TJ de Nanterre : « Un casier judiciaire même étoffé ne fait pas de lui un coupable » !

Publié le 31/10/2023
TJ de Nanterre : « Un casier judiciaire même étoffé ne fait pas de lui un coupable » !
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Un vol de vélo en pleine nuit à Rueil-Malmaison (92) conduit un homme d’une trentaine d’années directement en comparution immédiate au tribunal judiciaire de Nanterre. Il reconnaît le vol mais nie s’être introduit chez un particulier, alors qu’il a été reconnu par un témoin.

Conduit dans le box, Monsieur S. est autorisé à rester assis pour répondre aux questions du juge. La trentaine, il semble plus âgé, usé presque, mais surtout se déplace avec une béquille. Présenté en comparution immédiate à la 16e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Nanterre, il doit répondre d’un vol en état de récidive légale qui s’est déroulé la veille.

À 2 h 45, des policiers sont appelés au domicile de Monsieur C. à Rueil-Malmaison. Un individu est entré chez lui, a même été aperçu par sa fille, et a dérobé un vélo. Une description est donnée et le prévenu est aperçu peu de temps après à quelques rues, sur le vélo en question. Une poursuite s’engage car l’homme refuse de s’arrêter malgré l’injonction verbale des policiers.

« C’est une coïncidence si la jeune fille vous reconnaît et si on vous retrouve sur ce vélo ? »

Le cycliste finit par chuter, se relève, mais ne s’arrête pas pour autant. Il escalade un mur d’enceinte d’une maison et passe de jardin en jardin pour échapper à ses poursuivants. Le périmètre est bouclé. Il est finalement retrouvé couché dans une haie. Conduit au commissariat, il est présenté derrière une glace sans teint à la fille de Monsieur C. qui affirme que c’est bien l’individu qui a ouvert la porte de sa chambre en pleine nuit et l’a réveillée. « C’est pas moi », nie aussitôt Monsieur S.

– « C’est une coïncidence si la jeune fille vous reconnaît et si on vous retrouve sur ce vélo ? », insiste le juge.

– « C’est pas moi », répète le prévenu.

En garde-à-vue, il a reconnu qu’il était bien dehors cette nuit-là, en train de fumer un joint. Ce vélo, il l’a juste récupéré après avoir vu deux hommes le sortir d’un véhicule et le balancer dans la rue. Quand les policiers l’ont pris en chasse, il l’avait depuis cinq minutes, assure-t-il. Oui, il reconnaît le vol, mais certainement pas être entré dans le domicile de Monsieur C.

Actuellement hébergé par sa mère, Monsieur S. n’a pas d’activité professionnelle depuis deux ans, en raison d’un accident. Auparavant il travaillait sur les marchés, et vit désormais avec le RSA. Il consomme peu d’alcool, mais fume du cannabis quotidiennement depuis quelques années. Il espère partir s’installer en Tunisie pour travailler dans la ferme de son père. Son casier judiciaire fait état de 17 mentions, principalement pour des vols et des dégradations. Sa dernière condamnation remonte à août 2018.

– « Qu’est-ce qui a changé depuis ? »

– « Je traînais avec des gens… je suis sorti de ça. Je préfère être avec ma famille. »

« C’est très léger pour entrer en voie de condamnation »

Pour le procureur, les éléments présentés tendent à démontrer que Monsieur S. s’est bien introduit dans le domicile de Monsieur C. La porte du garage était ouverte, il n’y a pas de traces d’effraction, et le prévenu a été reconnu par la témoin. Un méfait « pour alimenter sa consommation de cannabis », indique le procureur, qui tempère cependant en décrivant une personne précaire, fragile, livrée à elle-même. Il demande quatre mois d’emprisonnement.

Aucune empreinte n’a été relevée dans le pavillon, ni sur le vélo, souligne l’avocate de la défense avant d’énumérer les manques du dossier : « Il n’y a pas de comparatif d’empreintes sur la porte du garage, on ne sait pas si le prévenu a consommé de l’alcool, où il était avant les faits qui lui sont reprochés, il n’y a aucune image qui le montre arrivant dans le pavillon. » Mais plus important encore, c’est la reconnaissance de Monsieur S. par la fille de Monsieur C. qui sème le doute : « On lui présente une seule personne, alors qu’elle est bouleversée. D’ailleurs, on ne sait rien d’elle, est-elle majeure, mineure ? Il n’y a pas un semblant d’audition. C’est très léger pour entrer en voie de condamnation. » Et de conclure : « Un casier judiciaire même étoffé ne fait pas de lui un coupable ! Il n’y a aucun élément pour dire qu’il est entré dans le pavillon et rien ne vient contredire cela. » Puisque l’effraction n’est pas caractérisée, elle demande la relaxe sur ces faits.

À ses côtés, une seconde avocate prend la parole pour dénoncer « la présomption de culpabilité » qui émaille l’affaire. « On a la bonne personne au bon moment, et on ne cherche pas à comprendre », déplore-t-elle en désignant ce dossier considéré comme trop parcellaire : « On veut faire un travail correct. »

« C’est vraiment pas moi », assène une dernière fois Monsieur S. à la fin de l’audience. Au délibéré, il est reconnu coupable et condamné à six mois d’emprisonnement aménagés par un bracelet électronique.

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