TJ de Versailles : « En publiant « vive le Hamas », je ne savais pas que j’aurais affaire à la justice » !

Publié le 18/12/2024
TJ Versailles P. Anquetin
Tribunal judiciaire de Versailles (Photo : ©P. Anquetin)

Plus d’un an après l’attaque du 7 octobre 2023 par le Hamas en Israël, qui a causé la mort de 1 200 personnes et la capture de 251 otages retenus dans la bande de Gaza, des effets sont encore visibles en France. Le tribunal judiciaire de Versailles a récemment jugé une affaire d’apologie du terrorisme en lien avec la situation au Proche-Orient.

Entre une affaire de violence conjugale et de trafic stupéfiant, Monsieur F. a été appelé à la barre par la présidente de l’audience. Libre sous contrôle judiciaire, l’homme originaire de Magny-les-Hameaux s’est levé d’un banc dans le public et s’est avancé. Cet informaticien de 47 ans est accusé d’apologie du terrorisme. L’affaire avait été renvoyée en janvier 2024 pour réaliser une expertise psychiatrique qui n’a révélé aucun problème psychologique.

Les faits reprochés à Monsieur F. se sont déroulés le 20 octobre 2023. Le prévenu a, d’abord, publié sur le réseau social X le message suivant : « Vive le Hamas ! Vive Abu Obeida #freepalestine ». Puis le lendemain, dans une suite de réponses à un Tweet, il a écrit : « Tu as raison, ce n’est pas la faute de Netanyahu ! C’est l’existence même d’Israël ! Il faut faire disparaître Israël ! » Les deux publications ont été signalées sur la plateforme Pharos. Après des investigations téléphoniques et informatiques, les enquêteurs ont interpellé l’individu le 4 janvier 2024 au domicile de sa mère à Magny-les-Hameaux.

Après avoir rappelé ces éléments de la procédure, la juge a commencé à poser une série de questions. Que ce soit Monsieur F. ou la présidente de l’audience, chacun a pris le temps pour peser ses mots en marquant plusieurs temps de pause.

« Est-ce que vous reconnaissez que vous êtes l’auteur de ces publications et pouvez apporter des précisions sur les faits d’apologie du terrorisme qui vous sont reprochés ?, lui demande la magistrate.

Oui je reconnais mes publications… Je n’ai aucune sympathie pour le Hamas. Mais, suite à la déclaration de la présidente de l’Assemblée nationale sur son soutien inconditionnel à Israël, je souhaitais lui répondre car Israël avait commencé a bombardé Gaza. J’ai vu des vidéos affreuses avec un père et son fils avec le crâne explosé. Le soutien inconditionnel à Israël je trouvais ça scandaleux !

Selon vous, la publication constitue-t-elle une infraction ?

Oui je considère que c’est vrai. Mais j’ai été choqué que la présidente de l’Assemblée nationale appelle au soutien inconditionnel à Israël. Mais on peut aussi qualifier ce que fait Israël d’acte terroriste. Dire « Vive le Hamas ! », c’était de la provocation !

Vous publiez sur un compte public, vous êtes sur X. Quand vous dites que c’est une provocation, avez-vous conscience de la portée que peuvent avoir ces publications ?

Oui. C’était de la provocation. Quand j’entends soutien inconditionnel à Israël, j’ai le droit de dire « Vive le Hamas ».

La présidente de l’audience a ensuite orienté ses interrogations sur la situation actuelle. Son objectif était de savoir si le prévenu ressentait des regrets. « Je n’aurais pas publié ce message, a répondu Monsieur F. en ajoutant, je ne me serais pas rabaissé au même niveau que la présidente de l’Assemblée nationale. » Il a marqué un temps de pause avant de reprendre : « Cette publication était complètement inutile et elle n’a servi à rien. »

L’informaticien, accusé d’apologie du terrorisme, a continué de se justifier en faisant une différence entre les actes de terrorisme perpétrés en France et l’attaque du Hamas. Il a également argumenté par rapport à l’histoire. « À un moment, Yasser Arafat ou Nelson Mandela étaient considérés comme des terroristes puis ils ont obtenu le prix Nobel de la Paix. Vous voyez terroriste, on ne sait pas ce que c’est », a-t-il lancé le regard droit en direction de la présidente de l’audience.

La magistrate du siège a rappelé plusieurs éléments du parcours de l’homme de 47 ans. Informaticien de profession, il est sans emploi depuis 2016 suite à un burn-out. Monsieur F. est déjà connu des services de police pour ses anciens liens avec la mouvance de l’ultra-gauche. Son casier judiciaire fait l’état d’une mention : une condamnation par le tribunal judiciaire de Paris en 2016 à cinq ans d’emprisonnement, dont deux avec sursis pour des faits de violence aggravée et de participation à un groupement en vue de commettre des dégradations. La présidente a souhaité revenir sur ces faits.

– « J’ai clairement fauté. Une erreur grave. J’ai été puni. Qu’est-ce que je peux vous dire de plus ?, lui indique Monsieur F.

 Je ne sais pas, lui répond la juge.

C’est tout !

Enfin, quand quelqu’un publie des propos qui peuvent… (elle marque une longue pause) être véhéments et appelant éventuellement à la violence avec « il faut faire disparaître Israël », vous comprenez qu’on puisse vous demander des explications surtout par rapport à cet antécédent judiciaire ?

Je considère que ce sont deux choses différentes.

Quand on a déjà été condamné par la justice, il faut éviter de se faire remarquer à nouveau.

Quand j’ai dit « Vive le Hamas », je ne savais pas que j’aurais affaire à la justice… Puis, je n’ai pas dit « Vive Daech ! » Ce sont deux choses différentes ».

Le procureur a ensuite débuté son argumentaire en citant l’article 421-2-5 du Code pénal qui définit l’apologie du terrorisme comme « le fait de provoquer directement à des actes de terrorisme ou de faire publiquement l’apologie de ces actes ». Par rapport aux arguments du prévenu, la magistrate du parquet a précisé que « tout ce qui peut constituer un acte terroriste est défini en fonction du ministère public sans distinction entre les actes qui sont tous englobés ».

En considérant le contexte de l’infraction, l’attaque du 7 octobre était déjà qualifiée d’acte terroriste et l’apologie du terrorisme peut être retenue puisque les publications ont été faites sur un réseau social à destination du public. « Je vous propose d’entrer en voie de condamnation à travers une peine de deux ans d’emprisonnement assorti d’un sursis probatoire avec l’obligation de suivre des soins psychologiques et de travailler. Je demande aussi une privation d’éligibilité pour une durée de 5 ans et l’inscription de Monsieur F. au fichier judiciaire d’auteurs d’infractions terroristes (Fjait) », a demandé le procureur pour conclure son réquisitoire.

Face à ces réquisitions, l’avocate de Monsieur F. a d’abord orienté son propos sur le contexte et les conséquences des publications. « L’apologie du terrorisme doit être déterminée dans un contexte national. De plus, si on condamne Monsieur F., c’est qu’on considère que ses propos sont à l’origine d’acte terroriste. Mais ce n’est pas le cas », a souligné la défense en précisant que le compte utilisé par l’accusé était suivi par 63 abonnés.

La défense s’est ensuite appuyée sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme par rapport à la liberté d’expression. « Il ne revient pas aux institutions judiciaires de reconnaître si le Hamas est une organisation terroriste. Le terrorisme est un terme flou. Il ne fait aucun doute concernant les actes terroristes de Daech. En revanche, quand on est dans le cœur d’actualité à l’étranger, c’est plus compliqué de déterminer ce qui est terroriste ou pas. Le Proche-Orient est un cadre éminemment compliqué. On ne doit pas prendre parti ici à cette barre. Il faut prendre parti pour une chose, l’un des gardiens de notre société : la liberté d’expression. Monsieur F. n’est en rien un terroriste. C’est pourquoi je demande de prononcer la relaxe », a plaidé l’avocate.

Après délibération, le tribunal judiciaire de Versailles a reconnu Monsieur F. coupable d’apologie du terrorisme. Il a été condamné à 18 mois d’emprisonnement assorti d’un sursis probatoire avec des obligations de soins et de trouver un travail. En peine complémentaire, les juges ont retenu l’inéligibilité pendant cinq ans et l’inscription au Fjait qui lui interdit d’exercer certaines professions notamment dans la fonction publique.

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