TJ de Nanterre : « Vous dites que vous avez berné un expert psychiatre rompu à l’exercice, au moment où vous risquez la prison ? »

Publié le 15/11/2023
TJ de Nanterre : « Vous dites que vous avez berné un expert psychiatre rompu à l’exercice, au moment où vous risquez la prison ? »
Valeri Vatel/AdobeStock

Auteur de plusieurs destructions et dégradations par le feu, un jeune homme a été présenté au tribunal judiciaire de Nanterre. Au cours de l’audience, il a affirmé avoir dissimulé son état psychiatrique aux deux experts qui l’ont examiné, jetant ainsi le doute sur sa responsabilité.

L’audience de ce mercredi à la 16e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Nanterre commence par un couac : ce n’est pas le bon prévenu qui est introduit dans le box. « Ah je me disais bien, je ne voyais pas mon avocat ! », commente le jeune homme à qui on remet aussitôt les menottes et qu’on fait ressortir à peine arrivé. Quelques minutes s’écoulent avant que Fabien*, la vingtaine, soit bien présenté. Plusieurs parties civiles sont présentes à l’audience. Les faits s’étendent sur plusieurs semaines pendant l’été 2023 dans une avenue cossue de Meudon. Pendant ces quelques semaines, Fabien a incendié deux voitures, l’une le 28 juillet, l’autre le 23 août, ainsi qu’un pavillon, le 5 août. Grâce aux signalements et aux différents témoignages recueillis dans le voisinage qui font état du même jeune homme blanc aux cheveux attachés en queue-de-cheval, la police a fini par remonter jusqu’à Fabien, qui est interpellé le 5 septembre. La téléphonie a été exploitée, montrant que son portable a bien borné sur le secteur lors des trois faits.

« J’ai honte de ce que j’ai fait »

Le juge insiste sur le retentissement psychique de l’affaire : parmi les personnes concernées par ces destructions par le feu, un profond sentiment d’insécurité a pu naître : « Jusqu’à l’interpellation, on a été terrorisés », confirme une des parties civiles. « On a envisagé de déménager. »

Lors de son interpellation et de son placement en garde-à-vue, Fabien n’a pas contesté être à l’origine des incendies. Il a fait part d’un « état de crise » au cours duquel il ne se rendait pas compte de la gravité de ses actions. Devant le juge, il maintient ses déclarations. Mais comment explique-t-il son geste ?

– « J’ai beaucoup de mal à pouvoir me rendre compte de l’état dans lequel j’étais.

–  Pourquoi ce pavillon ?

–  Je pense que j’avais enregistré qu’il n’y avait personne à l’intérieur.

– Vous avez pourtant nié avoir fait du repérage.

–  Je n’ai pas cherché à savoir s’il y avait quelqu’un.

– Alors comment pouviez-vous le savoir avec certitude ?

– Il y avait une voiture que je voyais souvent quand je me promenais dans le quartier. Je pense que j’avais remarqué qu’il n’y avait pas de lumière.

–  Comment êtes-vous entré ?

–  Je pense que j’ai brisé la fenêtre. »

Fabien se souvient avoir fait démarrer le feu en utilisant la petite bouteille d’essence de son scooter. Difficile d’en savoir plus sur ce qui a motivé son choix de mettre le feu aux deux autres véhicules. « Je suis sincèrement désolé. J’ai été irresponsable. J’ai pas pris mon médicament, », finit-il par déclarer, lui qui est sous traitement neuroleptique. « J’ai honte de ce que j’ai fait. »

Le juge s’adresse directement au prévenu par une question somme toute assez rhétorique : « Qu’est-ce qu’on doit faire de vous ? ». En effet, le prévenu est domicilié chez sa mère, qui vit sur cette fameuse avenue où il a traumatisé tout un voisinage. Lucide sur la situation, Fabien affirme qu’il souhaite de toute manière partir au plus vite. « J’ai réussi à me loger ailleurs, je ne peux pas retourner à Meudon après ce qu’il s’est passé. »

Fils unique, il a été scolarisé jusqu’en seconde et s’est inscrit à l’université. Il verbalise son souhait de poursuivre ses études s’il en a la possibilité, ou bien de travailler. Sur le plan psychiatrique, Fabien ne présente pas d’anomalie mentale. Il a été hospitalisé, a été sous quétiapine, consomme du cannabis et de la cocaïne. L’expertise a fait état de traits dysharmoniques, d’une tendance à la rancune, mais il ne représente pas un danger.

Fabien intervient pour préciser qu’il a arrêté de consommer des drogues… et affirme au passage qu’il a volontairement faussé les deux expertises psychologiques au moment de justifier ses actes : « J’ai mis en avant les problèmes de drogues ». S’ensuit un léger moment de flottement au cours duquel le juge ne cache pas sa perplexité : « Je ne sais pas si c’est inquiétant ou rassurant. »

« Elle est pratique, cette maladie mentale ! »

– « Vous avez dit tout à l’heure avoir été « irresponsable », vous le maintenez ?, interroge le procureur. Fabien tente de clarifier son propos :

–  C’était irresponsable de ne pas m’être dirigé vers les personnes compétentes au moment où j’ai ressenti les crises. J’aurais dû chercher de l’aide.

–  Mais par rapport aux victimes ? Vous aviez conscience des conséquences pour elles ?

–  J’étais pas moi-même. J’ai jamais été dans la violence.

– Vous avez été déclaré pleinement responsable, c’est le constat fait en garde-à-vue par l’expert, il n’y a pas d’altération du discernement, vous n’avez aucun problème psychologique ou psychiatrique. Comment vous expliquez cette contradiction ?

– J’ai peur de la psychiatrie. j’ai essayé de cacher mes problèmes pendant très longtemps. J’ai peur qu’on m’enferme, j’ai peur des médecins. »

Cela ne semble pas convaincre le procureur, bien au contraire, qui insiste : « Vous avez caché tout ça, et comme par hasard aujourd’hui, vous dites que vous avez berné un expert psychiatre rompu à l’exercice, au moment où vous risquez la prison ? »

– « J’avais plus peur de l’expert que de la prison », lui rétorque Fabien, qui ajoute qu’il a déjà été interné et évoque un « délire de persécution » sur lequel il ne souhaite pas pour autant s’étaler.

Doit-on refaire une troisième expertise psychiatrique, demande enfin le procureur, à la fois très sérieux et railleur. « Comme vous avez menti pour les deux premières. » Fataliste, Fabien semble prêt à s’y soumettre : « Comme vous voulez. » Le parquet n’en a pas fini avec ses questions, bien décidé à pointer ce qu’il voit comme des incohérences dans le récit du prévenu.

– « Vous avez dit que vous saviez qu’il n’y avait personne dans cette maison, mais en même temps, que vous n’aviez pas conscience de ce que vous faisiez.

–  J’étais pas moi-même, mais même dans cet état, j’avais pas la volonté de mettre en danger des gens.

–  Là, vous avez la volonté de ne pas faire du mal, mais vous ne vous souvenez pas, comment vous expliquez ça ? Elle est pratique, cette maladie mentale ! »

L’avocate du prévenu intervient avec agacement : « Quelle est la question ? » Le procureur reprend : « Est-ce que vous n’êtes pas en train de vous dédouaner ? » Pour Fabien, la prison est une issue préférable pour être suivi et soigné, il y a vu trois fois un psychiatre depuis son incarcération.

« Il a la volonté de les indemniser et ce n’est pas en prison qu’il pourra le faire ! »

Avant de passer aux réquisitions, les avocats des victimes demandent le renvoi sur intérêts civils, notamment pour Madame S., qui occupait la maison incendiée, une bâtisse dont le caractère historique est connu. L’une des parties civiles demande la somme de 3 000 euros de dommages et intérêts au titre du préjudice moral.

« On a évité le pire », commente le procureur, rappelant que par chance la maison était effectivement vide et qu’aucune victime humaine n’est à déplorer. « C’est honteux de débattre de la responsabilité pénale alors qu’il n’y a pas eu une once d’altération du discernement. Il n’est pas médecin, je ne suis pas psychiatre, et quand on n’a pas la science de la psychiatrie, on s’appuie sur des tiers. À ce procès, deux experts vont dans ce sens : il est responsable ! »

Le procureur n’y va pas de main morte, qualifiant de « fallacieux » le récit de Fabien, l’imitant presque : « « Dans ma folie, je savais quand même qu’il n’y avait personne dans la maison ». Fabien est juste dangereux. Il savait ce qu’il faisait, il prenait plaisir à ce qu’il faisait. » Il requiert deux ans d’emprisonnement dont un an avec sursis probatoire pendant deux ans.

L’avocate du prévenu ne cache pas son étonnement face au réquisitoire sévère du procureur. Elle se réfère aux notes de la première audience où son client affirmait déjà qu’il se sentait responsable de ses actes et qu’il en éprouvait de la honte. « Il n’y a pas de débat sur le préjudice des victimes, il a la volonté de les indemniser et ce n’est pas en prison qu’il pourra le faire ! Il est inséré socialement, il a toujours travaillé, l’enfermer un an ferme, c’est une réelle incohérence. » Elle rappelle les conditions dans lesquelles son client a été examiné : une première expertise lors de la garde-à-vue faite en visioconférence pendant 28 minutes, une seconde lors de sa détention de 10 à 15 minutes. « Comment on peut prendre le temps avec la personne pour creuser un peu ? » Déjà interné en janvier 2023 à la demande de sa mère, Fabien était suivi par une psychiatre. Son départ en vacances correspond à la rupture de traitement et aux crises. S’il a menti, c’est avant tout par peur d’être surmédicalisé, de passer pour un fou : « Le mettre en prison ne serait pas du tout adapté. »

Avant le délibéré, Fabien s’adresse au procureur, dont la virulence semble l’avoir ébranlé, ainsi qu’aux victimes présentes. « Je suis extrêmement désolé de ce que j’ai fait. J’espère que vous trouverez la force de me pardonner. Je ne veux pas faire de mal aux gens, je m’excuse sincèrement. » Il est déclaré coupable et condamné à deux ans d’emprisonnement dont un an en sursis probatoire pendant deux ans, avec obligation de soins psychiatriques et en addiction, ainsi que l’indemnisation des parties civiles. Il a interdiction de séjourner à Meudon.

*Le prénom a été changé.

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