TJ d’Évry : « C’est terrible de déposer plainte contre son propre fils » !

Publié le 18/09/2023
TJ d’Évry : « C’est terrible de déposer plainte contre son propre fils » !
Tiko/AdobeStock

Pour des menaces de mort réitérées et matérialisées par un objet contre sa propre mère et son frère, un homme de 20 ans comparaît au tribunal judiciaire d’Évry-Courcouronnes. Son profil psychiatrique et ses antécédents médicaux vont être au cœur des débats, mais aussi la nécessité ou non de maintenir le contact avec sa famille.

Le prévenu, M., a 20 ans mais la dégaine mal assurée d’un adolescent tout juste sorti du lycée, lorsqu’il se lève et s’avance à la barre devant la 9e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire d’Évry. Dans la soirée du 22 juin dernier, c’est sa mère qui a franchi la porte du commissariat de Draveil pour signaler les menaces de mort qu’il a proférées, contre elle et contre son autre fils. « Je vais te tuer » leur a crié M. quelques heures plus tôt, en pointant un couteau dans leur direction.

« J’avais pas pris mes médicaments »

Il est mentionné dès le départ que M. souffre de troubles psychologiques et qu’il est sous traitement. Les crises ne sont pas nouvelles au sein de la famille, mais n’avaient jamais atteint ses proportions terribles, selon les dépositions. La dispute a éclaté suite à un désaccord banal, une histoire de vélo. M. entre alors dans une violente colère, lance un verre, commence à casser tout ce qui lui passe sous la main dans la maison, finit par aller à la cuisine d’où il revient un couteau à la main. Il agrippe sa mère par le bras, la traite de « salope », lui crache au visage. La juge se tourne vers M., dont l’extrême nervosité est palpable. « Je regrette », souffle-t-il d’une voix faible. Il lui est difficile de détailler les faits, la dispute mais aussi les quelques heures qui l’ont précédée, qu’il a passé avec des amis. « Une bonne journée », reconnaît-il, ce qui rend les faits suivants d’autant plus incompréhensibles. La juge tente avec patience d’amener le prévenu à s’expliquer, à se raconter, pour saisir comment il en est arrivé à perdre le contrôle à ce point.

– « Il va falloir être plus précis sur le déroulé des faits. Ce n’est pas anodin de porter plainte contre son propre enfant. Comment en est-on arrivé là ? »

– « J’avais pas pris mes médicaments. J’avais oublié. »

La juge tente alors de comprendre les intentions de M. :

– « Vous comptiez faire quoi avec ce couteau ? »

– « Jamais j’aurais pu… ! », s’agite le prévenu.

– « Que disiez-vous ? »

– « Que j’allais les tuer… »

La juge s’enquit de la suite de la dispute. Alors que son frère est à l’étage, M. va chercher cette fois un marteau. Quelles étaient là encore ses intentions ? « Je voulais casser encore », bredouille M. La juge s’intéresse à la fréquence et au degré de violence de ces accès de colère. Fréquentes, M. reconnaît aussitôt qu’elles le sont, mais jamais d’une telle ampleur. Il raconte néanmoins que la police est déjà intervenue une fois par le passé et qu’il avait alors été emmené à l’hôpital. Spontanément, il salue la réaction de sa mère d’avoir fini par aller au commissariat : « Elle a eu peur, elle a bien fait d’aller déposer plainte », souffle à nouveau M. La juge évoque le courrier de sa grand-mère qui exprime son désarroi face aux comportements de son petit-fils et signale justement ces crises qui surviennent selon elle de façon brutale et pour des motifs futiles. C’est à ce moment que M. déclare être en dépression, ce que la juge relie rapidement avec ses déclarations faites en garde-à-vous, où il a exprimé la volonté de se faire du mal. Depuis le 22 juin dernier, le jeune homme assure avoir scrupuleusement suivi son traitement quotidien.

« Parler de toute cette colère, ça pourrait vous faire avancer ? »

Sans mention dans son casier judiciaire, M. a été examiné par un psychiatre qui a statué qu’il n’y avait pas d’abolition du discernement aux moments des faits. Il préconise des soins psychiatriques en ambulatoire, mais aussi une rupture avec le milieu familial, une possibilité déjà évoquée par le passé, note la juge. Par quatre fois, M. a déjà fait des séjours en clinique ou en hôpital. Il n’a jamais eu de diagnostic psychiatrique et s’est vu prescrire un régulateur d’humeur depuis août 2021, d’abord un premier traitement, puis l’actuel, qui s’avère efficace – lorsqu’il est pris – selon le jeune homme lui-même. M. voit un psychiatre mais les accès de violences ne semblent pas évoqués dans ces séances. « Parler de toute cette colère, ça pourrait vous faire avancer ? Et partir du domicile ? » M. hoche mollement la tête. Son CAP en poche depuis 2021, il n’a pas d’activité à l’heure actuelle après avoir été employé pendant un mois dans un magasin de décorations. « C’est difficile de trouver en ce moment », explique-t-il face à une juge dubitative.

Son avocat prend la parole pour souligner que son dossier à la MDPH est en cours de traitement. L’avocat de sa mère, absente de l’audience, intervient aussi pour insister sur un point : lorsque M. a une activité professionnelle, les choses se passent mieux à la maison. « Quand on lit ce dossier, c’est le mot tristesse qui suinte de chaque déposition », poursuit-il. « De celle de M., qui raconte de façon méticuleuse son mal-être. De son frère, le seul avec qui il a un lien. De son père, qui a baissé les bras. Il y a une dichotomie entre l’amour de ses parents et leur fatigue chronique. Ce sont des parents qui disent à la justice qu’ils sont désemparés, qu’ils ne savent plus quoi faire. C’est terrible de déposer plainte contre son propre fils. M. dit que jamais il ne l’aurait fait, mais c’est la dispute de trop. » L’avocat de la partie civile rappelle que M. a une personnalité borderline, mais que cela ne constitue pas une pathologie. Puisqu’il est majeur, il ne dépend pas de ses parents dans la gestion de son traitement ou de son suivi médical. Dans son réquisitoire, il demande le versement d’un euro symbolique pour montrer au jeune homme qu’il y a des conséquences à ses actes. S’il doit être condamné, cela doit s’accompagner d’une injonction de soins mais il ne faut pas le couper de sa famille, estime enfin le conseil de la mère de M. « Il a besoin d’un cadre, il doit se soigner, il doit travailler là-dessus. »

C’est au tour de la procureure de souligner le désespoir de toutes les parties dans ce dossier. Elle pointe une situation « potentiellement explosive », car si M. a exprimé ses regrets, a compris le risque, rien ne garantit que la situation ne pourrait pas à nouveau dégénérer : « A-t-il suffisamment de maîtrise pour ne pas passer à l’acte à nouveau ? », s’interroge-t-elle. Elle demande la mise en place de soins adaptés et un sursis probatoire. C’est l’interdiction de domicile et de contact qui semble plus difficile à trancher pour le ministère public. « On pourrait choisir la facilité en optant pour une interdiction de contact, mais c’est une situation complexe. Maintenir l’éloignement n’est pas une bonne solution », estime-t-elle, notamment au regard de la question des ressources financières de M. Elle requiert une peine de huit mois assortis d’un sursis probatoire de deux ans et l’obligation du suivi des soins.

« Il est la première victime car il ne sait pas de quoi il souffre »

S’il rejoint les constatations de la partie civile sur les souffrances qui transparaissent dans ce dossier, l’avocat de M., qui a demandé à être désigné commis d’office, s’attache à mettre en lumière certains détails qui n’ont pas encore été évoqués pendant l’audience : les multiples internements psychiatriques, mais aussi les tentatives de suicides du jeune homme, ses actes de scarifications. Les problèmes qu’ont ses parents à gérer la situation ont bien été évoqués mais il tient à insister sur un point : M. est la première victime de ses propres agissements. Pour preuve, il tient à revenir sur les quelques heures avant les faits du 22 juin, où M. a passé du temps à Juvisy avec l’intention de se suicider. Il cite plusieurs extraits de l’audition de M., « La vie, c’est trop dur », « Je ne me sens pas bien quand je rentre à la maison » et insiste sur l’absence de diagnostic : « Être borderline relève des troubles de la personnalité. On ne sait pas où classer les personnes qui en sont atteintes. Je vais le redire, il est la première victime car il ne sait pas de quoi il souffre ! » L’avocat conteste ensuite le fait que la mère ait réellement été pointée par M. avec son couteau en s’appuyant sur l’audition de son autre fils, qui n’a pas vu ce moment. Il tempère également la réitération des menaces de mort et demande la relaxe sur ces deux points. Il déplore un climat familial défavorable à M. et un désintéressement à son égard. « Des années que ça dure, la famille se réunit, ne peut pas laisser passer et raconte un peu tout et n’importe quoi. La famille aurait dû se bouger. » Appelé à la barre avant la suspension de séance, M., toujours aussi abasourdi, murmure qu’il n’a rien à ajouter.

Au délibéré, la juge déclare M. coupable et prononce quatre mois d’emprisonnement intégralement assortis d’un sursis probatoire de deux ans avec une obligation de soins et de travail, et sans interdiction de contact ou de domicile avec sa famille. Il devra verser un euro symbolique aux parties civiles.

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