TJ de Nanterre : « Vous réalisez que vos enfants sont traumatisés, votre femme terrorisée ? »
Des violences contre ses trois enfants, mais aussi contre son épouse, qui rapporte aussi des menaces de mort. Le prévenu, ne se considérait pas comme « un homme qui bat ses enfants » mais a fini par reconnaître les faits. En creux, c’est aussi la question des violences éducatives ordinaires qui traverse ce dossier.
Un couple s’avance dans la 20e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Nanterre, d’allure plutôt bourgeoise et proprette. Elle, prend place côté partie civile, lui s’approche de la barre face à la juge. Monsieur B. comparaît pour des faits de violences sur mineur entre 2018 et 2024 et entre 2020 et 2022, ainsi que pour des menaces de mort et des violences sans ITT contre son épouse.
Lors de son dépôt de plainte, Madame B. raconte recevoir régulièrement des insultes, parle de disputes devant les enfants, vidéos à l’appui. Entendu, Monsieur B. a d’abord nié les faits, avant d’être confronté aux images et de les reconnaître. Au dossier, figurent des photos des traces de violences sur les trois enfants du couple, qui sont adolescents : une marque rouge au lobe d’oreille, des hématomes, des marques de main.
« Les insultes, c’est une violence selon vous ? »
« Je vais reprendre dans l’ordre… », commence le prévenu, aussitôt interrompu par la juge qui ne semble pas apprécier cet aplomb : « C’est moi qui reprends. » Concernant les violences sur ses enfants, Monsieur B. explique qu’il ne s’agit pas là d’un « modèle d’éducation ». En résumé, il estime ne pas battre ses enfants, puisque les faits ne sont pas fréquents ni réguliers. « Mais ce n’est pas ce qu’on vous reproche », rétorque la juge.
– « Je ne nie pas, ni ne minimise.
– Vous faites la différence entre la force d’un adulte et la force d’un enfant ? Vous ne vous rendez pas compte ?
– Je ne nie pas ».
La juge continue de parcourir les photos. Monsieur B. plaide une gestion difficile de ses émotions au quotidien : « Mon rôle de père est tout le temps contredit et écarté. J’ai surréagi. C’est le seul moment où j’ai agi de la sorte. »
Pour autant, il nie les menaces de mort contre son épouse qui affirme qu’il lui aurait dit « Ce n’est pas le cancer qui va te tuer, je t’aurais tué avant ». Lui rétorque « ça ne me ressemble pas » et martèle qu’il n’a pas été violent… tout en reconnaissant les disputes, le caractère « toxique » de leur relation de couple, des insultes « réciproques ».
L’avocate de la victime l’interroge sur sa propension à nier puis à reconnaître quand on le met face à des éléments qu’il peut difficilement contredire. En garde-à-vue lorsque les policiers lui ont demandé s’il battait ses enfants, il a spontanément répondu non. « Battre ses enfants, ça a un caractère régulier, estime-t-il. Mon rôle de père s’est réduit à peau de chagrin. »
– « Les insultes, c’est une violence selon vous ?
– Oui.
– Alors vous êtes violent à l’égard de Madame. »
« J’ai expliqué que leur père sera toujours leur père »
Au tour de l’avocat des enfants du couple d’avoir des questions sur ses intentions vis-à-vis d’eux. « J’ai envie de les prendre dans mes bras, de leur dire que je les aime. Je veux leur dire que la violence n’est pas une réponse. »
Le procureur rappelle la période très longue sur laquelle s’étendent les violences contre les trois enfants du couple, mais aussi contre leur mère : « Il y a des coups de pied à votre conjointe, ça, c’est inventé ou ça vous revient ? » Il y a aussi des violences survenues durant des vacances en Espagne en 2022, où il l’aurait étranglé.
– « Pourquoi j’aurais étranglé la mère de mes enfants sans motif ?
– Quel est l’intérêt de Madame d’alléguer des menaces ? »
Monsieur B. se referme, ne répond pas sur les faits : « Cela fait quinze ans que je me dévoue pour ma famille », lance-t-il.
Madame B. fait face à la juge. Elle évoque le problème de gestion de la colère de son mari « dès qu’il y a un événement », par exemple cet afterwork où elle est conviée par des collègues qui déclenche son mécontentement au point qu’il lui assène des coups de pied. Sa voix tremble quand elle décrit les menaces, les insultes, les gestes violents, comme lui tordre le bras ou lui arracher son téléphone. La juge doit lui rappeler qu’elle n’est pas saisie pour toutes les violences qu’elle évoque. Son avocate la questionne sur sa situation actuelle :
– « Comment allez-vous aujourd’hui ?
– Je dors bien, je vais mieux. Ça m’arrivait de ne plus manger. Je suis détendue, les enfants aussi.
– Ça a une influence sur votre cancer ?
– Quel rapport ? intervient aussitôt la juge. J’ai fait exprès de ne pas aborder ce sujet !
– C’est l’occasion de dire qu’elle se soigne », estime l’avocate de Madame B.
L’avocate de la défense veut aussi questionner la victime pour savoir ce qu’elle dit à leurs enfants : « J’ai expliqué que leur père sera toujours leur père. Je ne renie pas leur lien. » Car puisqu’une procédure de divorce est en cours, l’enjeu des enfants et la garde vont se poser incessamment sous peu. L’occasion pour la défense de mentionner des déclarations des enfants : « Parfois mon père insulte ma mère, mais j’étais pas là », a raconté l’un d’eux. « Dans les auditions, les enfants expriment des choses que vous aviez dites », pointe l’avocate. Madame B. lui rappelle que ces insultes sont dans les vidéos.
– « Devant les enfants, vous avez pu exprimer qu’il faisait mal les choses.
– Parce qu’il dit aux enfants qu’on doit se mettre à table quand on mange, ou bien de ne pas grignoter avant les repas, mais je le vois manger debout ou se jeter sur le frigo le soir alors que je suis en train de mettre la table. Je trouve que l’éducation par l’exemple, c’est très important ».
« On ne passe pas d’un casier vierge à un sursis probatoire sans sursis simple »
Monsieur B. insiste sur son envie d’être un père présent et concède avoir fait un travail de « deuil » pendant son contrôle judiciaire. « Ce lien avec mes enfants, je le vois se disloquer, j’ai hâte de reprendre ma vie avec eux. » Il craque et sanglote à la barre. L’avocat des trois enfants demande quelles sont ses intentions à l’issue de la procédure de divorce.
– « J’ai coupé le cordon ombilical trois fois…
– Ce n’est pas la question.
– Si c’est autorisé, je veux reprendre ma vie avec eux.
– J’entends ce futur parfait que vous imaginez, poursuit l’avocate de son épouse, mais vous réalisez que vos enfants sont traumatisés, votre femme terrorisée ?
– Je ne suis pas un bourreau, je serais en prison depuis longtemps », rétorque le prévenu.
« J’aurais aimé qu’il reconnaisse les faits en intégralité », regrette le représentant de la fratrie dans sa plaidoirie. « Ce ne sont pas des violences quotidiennes, c’est incontestable, il y a plein de bons moments, mais les violences minent l’ensemble. Les enfants disent aujourd’hui que la vie est belle. Ils sont heureux qu’ils ne soient plus là. Ça ne signifie pas qu’il n’existe plus en tant que père mais c’est un long travail pour regagner leur confiance. » Il demande à ce que les enfants perçoivent une indemnisation.
L’avocate de Madame B. fait part de son inquiétude : « Quatre mois de contrôle judiciaire avec suivi psychologique, et il n’a toujours pas compris pourquoi ils sont traumatisés, il est prêt à retourner les chercher à la sortie de l’école. » Elle demande à la juge de protéger les victimes d’ici à l’audience du divorce dans deux mois. Madame B. ne demande aucune indemnisation, hormis celle des frais d’avocat.
Le parquet n’y va pas par quatre chemins : « Ce couple n’avait plus rien à faire ensemble depuis le début. Je ne suis pas naïf, dans ce dossier on a des accusations qui ne sont pas corroborées, sans photos, sans témoignages et qui sont niées. Je demande donc la relaxe pour les violences physiques. » Les violences contre les enfants sont, elles, reconnues, mais le procureur souligne aussi leur caractère psychologique : les insultes, le mépris sous le coup de l’énervement et de la fatigue : « C’est plus grave qu’un tirage d’oreilles. » Il revient enfin sur les paroles « abjectes » à l’encontre de Madame B. Face à ce qu’il qualifie d’immaturité, une incapacité à contenir sa frustration, il préconise un suivi psychiatrique et une peine d’avertissement : six mois assortis du sursis probatoire.
Pour la défense, la chambre n’a pas voulu entendre la parole de Monsieur B. : « Il reconnaît les faits, à l’exception des violences mais peu importe, c’est toujours de mauvaises réponses. » L’avocate rejoint cependant le ministère public, oui c’est un couple qui a toujours mal fonctionné, « en bout de course ». Reste un problème, selon elle, de qualification envers certains faits de violences : sans dates, sans témoins, sans ITT, sans éléments : elle demande la relaxe. Sur les menaces de mort, puis sur les violences sur mineurs, l’avocate de Monsieur B. veut faire preuve de précisions et déballe pour ce faire un tableau. Le procureur roule des yeux, intervient au grand dam de la défense. « C’est pas normal que je sois coupée dans ma plaidoirie ! », tempête-t-elle. « On juge un tirage d’oreilles, des violences sans ITT dans un cadre éducatif, pas des actes de cruauté ou d’humiliation. » Elle estime la réquisition du parquet trop sévère : « On ne passe pas d’un casier vierge à un sursis probatoire sans sursis simple ! »
Monsieur B. est relaxé pour les violences contre son épouse. En revanche, il est déclaré coupable du surplus. La juge se range à l’avis du procureur et prononce une peine de six mois entièrement assortis du sursis probatoire.
Référence : AJU013v8