TJ de Nanterre : « Vous aviez conscience que vous pouviez tuer quelqu’un ? »
Un tout jeune majeur sans histoires a braqué une jeune femme pour lui voler son sac. Face à cette violence soudaine, le juge du tribunal judiciaire de Nanterre a tenté de comprendre le pourquoi de ce passage à l’acte. En vain.
Dans la 16e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Nanterre, David* arrive dans le box des accusés tout de noir vêtu, la mine fatiguée. Il est grand, sa voix est si grave qu’on peine à l’entendre. Une jeune femme en tailleur impeccable a pris place sur les chaises réservées aux parties civiles.
Reconnaît-il les faits, demande le juge. Désormais oui, maintenant qu’il a « pris conscience » de ce qu’il a fait, affirme David. Le 14 septembre 2023, en début d’après-midi, Madame T. quitte un restaurant et traverse le pont de Gennevilliers, lorsqu’elle est menacée avec une arme de poing par un homme qui lui demande son sac à main. Elle refuse d’abord, l’homme lui assène un coup de crosse, prend le sac et s’enfuit. Un coup de feu est parti dans la précipitation, sans faire de victime, laissant une douille sur le lieu des faits. L’individu portait un masque chirurgical, mais cela n’empêchera pas la victime de le reconnaître formellement sur planche photographique.
Une photo de la carte bancaire de Madame T. est retrouvée dans le portable de David. La douille porte ses empreintes. Sur les caméras de surveillance d’un Franprix tout proche, les enquêteurs distinguent les jambes d’un individu portant un jogging blanc avec empiècement. Le jeune homme est placé en garde-à-vue. Une facture d’une armurerie de Saint-Ouen datant de la veille des faits est retrouvée chez lui, de même que le jogging en question lors de la perquisition. David est entendu, il affirme faire de l’achat et de la vente d’armes.
« Comment un jeune homme de votre âge est amené à commettre cet acte-là ? »
« Ces investigations, vous n’imaginez pas le coût que cela représente pour la société », insiste le juge. « Je ne vais pas m’énerver, je ne vais pas vous faire la morale, mais les faits sont extrêmement graves et auraient pu vous emmener vers d’autres juridictions. Comment un jeune homme de votre âge est amené à commettre cet acte-là ? Il va falloir qu’on comprenne. » David bredouille, toujours de sa voix très grave, qu’il ne sait pas ce qui lui est passé par la tête. « C’est tombé sur Madame, j’avais juste l’intention de lui faire peur. Le coup est parti tout seul. »
Quant aux raisons, il avance l’argent, le souhait de financer son permis. « Toutes les personnes qui ont besoin d’argent ne braquent pas, vous êtes d’accord pour dire que c’est grave ? » Le jeune prévenu acquiesce.
– « Cette gravité des faits, elle ne vous arrête pas, on parlera aussi du fait de posséder une arme. Vous aviez conscience que vous pouviez tuer quelqu’un, de l’extrême violence que vous imposez ?
– Je n’avais pas assez de recul sur la situation.
– Vous avez peu le profil, je ne me l’explique pas. Vous avez une fascination pour les armes ?
– Non.
– J’ai du mal à vous croire pour l’achat-revente. Vous avez donné votre nom à l’armurerie. Pourquoi cet achat ?
– J’avais juste l’intention de la revendre.
– Mais vous auriez pu acheter autre chose.
– C’était facile à revendre.
– Au contraire, je crois que ce n’est pas facile, mais je vis peut-être dans un monde de Bisounours. Cette arme, vous l’avez exhibée sur les réseaux sociaux.
– C’était juste une photo.
– Avec un message. Cette photo, vous ne la gardez pas pour vous, vous vouliez diffuser cette photo.
David ne dit rien. L’avocate souligne que la photo dont elle dispose ne comporte pas de message. Mea culpa du juge qui pense avoir confondu avec une autre procédure. Qu’à cela ne tienne, il poursuit ses questions sur le rapport de David aux armes.
– « Cette arme vous donne de l’assurance ?
– Non, je ne pense pas.
– Ça donne cette impression. »
La procureure souhaite savoir si le prévenu a été influencé par un film, un jeu vidéo pour son passage à l’acte. David ne donne pas davantage d’explications. La victime a été choisie au hasard, parce qu’elle avait un sac de marque.
« Le coup de feu, je ne suis pas sûre qu’il l’ait voulu »
Madame T. est appelée à la barre, c’est elle qui permet de rétablir que la photo de David présente dans le dossier comportait bien une mention, car le policier la lui avait montrée. La photo où figure David montrant fièrement son arme de poing est retrouvée, y figurent ces mots : « Je vais faire danser les gens ». Il n’y avait donc pas de confusion avec une autre affaire. Madame T. se dit ravie qu’il reconnaisse les faits.
– « C’est important pour moi de comprendre, pourquoi moi, pourquoi à 13 heures, pourquoi le coup de crosse, le tir à côté, j’aimerais comprendre.
– Le retentissement psychologique est énorme », confirme le juge.
Madame T. raconte comment elle a rapidement senti que David perdait ses moyens face à son refus de donner son sac alors qu’elle était menacée d’une arme. « Il a eu une manière timide de prendre mon sac. J’ai refusé de lui donner parce qu’il était jeune. Le coup de feu, je ne suis pas sûre qu’il l’ait voulu. » Le juge salue son courage.
Juriste de formation, Madame T. détaille avec précision les estimations des objets volés, mais aussi celles de ses dépenses de santé, ses consultations chez le psychologue, le préjudice sur sa formation, les souffrances endurées. Dans le box, David présente ses excuses et ses regrets.
Le juge revient sur la fameuse photo évoquée plus tôt, où le jeune homme pose avec l’arme, ainsi que sur son historique de recherches sur le cannabis ou sur les faux billets. « On a le sentiment que vous êtes à la dérive, vous êtes dans la toute-puissance avec cette arme. » David déclare qu’il était à la recherche d’une école pour son alternance mais qu’il n’a pas de problèmes particuliers. « Pour moi, c’est encore plus désarmant, poursuit le juge visiblement désemparé. Vous me dites que vous cherchez une formation, mais tous les jeunes ne font pas ça ! »
En première année d’un BTS, David s’oriente vers la cybersécurité. Il vit chez ses parents. Il ne consomme pas d’alcool, ni de stupéfiants. « Vous êtes entouré, soutenu, est-ce qu’on doit savoir autre chose ? » Le silence persiste dans le box. Son avocate intervient pour faire savoir que des cousins habitant dans la région lyonnaise se sont proposé d’accueillir David et de lui donner un nouveau cadre de vie pour l’aider à sortir de cette spirale.
« Un peu d’élaboration aurait aidé, on en restera là »
La procureure déplore le peu de détails donnés par le prévenu sur la chronologie des événements. Elle souligne sa détermination, à travers l’achat de l’arme et le peu de crédibilité de ce projet de revente, qui n’a déjà pas beaucoup convaincu le juge, notamment à travers la photo légendée. « Il est sorti pour l’utiliser, pour braquer. Monsieur le président, vous avez essayé d’en savoir plus, un peu d’élaboration aurait aidé, on en restera là. Mais la préméditation ne fait pas de doute. » Elle loue elle aussi la dignité de la victime, face à un prévenu qui s’est pris « pour un caïd », qui a été « surpris qu’on lui dise non » : « Il n’y a pas eu de prise de conscience, il est rentré chez lui sans se remettre en question. Il a nié les faits jusqu’à aujourd’hui. C’est un jeune homme sans signe avant-coureur, qui est passé directement à la grande délinquance. » Elle requiert cinq ans d’emprisonnement dont un an en sursis probatoire avec obligation de soins, obligation d’indemniser la victime et interdiction de revenir dans les Hauts-de-Seine (92).
L’avocate de David veut faire comprendre que la conceptualisation d’un passage à l’acte est possible quand on est juriste, avocat, mais pas pour son client. Elle croit ses excuses sincères, parle de sa mère et de son désarroi profond, de son incompréhension, elle qui a tout fait pour donner la meilleure éducation à son fils. Elle s’adresse à Madame T. pour saluer elle aussi la façon dont elle a évoqué les faits. « Il a perdu ses moyens, et vous avez subi ce coup de crosse. Il n’était pas venu pour commettre cette violence, l’arme était chargée à blanc. » Elle pointe le pouvoir d’influence des vidéos qui circulent sur les réseaux sociaux sur des jeunes comme David, lui qu’elle juge « intellectuellement frais », et identifie son passage à l’acte comme le résultat de mauvaises fréquentations. L’idée de l’éloigner chez de la famille près de Lyon n’en semble que plus pertinente selon elle. « Je ne crois pas à l’intérêt d’une peine longue », conclut-elle.
David est reconnu coupable et est condamné à quatre ans d’emprisonnement dont trois assortis d’un sursis probatoire pour une durée de deux ans. L’année ferme sera aménagée par le port d’un bracelet électronique. Il est déclaré entièrement responsable, devra indemniser la victime et a interdiction d’entrer en contact avec elle. Le juge a un dernier mot adressé à David : « Je ne vous ai pas interdit de séjourner dans les Hauts-de-Seine. Vous êtes majeur et il vous appartient de choisir où vous voulez habiter. J’ai fait le choix de ne pas vous y obliger. Vous pouvez décider de vous éloigner d’un milieu qui représente un risque pour vous. C’est un choix de votre part pour ne pas commettre une nouvelle infraction. » David le remercie et sort du box.
*Le prénom a été changé.
Référence : AJU011q3