TJ de Nanterre : « Y’a jamais eu de violences. Les voisins m’aiment pas ! »

Publié le 28/10/2024
TJ de Nanterre : «  Y’a jamais eu de violences. Les voisins m’aiment pas ! »
Gorodenkoff/AdobeStock

Présenté en comparution immédiate pour des violences contre sa compagne et des menaces de mort, un vingtenaire a minimisé les faits jusqu’au bout, avant de jeter une ultime et puérile provocation au moment du verdict.

Éric* entre dans le box en ce début d’après-midi dans la 16e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Nanterre. Il salue de la tête plusieurs personnes assises au premier rang. Il est présenté devant la justice pour des violences sans ITT sur sa conjointe, à deux reprises, à son domicile de Courbevoie, ainsi que des menaces de mort. La victime est absente de l’audience. Il souhaite être jugé aujourd’hui.

« J’aurais jamais pensé que ça me mènerait là »

Éric ne reconnaît pas tous les faits, parle d’une dispute au cours de laquelle il a dû « lui tenir les poignets », ou d’une autre où il l’a tenue « par les cheveux » : « C’était pour l’empêcher de me mordre, de m’atteindre ». Le juge s’arrête interloqué par la méthode : « Les cheveux, c’était le seul moyen ? » Le prévenu ne semble pas relever : « La vérité, comme j’suis un homme, c’était la seule façon de l’arrêter… » Il poursuit ses justifications : non il n’a pas été violent, « on a eu une échauffourée ». Éric explique à chaque fois qu’il s’est défendu. Toutefois, les messages que sa compagne a reçus sont assez explicites : « Je vais te tuer », « Tu vas le regretter », « T’es rien, t’es morte ». Elle a fini par porter plainte sous la pression des voisins. Dans le procès-verbal, les policiers ont observé du verre cassé dans l’entrée, et ont constaté que la jeune femme était en état de choc. Elle était accompagnée de sa colocataire, elle-même témoin des violences.

– « Elle a très peur de vous ?

– Y’a jamais eu de violences. Les voisins m’aiment pas ! »

Des voisins qui rapportent cependant avoir souvent entendu des scènes de violences et ont entendu le prévenu crier des heures à la porte et proférer des menaces. Éric persiste à nier les violences. Reste que les menaces de mort ont été constatées par les policiers eux-mêmes qui ont écouté les messages audio en question. Éric se justifie encore : « Je lui ai dit que j’allais partir, elle m’a dit: « Viens j’ai froid, nanani nanana » ». Il maintient avoir voulu quitter la relation mais en a été empêché : « J’ai dit des choses que je regrette », ajoute-t-il.

– « Quand vous dites que vous aimez cette personne, vous avez une drôle de façon d’aimer. Une façon d’aimer qui vous envoie en prison. Il y a un décalage, Monsieur, ce qu’on comprend, c’est que vous êtes le plus énervé des deux.

– J’ai eu des insultes envers elle, elle aussi a eu des propos blessants. J’aurais jamais pensé que ça me mènerait là ! »

Un autre élément va faire réagir le juge : si la victime a fini par se rendre au commissariat, c’est par crainte d’être dénoncée par ses voisins car le bail de l’appartement n’est pas à son nom et qu’elle ne veut pas que sa grand-mère ait des problèmes.

« Pour quelqu’un qui veut partir, c’est vous qui la harcelez ! »

Plus l’audience avance, plus le prévenu prend la parole à tort et à travers, coupant parfois la parole au juge. À la lecture de plusieurs messages, il grimace comme s’il entendait leur teneur sans comprendre qu’il en est l’auteur. En entendant le témoignage de la colocataire qui a vu la victime traînée au sol par les cheveux, il s’emporte à nouveau :

– « Elle faisait que me mordre !

– Monsieur, ça n’a pas de sens ! »

Le prévenu continue de parler sans discontinuer et le juge sort de ses gonds :

– « Si vous ne voulez pas comprendre que vous avez un comportement inapproprié, que c’est un geste d’une extrême violence…

– Elle est tombée dans la cuisine, elle en est venue aux mains !

– La témoin raconte que vous avez voulu lui mettre un coup de pied et qu’elle vous en a empêché et essayé de vous séparer. Vous avez éclaté des Caprisun et jeté une bougie dans l’entrée !

– Ça, je le reconnais. »

Éric se dit conscient qu’il faut arrêter cette relation. Néanmoins, les policiers ont constaté que c’est lui qui continue de contacter la victime.

– « C’est marrant, pour quelqu’un qui veut partir, c’est vous qui la harcelez ! Vous avez déjà été condamné ?

– Pour des bêtises.

– Quel âge vous avez, Monsieur ?

– 23.

– Même devant le juge pour enfants, on ne dit pas « des bêtises » ! »

Éric a reçu plusieurs condamnations pour des vols ou des affaires de stupéfiants. « J’essaie vraiment de m’en sortir », assure-t-il. Il est aujourd’hui livreur, continue de consommer du cannabis. « Madame aussi, c’est pas pour l’accabler… », lance-t-il.

La remarque est loin d’avoir l’effet qu’il semblait escompter.

– « Vraiment ? C’est le procès de Madame ? Elle fait ce qu’elle veut, elle n’est pas la prévenue dans cette affaire ! Vous, vous êtes en libération sous contrainte et vous prenez vos responsabilités. »

« Avant, on lui reprochait des bêtises, et là c’est sérieux »

« Quand il dit qu’il reconnaît les faits, il ne reconnaît rien du tout, il n’en revient pas d’être là. Avant, on lui reprochait des bêtises, et là c’est sérieux », déplore la procureure qui rappelle les fractures des os du nez qu’a subi la victime. Un prévenu qui « ne voit pas le problème » et une plainte qui a été déposée par la victime par peur de perdre son domicile. Le ministère public demande une peine de deux ans dont un assorti du sursis probatoire, avec interdiction de contact et de paraître au domicile de la victime, ainsi qu’un stage de sensibilisation aux violences au sein du couple.

La défense d’Éric estime qu’il n’y a pas vraiment d’éléments objectifs dans ce dossier pour l’envoyer en détention. Certes, il y a des menaces reconnues, mais pour le reste, l’avocate balaie d’un revers de main le témoignage des voisins qui ont « entendu » mais « pas vu » de violences. « Monsieur dit que c’est une relation toxique, donc oui on entend des disputes. Les voisins en ont marre, et Madame aussi l’a insulté. » Elle remet aussi en cause le témoignage de la colocataire, trop différent de celui de la victime dans la description des violences. « Pendant la détention, Madame a eu plusieurs autres amis, termine-t-elle enfin. Les voisins en ont peut-être marre des disputes et d’entendre crier à la porte, mais on ne parle peut-être pas de Monsieur ? »

Au délibéré, Éric est reconnu coupable et condamné à deux ans d’emprisonnement dont un assorti du probatoire. Comprenant la sentence, il commence à protester. « Faites attention », prévient le juge. Éric est rapidement maîtrisé et se retrouve à signer le papier alors qu’il a déjà les mains menottées dans le dos. « Je vais me faire un gros joint en cellule ! », lance-t-il enragé avant d’être sorti du box. Ni son avocat, ni le juge n’ont compris ce dernier sursaut de colère.

*Le prénom a été modifié.

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