TJ d’Évry : « Et vous continuez de parler avec une jeune fille qui vous dit qu’elle a 16 ans » !
Un homme comparaît devant le tribunal judiciaire d’Évry-Courcouronnes après la découverte de vidéos le présentant sur un chat en ligne en train de se masturber avec d’autres personnes, dont certaines semblent mineures.
« Je sais que c’est compliqué de s’exprimer en public alors on va commencer par faire connaissance », lance la juge au prévenu à la barre, comme pour le rassurer. Petites lunettes, t-shirt noir, Monsieur F. n’en mène pas large devant la 7e chambre correctionnelle alors qu’il comparaît pour détention d’images d’un mineur à caractère pornographique, proposition sexuelle et incitation à commettre un acte de nature sexuelle faite à un mineur de 15 ans, ainsi qu’exhibition sexuelle commise au préjudice d’un mineur de 15 ans.
La juge commence par s’intéresser à sa vie conjugale. Cet informaticien père de deux filles est en cours de séparation d’avec son épouse depuis le printemps. « Elle met en avant des infidélités de votre part, vous en dites quoi, vous ? » Face aux hésitations du prévenu, elle poursuit en prenant à témoin ses deux assesseures : « On est obligé de parler de libido, de vie sexuelle, nous on a l’habitude… » Lui nie des infidélités, il ne fait que rencontrer des femmes sur des sites en ligne.
– « Votre ex évoque des découchages.
– Il n’y avait pas d’infidélités, maintient Monsieur F.
– Votre séparation, c’est seulement dû à ça ?
– Aussi à une lassitude, on essayait de faire quelque chose depuis quelques années.
– Vos libidos n’étaient plus compatibles ?
– Oui, c’était moins bien qu’avant. »
« Quand c’est des personnes très jeunes, je zappe »
C’est son ex-épouse qui a été au commissariat en juillet dernier pour signaler la découverte d’une de ses filles. Alors qu’elle cherchait une clé USB, son aînée a trouvé par hasard des vidéos d’un chat en ligne où apparaît Monsieur F. en train de se masturber et de faire des propositions sexuelles. Entendues par la police, les deux filles n’ont dénoncé aucun fait intrafamilial.
Lors de son audition, Monsieur F. a été interrogé pour savoir si les personnes avec qui il a échangé sur ce site étaient toujours majeures. Il a alors répondu qu’il ne savait pas, qu’il ne posait pas la question de l’âge et que ça ne l’intéressait pas. Si les visages ne sont pas apparents sur les vidéos, les enquêteurs ont noté que certaines personnes ont l’air jeune, voire adolescentes. Sur l’une des vidéos, ils ont souligné que la minorité est « flagrante ». Sur une autre, l’interlocutrice de Monsieur F. déclare avoir 16 ans.
« C’est une question que doit se poser le tribunal », reprend la juge, « vous avez parfaitement le droit d’avoir ce genre d’échanges pornographiques dès lors que ce n’est pas avec des mineurs. » Or il n’y a aucun doute pour les enquêteurs sur la minorité de certaines personnes. « Et vous continuez de parler avec une jeune fille qui vous dit qu’elle a 16 ans. Vous reconnaissez que cette image revêt un caractère pédopornographique ? » Réponse du prévenu : « Je fais des vidéos avec des jeunes femmes, quand ce sont des personnes très jeunes, je zappe. »
« Vous saviez que vous aviez affaire à des mineures »
Ce n’est pourtant pas une évidence, car dans le cas d’une des vidéos, les « gamines » à l’écran semblent âgées entre 8 et 12 ans, selon les enquêteurs. « C’est elles qui se déconnectent », souligne la juge. Elle veut mieux comprendre le fonctionnement de ce type de chat, où chacun se connecte et allume sa caméra. Bien qu’interdit aux mineurs, il est pourtant facile pour quiconque de cliquer sur « j’ai plus de 18 ans » en arrivant dessus. « Je le fais à l’audience, Monsieur le procureur », prévient la juge, qui tente alors de se connecter au site utilisé par le prévenu. Sans surprise, sa tentative échoue car son ordinateur professionnel ne lui permet pas d’accéder à un site pornographique.
– « Pourquoi vous faites des captures vidéos ?
– Pour les regarder plus tard.
– Ils le savent les gens, que vous les filmez ?
– Non, ils ne sont pas au courant. »
Au tour du procureur d’avoir des questions à poser au prévenu.
– « Vous maintenez les aveux faits à l’audition ?
– Oui, je maintiens avoir eu des discussions.
– Ce n’est pas ce qu’on vous reproche. Vous saviez que vous aviez affaire à des mineures.
– C’était pas très clair.
– Donc, c’est pas grave ? »
La juge revient dans l’échange : « Ce qui vous est reproché, c’est de ne pas vous être préoccupé de savoir si les personnes en face de vous étaient mineures. L’une a 16 ans et vous continuez le chat. Le procureur poursuit :
– Vous concédez que lors de certains échanges, vous aviez affaire à des mineures, c’est oui ou non ?
– Non, quand c’est flagrant, je zappe. »
La juge demande au prévenu de s’approcher et lui présente une capture d’une vidéo sur son ordinateur :
– « Y’a un doute ou y’a pas de doute ?
– Elle paraît jeune effectivement. »
Une des assesseures questionne à son tour le prévenu pour savoir s’il était spécifiquement en recherche de personnes jeunes. Monsieur F. répond que non, que c’était en fonction du moment. De fait, les enquêteurs n’ont exploité qu’une partie des vidéos trouvées sur la clé USB, celles susceptibles d’être des délits car mettant en scène des mineures.
« J’appelle à la prudence et à la relaxe au bénéfice du doute »
Pour le procureur, Monsieur F. a reconnu les faits mais « dit presque qu’il s’est fait avoir. » Le ministère public met en avant le nombre « trop important de vidéos impliquant de tout jeunes enfants se livrant à toutes sortes d’actes ». Il qualifie le prévenu de « prédateur » : « Les photos sont suffisamment nettes pour voir que ce sont des mineurs. La matérialité des faits est reconnue, mais aussi la dimension intentionnelle. » Il demande 18 mois d’emprisonnement avec sursis probatoire et obligation de soins et requiert également une peine complémentaire d’interdiction d’exercer une activité au contact de mineurs et une inscription au Fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles (Fijais).
« Le procureur dit qu’il n’a pas de doutes sur la minorité des victimes », reprend l’avocat de la défense qui, lui au contraire, n’est convaincu de rien. Il reprend les quatre infractions une par une pour défendre l’idée qu’elles ne tiennent pas, notamment l’incitation et l’exhibition qui selon lui ne sont pas suffisamment caractérisées. Il rappelle que parmi les vidéos, certaines ne posent aucun problème et que si les enquêteurs ont eu des doutes sur la minorité, ils n’ont pas non plus été en mesure de dire l’âge des interlocutrices de Monsieur F. et se sont basés sur leurs observations du type « poitrine peu développée », « visage enfantin », ou encore « corps prépubère ». Il n’y a pas d’éléments de certitude, maintient-il. Actuellement sous contrôle judiciaire, Monsieur F. a reçu une obligation de soins et a déjà honoré une dizaine de rendez-vous depuis août dernier. « Il y a vraiment un doute, j’appelle à la prudence et à la relaxe au bénéfice du doute. »
Au délibéré, Monsieur F. est relaxé. La juge estime qu’au vu du dossier, d’autres qualifications auraient pu être retenues contre lui. Elle ordonne la restitution des scellés.
Référence : AJU011e9