TJ de Nanterre : « Vous êtes assez grand pour dire que c’est pas œil pour œil, dent pour dent ! »

Publié le 12/12/2024
TJ de Nanterre : « Vous êtes assez grand pour dire que c’est pas œil pour œil, dent pour dent ! »
Palais de Justice de Nanterre (Photo : ©P. Anquetin)

Un harcèlement acharné, des menaces de mort pendant plusieurs mois et la diffusion d’images privées à caractère sexuel contre son ex ont conduit un jeune détenu devant la juge. La défense a tenté de dépeindre une relation toxique où la victime avait sa part de responsabilité.

« Je vais te faire une dinguerie », « Je vais te tuer, t’es morte », « Peu importe où tu es, je te tuerai ». C’est pour ces menaces de mort que Bastien* pénètre dans le box de la 16e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Nanterre. Il comparaît pour des faits qui s’étendent sur plusieurs mois, entre juin et octobre 2024 : des menaces de mort, donc, mais aussi du harcèlement sur son ex-conjointe suivi de quatre jours d’ITT, un recel de bien et la diffusion d’un enregistrement à caractère sexuel sans l’accord de la personne.

Son ex-petite amie, Kalinda*, a porté plainte contre lui en octobre, dénonçant du harcèlement moral et des menaces de mort alors que Bastien est en détention à la maison d’arrêt de Nanterre. Tous les deux n’ont passé que quelques mois ensemble. Selon Kalinda, c’est la rupture à son initiative en juin qui a provoqué les accès de violence. Malgré un changement de numéro, elle a commencé à recevoir des insultes quotidiennes. Le couple a fini par se remettre ensemble, avant une nouvelle rupture début octobre, qu’elle a acté au parloir. Elle dénonce un piratage de son adresse mail et une tentative de la faire chanter en diffusant des photos intimes d’elle. La situation a empiré quand à plusieurs reprises Bastien a fait intervenir les pompiers ou la police chez elle sans raison, ou bien en commandant les services de chauffeurs VTC. Mi-octobre, Kalinda a porté un complément de plainte : ses sœurs ont reçu par mail des images intimes d’elle. La jeune femme a raconté vivre dans la peur constante et a perdu 15 kg en quelques semaines.

« Là on vous écoute, on dirait que c’est vous la victime ! »

En détention, la cellule de Bastien a été fouillée et plusieurs téléphones ont été trouvés, contenant notamment des vidéos où apparaît Kalinda dénudée ou avec un autre homme.

Les enquêteurs ont dénombré 187 messages agressifs et insultants, avec une faute d’orthographe récurrente, visibles aussi dans plusieurs mails de menaces reçus par la victime. En garde-à-vue, Bastien a partiellement reconnu les faits.

« C’est moi qui voulait me séparer d’elle, j’ai des preuves, explique-t-il aujourd’hui à la juge. En juin, la relation est compliquée, j’ai pas trop confiance en elle. » Il raconte avoir mis un terme à la relation et en avoir subi les conséquences :

– « Elle m’appelle à plein de numéros différents ; C’est comme du harcèlement. Elle allait m’appeler 200 fois jusqu’à ce que je réponde.

– Vous avez dit que c’était un jeu en garde-à-vue ?

– C’était un jeu pour elle.

– C’est un jeu, vraiment ?

– Vous croyez que ça m’amuse, moi ? Depuis que je parle plus à cette femme, je vis beaucoup mieux ma détention, je suis mieux dans ma tête. »

La juge rappelle qu’il a envoyé les pompiers et la police à son domicile.

– « Elle avait des trucs à moi, de l’argent, je lui avais dis au parloir de me rendre mes affaires, elle m’a plus donné de nouvelles pendant deux semaines.

– En quoi appeler les pompiers, ça aide ?

– La situation me rendait fou, j’étais quand même un peu attaché à elle. Je suis parti en couille…

– Bah ça c’est sûr, là on vous écoute, on dirait que c’est vous la victime ! »

Bastien reconnaît qu’il n’aurait pas dû insulter, ni menacer. « Ma manière de régler mes problèmes, c’est la violence. Je travaille dessus. » Insuffisant pour la juge qui n’oublie pas les autres infractions et ne cache pas une certaine colère en rappelant la diffusion d’images de Kalinda dans un cadre intime :

« Vous faites quelque chose de très humiliant, vous envoyez à ses proches des photos qui ne vous appartiennent pas !

– Je l’ai fait quand elle m’a volé mes affaires ! Y’a de l’orgueil et de la jalousie, ça monte en pression !

– Vous êtes né en 1999, vous êtes assez grand pour dire que c’est pas œil pour œil, dent pour dent, que pour récupérer des affaires, on ne diffuse pas des photos intimes à toute sa famille. Vous comprenez que c’est parfaitement humiliant ?

– Dans une cellule à 4 heures du matin, après tout ce qui s’est passé, j’ai pas fait la part des choses.

– Vous comprenez qu’elle a peur ?

– Madame, elle a pas à avoir peur.

– Moi, je vous le dis, j’aurais très peur à sa place.

– J’ai jamais usé de violences avec elle.

– Vos mots, vous ne pensez pas que ça peut faire peur ?

– C’est des mots comme ça, je reconnais mes torts, j’aurais pas dû, elle aussi elle m’a insulté, c’est des deux côtés. Dans mes accès de colère, je peux aller très loin. Elle s’amusait en visio, elle s’amusait à déchirer des billets, à les jeter aux toilettes, j’ai pété les plombs.

Kalinda est absente, mais a envoyé un courrier dans lequel elle précise ne faire aucune demande de dommages et intérêts et souhaite seulement une interdiction de contact. Dans sa lettre, elle raconte que Bastien est la seule personne à lui avoir accordé de l’importance. « Je suis pas un menteur ou un hypocrite quand il s’agit de sentiments, explique Bastien. J’étais attaché à elle comme elle était attachée à moi. En juin, elle m’a envoyé j’sais pas combien de messages. Je savais qu’il fallait que je me sépare d’elle. »

« Quand j’ai une meuf qui me fait un coup tordu, je vais pas au commissariat ! »

« Quel rapport vous avez aux femmes ? À vos compagnes ? », demande la procureure. Bastien reconnaît qu’il a connu peu de femmes, seulement deux relations sérieuses « qui se sont mal passées. » Il a déjà été condamné pour violences habituelles sur conjoint.

– « Un jour, vous allez sortir de détention, vous allez rencontrer quelqu’un d’autre, ça va se passer comment ?

– Ça va bien se passer, pourquoi ça se passerait mal ?

– Pourquoi ça se passerait bien ?

– J’adore les femmes. Je sais ce qui est normal et pas normal. Mais quand j’ai une meuf qui me fait un coup tordu, je vais pas au commissariat ! »

Sur les faits, Bastien maintient avoir été harcelé dès juin, et nie avoir piraté le mail de Kalinda. « Les vidéos, elle me les a envoyées pour me faire péter un câble, elle avec d’autres hommes. Je voulais juste récupérer mes affaires, si elle les avait rendus, je l’aurais plus recontactée. C’était une relation de gamins. » Son avocate joue la carte du sentiment qui déraille, de l’amour blessé, amène Bastien à parler de ses sentiments pour Kalinda.

Le prévenu est incarcéré depuis janvier 2019. Il travaille, a obtenu son bac en détention. Diabétique, il prend son traitement et consomme du cannabis de façon quotidienne. Sa vie est faite d’allers-retours en prison. « J’ai toujours été en cavale, j’ai jamais été en règle », élude-t-il. Il doit sortir en octobre 2026 : « Faut que je trouve ma place dans la société et me réadapter à la vie dehors. »

« Son comportement vis-à-vis des femmes est inadmissible »

La procureure fait part de son inquiétude « pour le cas de la victime et pour les femmes qui vont croiser la route de Bastien. » : « Il dit qu’il n’a jamais commis de violences physiques, dans sa bouche, ça a l’air de l’excuser ! » Son incapacité à se contrôler reste préoccupante : « À son âge, il faut qu’il réfléchisse aux conséquences de ces actes. Son comportement vis-à-vis des femmes est inadmissible, ce n’est pas possible de ne pas se remettre en question. » Elle fait ce constat désespérant : à 25 ans, Bastien a passé un cinquième de sa vie en détention. Elle requiert 30 mois d’emprisonnement dont 12 mois assortis du sursis probatoire, sans aménagement.

La défense de Bastien juge la peine demandée excessive. « On oublie un état psychologique qui existe des deux côtés. Ils jouent, ils s’agressent, ils s’envoient des mots épouvantables. Ils sont attachés l’un à l’autre. C’est une relation pathologiquement très curieuse. » Pour l’avocate, « il y a moins de danger qu’il n’y semble » : « Quand il la harcèle, quand il envoie des SMS scabreux, on n’a pas l’autre version et tout laisse à penser que c’est exactement la même chose. Ça n’excuse rien, mais ça explique. » Elle loue l’honnêteté du prévenu et demande une peine mesurée : « C’est un problème d’ensemble avec deux personnes prises dans un sentiment qui les dépasse. »

Face aux deux ans qui lui restent en détention et la perspective d’une prolongation, Bastien demande à ce qu’on ne lui rajoute pas du ferme : « Je travaille en détention, j’ai des défauts, je fais n’importe quoi, parfois. Si elle demande à être partie civile, y’a pas de problème. Mais une peine de prison, j’ai eu ma dose, ça me laisse aucune porte de sortie. Je vous demande une peine sans mandat de dépôt, que je puisse l’aménager ».

Il est condamné à une peine de deux ans d’emprisonnement, dont dix mois en sursis probatoire. Les quatorze restants sont prononcés avec mandat de dépôt. Il a interdiction de contact et de paraître au domicile de Kalinda et une obligation de soins.

*Les prénoms ont été modifiés.

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