TJ de Nanterre : « Vous avez essayé d’arrêter le cannabis ? Plutôt que de faire la livraison de cocaïne ? »

Publié le 16/12/2024
Salle des pas perdus de Nanterre - Photo Pierre Anquetin
Salle des pas perdus du Palais de justice de Nanterre (Photo : ©P. Anquetin)

Parfois, les mauvais choix s’enchaînent : pour Monsieur H., malgré les avertissements, cette dernière comparution a été un électrochoc capital pour lui faire réaliser la nécessité de soigner son addiction.

Le prévenu, Monsieur H., est né en 2000. Interpellé deux jours plus tôt, il est présenté en comparution immédiate devant la 16e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Nanterre pour des faits de transport de cannabis et de cocaïne en récidive, et de conduite sous stupéfiants. La juge fait un rappel synthétique : il a été contrôlé par une patrouille, alors qu’il circulait sur la voie de bus pour dépasser les autres véhicules par la droite. Il a directement indiqué qu’il n’était pas en capacité de fournir son permis car il avait été suspendu. Les policiers ont noté une forte odeur de cannabis dans le véhicule. Testé positif à cette substance et à la cocaïne dans un premier temps, Monsieur H. a été placé en garde-à-vue. Le dépistage salivaire a finalement montré essentiellement une consommation de cannabis.

Plusieurs personnes ont cherché à joindre le commissariat pour récupérer le véhicule au plus vite. Une fouille a donc été ordonnée et a permis de découvrir 18 grammes de cocaïne, 0,37 gramme de résine et la somme de 210 euros. Auditionné, Monsieur H. a indiqué qu’il est toxicomane depuis ses 13 ans, qu’il consomme du cannabis et de la cocaïne.

– « À hauteur de 500 euros par semaine… ! »

– Par mois, rectifie l’avocat de la défense.

– Peut-être… une somme importante en tout cas ! »

« J’arrive pas à avancer tant que je suis sous cette emprise »

Selon Monsieur H., toujours lors de son audition, la voiture appartient à une société et est louée par un ami. Son portable a été exploité et des messages sur Snapchat révèlent qu’il a attrapé un rhume en roulant fenêtre ouverte pour « que la cocaïne reste au frais ». Le téléphone a borné à plusieurs endroits d’Île-de-France et à Beauvais.

Devant la juge, Monsieur H. explique qu’il raccompagnait sa copine chez elle.

– « Alors que vous ne pouvez pas conduire, c’est clair dans votre esprit ? Et pourquoi votre permis a-t-il été suspendu ?

– J’ai été suspendu en septembre, je roulais trop vite et j’avais consommé du cannabis.

– Vous consommez quoi ?

– Uniquement du cannabis. J’ai menti à la police en disant que je transportais ma consommation personnelle, je me sentais oppressé. Je ne consomme que du cannabis. Je réalisais pas bien sur le coup.

– Les stupéfiants dans la voiture, c’est vous qui faites de la livraison ?

– Oui exactement. Je fais ça pour subvenir à mes besoins. J’ai un travail à côté, c’est pour arrondir les fins de mois. Je le fais une ou deux fois par semaine. Ça permet d’assurer ma consommation personnelle.

– Vous avez essayé d’arrêter le cannabis ? Plutôt que de faire la livraison de cocaïne ?

– En ce moment avec ma SPIP c’est ce qu’on est en train de voir…

– Ça n’a pas encore marché, le travail avec la SPIP… »

L’attitude de Monsieur H. semble rassurer la juge. Le prévenu ne prend pas ses interlocuteurs pour des idiots, au vu des éléments qui indiquent clairement une livraison de cocaïne. Il explique avoir commencé récemment, étant à court d’argent pour payer ses amendes, mais aussi à cause de sa consommation de cannabis.

– « Vous vous rendez compte que c’est une fuite en avant ? Vous alimentez le problème et vous aggravez votre situation.

– C’est aussi les mauvaises influences que j’ai.

– Vous avez votre responsabilité, votre intelligence pour vous extraire de ça.

– Oui je comprends, Madame.

– Vous n’êtes pas bête, vous pouvez agir autrement.

– Tout a commencé à cause de mon addiction, si j’avais pas commencé à fumer, je serai pas là aujourd’hui. Tout se dégrade dans ma vie, j’arrive pas à avancer tant que je suis sous cette emprise. »

« Vous auriez pu attendre plutôt que de plonger dans le transport de cocaïne ! »

Monsieur H. fume depuis ses 13 ans et carbure aujourd’hui à plus d’une dizaine de joints par jour. Difficile pour lui d’arrêter tant les signes de manque sont forts. Il est hébergé par ses parents, est titulaire d’un bac pro obtenu en 2018 et d’un CAP mécanique. Il est aujourd’hui en CDI en tant que convoyeur et entretien de véhicule. Avec son permis suspendu, ses revenus ont logiquement baissé.

– « C’est ça qui me pousse vers ces activités.

– Monsieur, vous voyez bien que vous pensez dans le mauvais sens. Votre permis a été suspendu trois mois. Vous auriez pu attendre plutôt que de plonger dans le transport de cocaïne ! C’est malheureux quand même ! »

À son casier judiciaire, on compte cinq mentions entre 2020 et 2024 pour des faits de stupéfiants.

– « On en vient à se demander quelle décision prendre pour vous, déplore la juge.

– J’aurais aimé me soigner avant d’envisager une peine.

– Vous avez réellement envie de vous investir dans cette obligation de soins ? Vous n’avez même pas encore pris de rendez-vous.

– Ils m’ont mis en stand-by, mon dossier est en attente d’être traité. »

Une des juges assesseures soulève qu’il a déjà été convoqué par le juge d’application des peines en vue d’un aménagement de peine avec bracelet électronique. La procureure revient sur sa demande d’être aidé à sortir de l’addiction.

– « Vous dites « il faut d’abord qu’on me soigne », mais vous vous rendez compte qu’il faut avoir un rôle actif ?

– Oui je comprends ce que vous dites, je vais faire le maximum.

– C’est quoi le déclic ? Les condamnations judiciaires ?

– Que je me soigne au plus vite. »

Son avocate reprend la question : « Ce serait pas la garde-à-vue de trop ? » Monsieur H. hoche la tête : « Je sais que je risque le ferme. »

« Deux ans de suivi et rien n’a été mis en place »

« Sur les conseils de son avocat, il a admis que c’était bien une livraison de stupéfiants », constate la procureure. Les faits sont donc reconnus. « Ce qui est dommage aujourd’hui, c’est la personnalité de Monsieur. C’est quelqu’un de jeune, à 24 ans, on espérait le voir autre part. Ce sont des faits en récidive, et ce alors même qu’il y a eu différentes condamnations et de nombreux avertissements avec une gradation de la réponse pénale. Deux ans de suivi et rien n’a été mis en place. Il n’a pas compris que ce sursis probatoire, c’était une peine et on le retrouve aujourd’hui, alors qu’il a été condamné il y a à peine trois mois. » Le parquet déplore des mains tendues sans effet et le raisonnement absurde du prévenu : choisir la livraison de stupéfiants alors même que son permis était suspendu, tout ça pour assurer sa consommation de cannabis malgré une baisse de revenus. Croit-elle à la bonne foi de Monsieur H. ? « Il y a ce qu’on dit à l’audience et ce qu’on fait derrière. » Elle requiert dix mois d’emprisonnement ferme avec mandat de dépôt.

L’avocat du prévenu s’interroge en effet sur ses choix. « Mais j’ai trouvé un peu d’espoir aujourd’hui. Évidemment, il y a un certain nombre de déclarations qui n’ont pas manqué de surprendre le tribunal, mais je salue la réflexion de Monsieur, il y a une évolution notable, il est temps de dire la vérité et d’arrêter de prendre le tribunal pour ce qu’il n’est pas. » Il énumère les accomplissements positifs de son client, son insertion dans la société. « J’entends que oui, on a tout essayé, qu’il est aux portes de la maison d’arrêt de Nanterre. Mais celles-ci peuvent encore rester fermées, et il peut encore envisager autrement son avenir. » Il préconise un emprisonnement ferme aménageable, qui va s’ajouter à sa peine en phase d’aménagement. Monsieur H. tente une dernière fois de montrer sa bonne volonté pour sortir de l’addiction : « Je souhaite vraiment me soigner d’ici la fin de cette année. »

Au délibéré, il est relaxé pour les faits d’offre et de cession de stupéfiants, et pour la détention et l’acquisition sur l’une des périodes de prévention. Coupable du surplus, il est condamné à huit mois d’emprisonnement avec mandat de dépôt. Son permis de conduire est annulé et il aura interdiction de le repasser pendant six mois. La juge lui signifie qu’elle espère bien ne pas le revoir dans le box : « Le tribunal pense que vous avez fait les mauvais choix, mais que vous êtes capable d’en faire d’autres. » C’est sa première incarcération. Dans la salle, des proches de Monsieur H. semblent sous le choc. Comme pour dire de ne pas s’inquiéter pour lui, il leur adresse un clin d’œil avant de s’engouffrer dans le couloir du tribunal, direction la maison d’arrêt de Nanterre.

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