TJ d’Évry : « De base, les cambriolages et tout ça, c’est pas mon truc »

Le prévenu a livré des explications farfelues pour justifier sa présence dans un salon de coiffure en pleine nuit, salon qu’il avait vraisemblablement déjà visité pour y dérober la somme de 1 400 euros.
Le prévenu attend patiemment dans le box la reprise de l’audience de la 10e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire d’Évry. Grand et fin, du haut de ses 19 ans, David* est présenté en comparution immédiate pour vol et tentative de vol par effraction dans un salon de coiffure de Sainte-Geneviève-des-Bois et recel de bien provenant d’un vol.
La première série de faits remonte au 14 octobre 2024, la deuxième de la veille. Quant au recel, il s’agit de la détention d’un permis de conduire. Son détenteur, Monsieur C., n’est pas présent, mais le propriétaire du salon, Monsieur S., vient de s’asseoir sur le banc de la partie civile.
« Vous vous êtes dit que vous pourriez à nouveau tenter votre chance ? »
Le 14 octobre dernier, des policiers interviennent au commerce de Monsieur S., dont la conjointe est présente : la porte a été brisée et une somme importante a été dérobée. La vidéosurveillance montre un individu qui a pénétré seul, fouillé à plusieurs endroits. En audition, David a contesté être l’auteur du vol, et persiste aujourd’hui devant la juge : « J’étais pas là, j’étais à Bourges, chez une amie. » La juge examine une photo du dossier :
– « Vous trouvez pas qu’il y a une petite ressemblance ?
– Je peux vous expliquer un truc ? Tout à l’heure, on m’a dit que je ressemblais à quelqu’un. Moi, j’étais pas là, j’étais à Bourges, j’y étais pendant deux mois… octobre, novembre, décembre… Je suis parti au mois d’août, le 4, jusqu’au mois de décembre.
– Ce qui est curieux, Monsieur, c’est qu’on a fait une localisation de votre téléphone le 14 octobre. Il a borné à Sainte-Geneviève, et vous êtes censé être à Bourges.
– J’ai deux téléphones…
– Avouez que c’est troublant…
David cite un numéro, parle de cartes prépayées, parfois il a un téléphone, parfois l’autre, il s’emberlificote dans des explications vagues. La juge coupe court avec ironie : « Vous avez un homonyme ? Un dédoublement ? » Concernant les faits de la veille, qui ont eu lieu à l’exact même salon de coiffure, toujours en pleine nuit, avec le même mode opératoire, il reconnaît les faits.
– « J’avais vu la porte un petit peu ouverte de quelques centimètres, j’avais vu de la lumière au fond dans les toilettes.
– Vous rentrez pour vous saisir d’une paire de ciseaux, pour quoi faire ?
– Au cas où il y avait un voleur. »
Tout semble très logique dans sa tête : les policiers mettent souvent du temps à arriver, il a donc voulu agir seul et vérifier que tout allait bien.
– « Vous n’êtes pas revenu parce que la première fois 1 400 euros ont été pris, et vous vous êtes dit que vous pourriez à nouveau tenter votre chance ?
– J’étais pas là la première fois. »
« Le Monsieur, c’est un gros menteur ! »
Alerté par le système de vidéosurveillance, Monsieur S. s’est précipité sur les lieux en appelant la police et a coincé David dans les toilettes. Le prévenu nie avoir forcé la porte : « De base, les cambriolages et tout ça, c’est pas mon truc… Ma copine est enceinte, elle est à Angoulême, on cherche un appart. Elle va accoucher dans pas longtemps, je veux voir mon enfant grandir. » Il voudrait devenir agent de sécurité, ce qui justifie selon lui, son entrée dans le salon : « J’aime bien aider, c’est tout. »
Monsieur S. est appelé à la barre et n’y va pas par quatre chemins : « Le Monsieur, c’est un gros menteur ! » Il assure même l’avoir vu non pas à deux mais à trois reprises, et qu’il cherchait clairement de l’argent en forçant les tiroirs. « La porte d’entrée était fermée, bien sûr, on ne laisse pas un commerce ouvert ! » Il explique à la juge qu’il aurait été impossible de partir en laissant le salon ouvert sous peine de ne pas pouvoir arrêter l’alarme, qui se déclenche de toute façon lorsque quelqu’un force la porte.
Monsieur S. nie avoir porté des coups à David, qui proteste dans le box. Il souhaite se porter partie civile « Ça m’a coûté beaucoup d’argent tout ça. » Un des assesseurs s’étonne qu’il ait laissé une somme si conséquente sur place le 14 octobre. « La somme est restée le temps que je vienne la récupérer. C’est à peu près dix jours de travail. J’étais au Maroc, c’est ma femme qui a fait la déclaration. »
Qu’en est-il du recel de permis de conduire ?
– « C’était à mon cousin.
– Expliquez-vous. Monsieur C. ne vous connaît pas, vous n’avez pas de lien de parenté.
– C’est le cousin de mon oncle, le frère à mon père.
– Ça n’explique toujours pas pourquoi il ne vous connaît pas.
– Je voulais ouvrir mon entreprise en tant que dépanneur automobile. J’étais en train de passer le code, je lui ai demandé son permis à lui.
-… Et ça vous pose aucun problème ?
– Beh si
– Ça semble pas.
– Bah aujourd’hui si. Si j’avais eu mon permis, ça aurait été beaucoup mieux ».
Chaque nouvelle question donne lieu à de nouvelles explications plus ou moins bancales que David livre dans le plus grand des calmes.
– « Il est né où, Monsieur C. ?
– Je pourrais pas vous dire. Dans la famille, on est tous nés au niveau du sud…
– Il est Corse votre cousin ? Il est né à Porto Vecchio ? »
Le lien de parenté entre David et le détenteur du permis semble s’être réduit à peau de chagrin. Le prévenu n’a aucune mention à son casier judiciaire, mais la procureure mentionne une ordonnance d’homologation de peine : une condamnation pour menace de mort avec un couteau à 105 heures de travaux d’intérêt général et l’interdiction de paraître au Carrefour de Sainte-Geneviève il y a tout juste une semaine.
– « Pourquoi on vous retrouve ici cinq jours après ces faits ?
– C’est pas une bonne période
– On commence à vous connaître en très très peu de temps… »
« Les explications me semblent tout à fait farfelues »
David est jeune et a un parcours cabossé depuis son placement en foyer à 14 ans. Il a quitté l’école en 6e, et vit de petits jobs. La procureure requiert la relaxe pour le recel. « En revanche, pour les vols et tentative de vol, les explications me semblent tout à fait farfelues. Au moins un passage à l’acte et un retour sur les lieux du premier méfait : il s’est dit que c’était une bonne idée de revenir pour se faire de l’argent facilement. » Tous les éléments sont réunis pour le condamner. Le parquet s’inquiète de ces passages à l’acte très rapprochés alors que David était totalement inconnu des services de police il y a encore quelques mois. « Il n’a pas d’attache très stable ni très pérenne, une compagne dont il ne connaît pas le nom de famille… » Elle requiert une peine de huit mois d’emprisonnement aménageable avec le juge d’application des peines, dont quatre en sursis probatoire. Elle demande aussi une interdiction de séjour à Sainte-Geneviève-des-Bois pour trois ans. « J’espère qu’il a compris cet avertissement. »
L’avocat de la défense se range à la demande de relaxe quant au recel. Concernant le vol, il rappelle que la partie civile n’était pas présente ce jour-là et que le bornage du téléphone n’est pas un élément suffisant. Il demande la relaxe au bénéfice du doute. Mais impossible de contester les faits du 6 janvier. « Je vous demande de tenir compte de plusieurs éléments : c’est sa première infraction, c’est un primo délinquant. » David a la parole : il tient à dire qu’il a reçu trois jours d’ITT après les coups de Monsieur S., malgré la contestation de ce dernier.
Il sera bien relaxé des faits de recel, mais déclaré coupable des autres faits : il est condamné à six mois sous sursis probatoire avec obligation de travail, et interdiction de paraître au salon de Monsieur S.
*Le prénom a été modifié.
Référence : AJU016u9
