TJ d’Évry : « À quel parent vient-il à l’idée de sortir une paille et de montrer comment sniffer ? »

Publié le 27/05/2024
TJ d’Évry : « À quel parent vient-il à l’idée de sortir une paille et de montrer comment sniffer ? »
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Un père de famille a été présenté devant le tribunal judiciaire d’Évry-Courcouronnes pour avoir fait boire de l’alcool, mais aussi fait fumer une cigarette artisanale et préparer un rail à son enfant de 12 ans. Il s’est défendu de l’avoir mis en danger, affirmant avoir voulu répondre à ses questions sur les drogues.

Monsieur J. s’assoit sur le banc des accusés aux côtés de son avocate, tandis que celle de la partie civile, qui représente son ex-compagne et sa fille, s’avance de l’autre côté. La juge fait un rappel efficace et rapide des faits, tant cette après-midi dans la 9e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire d’Évry-Courcouronnes est chargée (22 dossiers !). Monsieur J. comparait pour soustraction à ses obligations légales compromettant la santé, la sécurité, la moralité, ou l’éducation de son enfant et usage illicite de stupéfiants entre janvier et juin 2022.

« Faire une ligne à sa fille de 12 ans, vous trouvez que c’est un comportement adapté ? »

En juin 2022, la mère de Camille*, 12 ans, porte plainte contre son ex-conjoint et père de ses deux enfants. L’enfant a été hospitalisée quelques semaines plus tôt après une tentative de suicide et a confié aux soignants que son père lui avait proposé de prendre des drogues, et qu’elle avait aussi consommé de l’alcool avec lui. L’aînée de Monsieur J., âgée de 16 ans et née d’une précédente union, a également affirmé que son père lui avait fait essayer plusieurs substances.

Le domicile a été perquisitionné et différentes substances ont été retrouvées, selon le rapport d’enquête. Placé en garde à vue, Monsieur J. a contesté les déclarations de sa fille : alors que Camille posait beaucoup de questions sur les drogues, son père a voulu lui montrer de quoi il s’agissait en lui préparant une ligne de taurine, une substance énergisante. Quant à l’alcool, il a reconnu qu’elle avait trempé ses lèvres dans un verre de rhum à une fête d’anniversaire. Face à la juge, il tempère ses actes et sa consommation.

– « Faire une ligne à sa fille de 12 ans, vous trouvez que c’est un comportement adapté ?

– Elle faisait des demandes répétées sur les drogues, j’ai voulu la préparer.

– Elle va comment à ce moment-là, Camille ?

– Elle va très bien.

– Il me semble qu’elle est en situation de harcèlement.

– Je l’ai appris après.

– Pour vous, il n’y avait pas de souci ? Vous n’étiez pas au courant du harcèlement scolaire ? »

Il maintient que non. La juge revient à la charge quant à cette ligne de taurine que le père a reconnu avoir préparé pour sa fille de 12 ans.

– « Est-ce qu’on donne de la caféine pure à un enfant ?

– C’était pour lui montrer, pour qu’elle ne soit pas piégée.

– Elle en parle, donc vous lui montrez comment on fait ?

– Quand on interdit quelque chose à quelqu’un, ça donne encore plus envie. »

Le raisonnement semble peu convaincre la juge. Camille aurait aussi tiré une latte sur une cigarette artisanale de son père. De nouveau la juge s’enquiert de savoir comment Monsieur J. voit ses propres actes. Lui continue d’affirmer avoir voulu préparer sa fille. Agirait-il de la sorte avec son plus jeune fils de 9 ans ? « Non, car il n’est pas en recherche de réponses », estime le prévenu.

L’avocate de la partie civile veut en savoir plus sur les différentes substances trouvées en perquisition, notamment de la laitue vireuse, ainsi que des gâteaux au CBD.

Sans casier judiciaire, propriétaire de son logement, salarié d’un bureau d’études, Monsieur J. affirme ne plus consommer de stupéfiants, même occasionnellement depuis ces faits de 2022. Son avocate en profite pour aborder la pathologie dont il souffre, une algie vasculaire de la face, aussi appelée maladie du suicide, qui provoque des crises et des douleurs très vives, et pour laquelle Monsieur J. a cherché des remèdes par tous les moyens, y compris du côté des substances illégales.

« Mon père mettait de la bière dans la pâte à crêpes, et je n’en suis pas morte »

Pas de quoi attendrir l’avocate de la partie civile : « Les bras m’en tombent ! On est hanté par l’idée d’avoir un ado qui tombe dans la toxicomanie ! À quel parent vient-il à l’idée de sortir une paille et de montrer comment sniffer ? » Il lui paraît inconcevable que ce père ignorait tout de ce que traversait sa fille à l’école et rappelle que c’est chez lui qu’elle a fait sa tentative de suicide. Elle ne croit pas non plus à ce portrait de « consommateur occasionnel », au regard du matériel découvert en perquisition. « Monsieur n’a aucun recul. Sa première réaction en garde-à-vue a été de dire que sa fille a menti. Ce n’est pas un discours soucieux du bien-être de sa fille. Il lui a envoyé des SMS pour la culpabiliser pendant son hospitalisation : « à cause de tes déclarations, j’ai fait de la prison », « ils m’ont mis les menottes et m’ont crié dessus ». » Sa demi-sœur par loyauté envers son père a elle aussi envoyé des messages à Camille. L’avocate souligne enfin l’intervention d’un juge afin de mettre un terme à la garde alternée. Elle réclame plusieurs milliers d’euros de dommages et intérêts pour l’ex-conjointe de Monsieur J. et pour Camille.

Du côté du ministère public, on doute aussi fortement de l’intérêt de la pédagogie par l’expérience dans ce contexte. « Je ne comprends pas la démarche de Monsieur J. qui dit vouloir protéger sa fille », s’étonne le procureur qui pointe la situation de faiblesse de Camille au vu du harcèlement qu’elle subit. Il requiert une peine d’avertissement et de réflexion, soit un stage de responsabilité parentale et une peine de huit mois avec sursis simple pour ce « dossier navrant ».

« Les bras m’en tombent également », s’agace l’avocate de Monsieur J., « mais pas pour les mêmes raisons. ». Elle s’attache à démonter plusieurs points du dossier, notamment les faits d’usage de stupéfiants, puisque parmi les produits découverts en perquisition, certains ne sont ni des drogues ni des psychotropes, notamment la laitue vireuse. C’est aussi l’absence de dimension intentionnelle à compromettre la sécurité, la santé, la moralité de sa fille qui est en jeu. « Mon père mettait de la bière dans la pâte à crêpes, il m’a toujours fait goûter et je n’en suis pas morte. Que Camille ait trempé ses lèvres dans le verre de Monsieur n’a peut-être pas de vertu pédagogique, mais ce n’est pas pénalement répréhensible. De plus, la cigarette artisanale sur laquelle elle a fumé ne contenait pas de cannabis. » Elle demande enfin à ce que les SMS mentionnés ne soient pas pris en compte, car non datés. Pour l’avocate, la relaxe s’impose.

« Mes enfants me manquent », déclare simplement Monsieur J. avant de quitter la barre. Au délibéré, la juge se range à l’avis du procureur en le déclarant coupable et le condamne à une peine de huit mois avec sursis et à l’exécution d’un stage de responsabilité parentale à ses frais. Il est aussi reconnu responsable du préjudice moral et devra verser des dommages et intérêts.

*Le prénom a été modifié.

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