TJ de Versailles : « Vous vouliez payer l’État avec des cartes Pokémon ? »
Le tribunal correctionnel de Versailles traite ce jour-là un dossier concernant deux vols de cartes Pokémon au sein de l’entrepôt de la société éditrice Asmodee par un ancien salarié.
Quand Pikachu, Salamèche ou encore Bulbizarre s’invitent au cœur d’une affaire au tribunal judiciaire de Versailles. La sixième chambre correctionnelle examine ce jour-là un dossier concernant le vol par effraction de cartes Pokémon dans un entrepôt de l’entreprise Asmodee, à deux reprises avec un an d’intervalle. À 26 ans, Monsieur M. se présente au juge depuis le box des accusés. Grand, élancé, cheveux bouclés mi-longs, le jeune Yvelinois semble calme et disposer à assumer ses actes. Le président de l’audience commence à énumérer les faits reprochés au prévenu.
Dans la nuit du 15 au 16 septembre 2022, Monsieur M. entre par effraction au siège de l’entreprise spécialisée dans l’édition de jeux de société et basée à Guyancourt. Ancien salarié de la société et deux mois après l’avoir quitté, le jeune homme connaît les lieux et réussit à sortir plusieurs palettes avec des cartons de cartes Pokémon sur le quai de livraison. Le butin est estimé à 46 650 euros au prix d’achat. Un an plus tard, le 22 décembre 2023, l’ancien collaborateur d’Asmodee récidive avec le même mode opératoire. Cette fois-ci, il repart avec une cargaison de cartes Pokémon au prix d’achat de 62 995 euros. Un deuxième cambriolage durant lequel il laisse tomber sans en avoir conscience son briquet au sein du site. Un objet retrouvé par la police lors de la constatation des faits et sur lequel ils vont découvrir l’ADN de l’auteur.
Deux cambriolages pour des cartes Pokémon chez Asmodee
Monsieur M. est interpellé quelques semaines après. Son domicile perquisitionné permet à la police de mettre la main sur un véhicule acheté en Allemagne et des paquets de cartes Pokémon neufs correspondants aux collections dérobées. Face à la police, le principal suspect des deux effractions reconnaît les faits mais refuse d’admettre avoir gagné de l’argent grâce à la revente des cartes.
Pourtant, à travers l’exploitation du téléphone de Monsieur M., des photos avec des liasses de billets et des messages à de potentiels revendeurs confirment cette hypothèse. Tout comme l’achat d’un véhicule en Allemagne après le deuxième cambriolage. Une partie de l’échange engagée entre le juge et le prévenu est focalisé sur la revente des cartes.
« Alors Monsieur M. pourquoi avez-vous volé votre ancienne société ?, lui demande le président.
— D’abord, j’aurais bien voulu que les personnes d’Asmodee soient là pour m’excuser auprès de mes anciens responsables. C’est horrible et je m’en veux énormément car j’ai passé cinq ans top dans cette entreprise. Après, j’ai volé ces cartes dans le but de les revendre. Je n’avais pas d’argent, plein de choses n’allaient pas et j’avais beaucoup de dettes.
— Il faut assumer Monsieur M. Vous avez revendu les cartes Pokémon ?
— Non je ne les ai pas revendus ces cartes. »
— Vous vous achetez deux véhicules, vous avez des photos avec des liasses de billets et un séjour au sport d’hiver. Vous dites que rien n’allait et que vous aviez des dettes. Puis, votre train de vie ne correspond pas à votre statut de demandeur d’emploi.
— Je n’ai pas réussi à vendre les cartes. Avec l’argent de mon épargne, j’ai eu l’idée d’acheter une voiture en Allemagne et de la revendre plus cher en France. Finalement, j’ai eu beaucoup de problèmes avec cette voiture. Oui, je suis allé au sport d’hiver. C’était le foyer d’une amie et le matériel de sport m’était prêté. J’avais juste à payer les remontées mécaniques.
— Ensuite, vous y retournez un an après avec le même mode opératoire. C’est que c’est intéressant comme coup ?
— J’avais de gros endettements aussi vis-à-vis de l’État !
— Vous vouliez payer l’État avec des cartes Pokémon ? » .
Le magistrat du siège détaille ensuite le casier judiciaire. À 26 ans, le jeune Yvelinois a quatre mentions entre 2017 et 2023 pour conduite sans permis et usage de stupéfiants, dont une condamnation en 2023 à six mois d’emprisonnement avec un sursis probatoire de deux ans.
Un prix de revente des cartes estimé à 556 737 euros
À côté de ces faits répréhensibles, Monsieur M. a obtenu un CAP boulangerie en 2015. Après son départ d’Asmodee en juillet 2022, il reste sans emploi avant d’enchaîner des missions d’intérim. Lors de l’audience, il admet vouloir trouver un emploi stable dans le domaine de sa formation initiale. « Vous n’auriez pas de mal. Il y a de la demande de main d’œuvre dans votre activité », lui rétorque le juge. En confiant être passé par une « mauvaise période » au moment des deux cambriolages, Monsieur M. insiste : « J’ai fait ces erreurs et je veux assumer les préjudices. Mais encore une fois, j’aurais voulu m’excuser auprès des personnes d’Asmodee avec qui j’ai eu une très belle expérience. »
L’entreprise spécialisée dans l’édition de jeux de société est représentée par son avocate. Dès le début de sa plaidoirie, elle répond aux propos tenus par le jeune homme. « Monsieur M. veut assumer ses énormes erreurs. On parle de deux vols pour des centaines de milliers d’euros pour le prix d’achat de ces cartes Pokémon. On estime le prix de revente des biens dérobés à hauteur de 556 737 euros. Asmodee demande à être indemnisé à hauteur de ce préjudice », souligne-t-elle sans fournir de documents justifiant ce montant. Face à cette estimation, le juge rétorque : « Il faudrait des éléments écrits. La somme estimée du préjudice ne se fait pas comme ça à la vue des faits. » Dans ce contexte, l’avocate suit l’indication du président avec un renvoi sur intérêts civils.
Une condamnation pour vol en 2018 absente du casier judiciaire
Vient ensuite le réquisitoire du procureur de la République. « J’ai du mal sur son explication sur l’absence de revente. Ce n’est pas corroboré par les messages retrouvés avec des acheteurs notamment après les premiers faits. Le train de vie ne correspond pas avec la situation de chômage de Monsieur M. et les 800 euros par mois », insiste le magistrat du parquet. Dans son argumentation, il revient aussi sur un vol par effraction en 2018 pour lequel Monsieur M. a été condamné à 10 mois d’emprisonnement avec sursis. Des faits qui ne sont pas mentionnés dans le casier judiciaire du prévenu. Le procureur requiert un an d’emprisonnement avec mandat de dépôt, la révocation de ces 10 mois de sursis à hauteur de six mois d’emprisonnement avec incarcération immédiate et la confiscation du véhicule retrouvé sur les lieux « qui doit résulter du vol des cartes », précise-t-il.
En entendant la peine qu’il pourrait encourir, l’accusé de 26 ans laisse basculer sa tête dans ses mains. Son avocat prend à son tour la parole et s’étonne de la mention des faits datant de 2018 : « On a déterré une condamnation qui n’apparaît pas dans son casier judiciaire ». Avant de faire basculer sa rhétorique sur le profil du jeune homme : « Avant son interpellation, il faisait des missions d’intérim. Il a aussi un suivi psychologique à Trappes qui lui permet cette prise de conscience aujourd’hui devant vous monsieur le président ». Et de conclure en demandant une certaine indulgence de la justice pour lui assurer une insertion sociale.
Monsieur M. ponctue lui-même sa défense avant le délibérer : « Je le redis, je suis prêt à assumer financièrement. Même si c’était un million d’euros, j’aurais assumé toute ma vie. J’essaie de devenir une autre personne. J’aimerais vraiment pouvoir me réintégrer dans le monde du travail pour reprendre une vie saine et tranquille ».
Après plus de 20 minutes de délibéré, le président et ses deux assesseurs reviennent en salle d’audience. La décision tombe : Monsieur M. est reconnu coupable des faits reprochés. Il est condamné à 8 mois d’emprisonnement avec mandat de dépôt. La condamnation avec sursis de 2018 est révoquée à hauteur de quatre mois d’emprisonnement. Le tribunal ordonne également la confiscation du véhicule retrouvé à son domicile. Enfin, le président prononce le renvoi des intérêts civils d’Asmodee à une audience qui se tiendra le 5 décembre 2024.
Référence : AJU014l0