monsieur P. assure que le policier s’est cogné la tête en heurtant le véhicule. « Il n’est pas tombé tout seul ! », proteste le juge. « C’est parce que je courais, c’est pas des violences », maintient Monsieur P. Les justifications peinent à convaincre le magistrat : « Mais vous n’avez pas le droit de vous enfuir. Les violences, elles sont volontaires ou pas ? Elles le sont car vous avez essayé de vous évader. »
Le policier blessé a reçu 30 jours d’ITT en raison d’une fracture du nez et de la cloison nasale. Monsieur P. maintient que c’est la chute au niveau de la voiture et non un coup de tête volontaire qui en est la cause. Pourtant, les photos du dossier montrent une tache de sang sur le sol et non sur le véhicule. Le prévenu ne dévie pas de sa version face au juge qui pointe chaque élément à même de la contredire. « Si j’avais mis un coup, j’aurais pris là ou à l’arrière de la tête, j’aurais eu des séquelles ! Menotté, on ne peut pas se retourner. »
Le juge s’intéresse également aux raisons qui ont poussé le jeune homme à ne pas respecter sa permission, et a tenté de fuir quelques jours plus tard.
– « J’ai des soucis et je ne souhaite pas répondre à la question.
– Des soucis en prison ou à l’extérieur ?
– Les deux.
– Aux policiers, vous avez dit à l’extérieur.
– J’ai fait des signalements à la prison qui n’ont pas été entendus. »
En audition, Monsieur P. a affirmé avoir reçu des coups de la part des policiers. Le juge insiste, il veut tenter de comprendre ce qui a amené le jeune homme à ne pas se présenter à l’association, à ne pas revenir à la maison d’arrêt. Peine perdue, il fait face à un mur de silence. « C’est votre droit, mais s’il y a une raison, ce serait bien de le savoir. Vous n’avez pas réintégré la maison d’arrêt, vous avez tenté de vous évader, ça fait beaucoup de questions en suspens. Vous êtes détenu, comment ça se passe ? » Monsieur P. reste évasif, mentionne qu’il est en cellule 22 heures sur 24. A-t-il des craintes ? « Je ne souhaite pas répondre à cette question », répète-t-il à nouveau.
« Votre propre procès ne vous intéresse pas ? »
Le procureur n’en loupe pas une miette : « Vous êtes normalement constitué, on est d’accord ? Avec tous les éléments mis les uns à côté des autres, vous pensez être crédible ? » Le ton est volontairement provocant, Monsieur P. reste calme : « Je sais ce que j’ai fait. » Le ministère public revient à la charge :
– « Il y a un fossé entre ce que vous dites et les éléments du dossier, comment vous expliquez ça ?
– Dans la vidéo, on ne me voit pas mettre un coup de tête.
Le procureur s’énerve, l’avocate du prévenu, agacée, entre dans la danse : « Bah on va la regarder, cette vidéo ! ». La tension est montée d’un cran.
– « Encore une question : on est dans un tribunal correctionnel, pas un tribunal pour enfants, vous pensez que vous risquez quoi ?
– Je ne me renseigne pas. Je ne fais que recevoir des peines, maintenant j’encaisse.
– Donc votre propre procès ne vous intéresse pas ? »
Monsieur P. a plusieurs mentions à son casier judiciaire, pour violences envers des policiers, ou encore extorsion avec violences.
– « Vous êtes facilement violent, vous en avez conscience ?, demande le juge.
– Je dirais pas ça, mais on pourrait dire ça… »
Il pense avoir déjà reçu des soins pénalement ordonnés par le passé. Face à l’insistance du juge, Monsieur P. réexplique sa situation : depuis sa majorité, il est SDF. Il a une petite amie, a arrêté l’école en 4e. Inscrit sur liste d’attente en détention, il espère pouvoir entamer une formation diplômante. « Vous n’avez pas de ressources, mais vous consommez du cannabis quotidiennement, comment c’est possible ? », s’étonne le juge. « Je rends des services au black », rétorque Monsieur P. Le juge s’étonne encore : pourquoi ne pas travailler alors ? Comme déménageur par exemple ? L’avocate intervient pour couper court et explique, patiente, que Monsieur P. n’est pas déclaré légalement pour ces petits boulots.
La victime est invitée à la barre. Le policier décrit comment sa vie a basculé depuis la tentative de fuite du prévenu : il a désormais un poste aménagé au commissariat. « Je ne peux plus exercer auprès du public. Je ne sais pas si je pourrai retourner sur le terrain un jour. » Le procureur s’en saisit et le questionne sur ses motivations à rejoindre la police. « Ce que je voulais c’est protéger et servir, venir en aide à la veuve et à l’orphelin… Aujourd’hui, je ne peux même plus prendre une plainte car je ne veux pas reprendre un coup. Je suis limité à répondre au téléphone. » Il aurait aimé des excuses de la part du prévenu. L’avocat de la partie civile renchérit : « Ce n’est plus le même homme. On lui a redressé son nez qui a été complètement fracassé. »
« Oui il y a des policiers qui mentent »
Dans son réquisitoire, le procureur ne cache pas une forme de dégoût pour l’attitude du prévenu. « Un tribunal n’aura jamais la vérité, on recherche la vérité judiciaire, la vraisemblance avec des éléments qui sont ce qu’ils sont. Ici, c’est d’abord une plainte, d’un policier qui n’a pas d’intérêt à mentir. » Il le répète, les explications de Monsieur P. ne lui semblent pas crédibles. « Il se moque de la justice. Je crois en la vertu pédagogique de la punition. Je requiers un emprisonnement long qui ait du sens : trois ans dont un assorti du sursis probatoire, ainsi que 500 euros d’amende pour l’évasion. » Un moyen selon lui d’assumer ses responsabilités.
« Je ne suis pas certaine qu’on puisse grandir en détention, surtout pas à Nanterre ! », rétorque sèchement l’avocate de la défense. Elle pointe les versions de la victime et du témoin trop similaires à ses yeux : « Oui les policiers sont collègues, c’est un état de fait, ils disent tous les deux exactement la même chose », assène-t-elle après avoir pris le temps de les citer exagérément. Elle insiste sur un point, aucune photo extraite des vidéos ne montre son client mettre ce « coup de boule », de même que lors de la confrontation, le mis en cause a gardé la même version, celle d’avoir été tiré en arrière par les menottes et d’être tombé en arrière en entraînant avec lui le policier. « Oui il y a des policiers qui mentent, oui il y a des policiers qui font des faux. Mais mon but n’est pas d’aller aux assises. » Elle s’étonne aussi que la lecture du dossier de Monsieur P. a été à ce point retenu contre lui, lui dont le parcours est par ailleurs éloquent : elle rappelle qu’il est un enfant placé à l’Aide sociale à l’enfance à 13 ans car violenté par ses deux parents, façon aussi de pointer les défaillances de l’ASE. Elle demande la relaxe sur les violences et se joint à la réquisition de l’amende demandée par le ministère public.
Les faits sont requalifiés et Monsieur P. finalement reconnu coupable : il est condamné à 18 mois d’emprisonnement pour tentative d’évasion avec violences et à six mois pour son évasion le jour de sa permission. Il sera donc maintenu en détention. Il est sorti du box en affichant un sourire défaitiste. Le policier blessé quitte la salle lui aussi, après avoir remercié le juge.
Référence : AJU013g3