TJ d’Évry : « Et la réponse du ministère public, c’est la prison pour un migrant en détresse ! »

Publié le 04/12/2023
TJ d’Évry : « Et la réponse du ministère public, c’est la prison pour un migrant en détresse ! »
mariesacha/AdobeStock

Un jeune Malien en situation irrégulière est présenté en comparution immédiate au tribunal judiciaire d’Évry-Courcouronnes pour avoir tenté par deux fois de s’introduire dans l’appartement d’une résidence d’Évry et pour des violences contre le gardien des lieux.

Il cligne des yeux, sourit, comme étonné d’être là, semble presque se demander s’il est la raison de l’affluence considérable dans la 10e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire d’Évry cet après-midi. Monsieur T. est présenté dans le box, tandis qu’un interprète se place à ses côtés derrière la vitre.

Le prévenu comparaît pour deux dossiers, effraction et violences n’ayant pas provoqué d’ITT : il est entré par effraction dans une résidence d’Évry, a tenté de forcer la porte d’un appartement et a menacé avec une barre de fer le gardien venu lui signifier de partir.

« OK », répond Monsieur T. depuis le box avec une nonchalance que la juge ne peut pas laisser passer. « C’est pas « OK », c’est « oui », voire « Oui Madame la présidente » », s’énerve-t-elle. La remontrance n’a pas beaucoup d’effet, tandis qu’elle poursuit le rappel des faits.

Deux jours plus tard, en plein après-midi, la police est de nouveau appelée sur les lieux. Monsieur T. a de nouveau tenté de s’introduire dans le même appartement.

« C’est le tribunal qui pose les questions ! »

« Oui j’ai fait ça ! », s’exclame Monsieur T. en français. Il semble peu disposé à faire profil bas, mais surtout sincèrement peu conscient de ce qu’il lui est reproché. « Vous me laissez parler ! », tonne la juge, agacée.

En garde-à-vue, Monsieur T. a désigné un certain D. comme étant l’occupant de l’appartement, et affirme que ce dernier lui aurait laissé l’occuper mais qu’il en a changé les serrures sans prévenir.

– « Je n’étais pas au courant, répète-t-il à l’audience.

–  Mais vous aviez le droit d’être là ?

–  Bien sûr, c’est ma maison !

– Vous aviez des clés, un contrat ? Et pourquoi le gardien a appelé la police en disant que vous n’avez pas à être là ? »

Monsieur T. parcourt la salle du regard : « Est-ce que le gardien est présent ? » La juge est à bout : « C’est le tribunal qui pose les questions ! » Elle relève en outre que le prévenu maîtrise plutôt bien le français alors qu’un interprète en bambara a été dépêché pour lui. C’est à ce moment qu’elle mentionne le nom du propriétaire de l’appartement face à un Monsieur T. qui ne se démonte pas et rétorque, très sûr de lui : « Est-ce que vous avez la preuve ? »

La juge tente malgré tout de poursuivre :

– « Pourquoi on ne vous a pas prévenu de ce changement de serrures ?

–  Je ne sais pas.

– Vous savez pourquoi on ne vous a pas donné les clés ?

– Pourquoi vous dites que c’est pas chez moi ? ! »

Face à ce prévenu peu coopératif, elle finit par changer de sujet et se concentre sur les violences, afin de décider d’une éventuelle requalification.

Cinq ans pour venir en France

Monsieur T. est un Malien d’une vingtaine d’années, même si on le croit à peine sorti de l’adolescence. Il est arrivé en France en 2022 et n’a pas de titre de séjour. Il a arrêté l’école en primaire et a ensuite travaillé. En France, il n’a pas trouvé de travail depuis son arrivée : « Je suis fatigué de chercher. » Son avocat se tourne vers lui :

– « Parlez-nous de votre parcours pour venir en France.

– J’ai mis cinq ans pour arriver. Je suis passé par l’Algérie et la Libye. »

La procureure estime qu’au vu de la répétition des faits, le prévenu « n’a pas conscience que ce n’est pas son logement » : « Il persiste et signe, le message ne passe pas. On a pris un temps correct pour expliquer, j’ai peur qu’il retourne à la résidence. » Elle reconnaît sa personnalité atypique, son absence de domicile et de travail, le fait qu’il n’a pas d’attaches en France. « Comment peut-on être sûr qu’il respectera un contrôle judiciaire ? On ne peut pas lui faire entendre raison, le risque de réitération est trop grand. Il n’y a pas d’autres solutions que du ferme. » Elle requiert deux mois d’emprisonnement avec mandat de dépôt et une interdiction de séjour dans l’Essonne.

« Il a mis cinq ans pour arriver », insiste l’avocat de Monsieur T., « cinq ans d’errance, de violence, de pauvreté. » Pour lui, il est clair que son client a des troubles du comportement, lui qui reconnaît les faits « comme un enfant » qui « retourne là où on lui dit de ne pas aller ». L’avocat ne cache plus sa colère : « Il est dans une situation d’urgence : où aller ? Et la réponse du ministère public, c’est la prison pour un migrant en détresse ! Il ne fallait pas prendre le risque d’aller en France, autant s’arrêter en Libye ! » Il demande la relaxe pour les faits de violences et que la juge ne prononce pas un mandat de dépôt.

Le sourire de Monsieur T. s’est légèrement effacé, une inquiétude a pris la place de son expression enfantine et un peu goguenarde. Au délibéré, la juge prononce la relaxe pour les faits de violence et le déclare coupable pour les violations de domicile. Il est condamné à trois mois de sursis simple. Il est interdit de séjour dans l’Essonne pendant deux ans. La juge s’assure auprès de l’interprète qu’il a bien compris le verdict. Le regard de Monsieur T. s’est perdu.

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