TJ d’Évry : « J’ai eu peur, j’ai cru qu’ils allaient me faire du mal, je voulais pas casser du policier »

Publié le 14/01/2025
TJ d’Évry : « J’ai eu peur, j'ai cru qu’ils allaient me faire du mal, je voulais pas casser du policier »
La 10e chambre correctionnelle du tribunal d’Évry (Photo : ©I. Horlans)

La question de l’abolition ou de l’altération du discernement a traversé tout ce dossier, où un prévenu atteint de schizophrénie et sous traitement était présenté pour des faits de violences contre des policiers lors d’une interpellation.

Difficile de donner un âge à Valentin* : il est grand, attend patiemment en tenant ses mains devant lui comme ne sachant pas trop quoi faire avec, comme un enfant. Son regard se fixe longtemps au loin, d’un air un peu absent. Il a 37 ans, est sous curatelle renforcée, mais sa curatrice a dû partir avant le début de l’audience. Les victimes sont au nombre de cinq, seuls deux hommes ont pu être présents sur le banc des parties civiles.

L’audience a à peine commencé dans la 10e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire d’Évry-Courcourronnes que Valentin se précipite pour prendre la parole avec un mélange d’assurance et de stress. La juge lui explique qu’il aura rapidement la parole pour donner sa version. L’affaire est simple : devant la gare d’Évry, il a été contrôlé avec deux amis et les policiers en civil ont découvert une fiche de recherche à son endroit. Valentin a alors résisté à l’interpellation, hurlant, se débattant, résistant au menottage, au point que les policiers ont dû le mettre au sol, puis faire usage du pistolet à impulsion électrique pour le maîtriser avant de l’emmener. En voiture, il a de nouveau eu un comportement incontrôlable. Il comparaît en audience à délai différé pour violences et rébellion.

« De base, j’étais déjà énervé, mais pas contre les policiers »

« Je vais vous raconter comment ça s’est passé » : d’un ton presque méthodique, Valentin livre beaucoup d’informations qui permettent de comprendre le contexte et peut-être aussi sa réaction face aux policiers : il accompagnait un ami qui a acheté du cannabis et s’est retrouvé lui aussi contrôlé, ce qui l’a énervé, lui qui devait aller chercher ses médicaments au CMP d’Évry.

– « Monsieur, vous avez une fiche de recherche ?

– Ça fait même pas un mois que je suis sorti de l’hôpital psychiatrique ! De base, j’étais déjà énervé, mais pas contre les policiers. J’avais du mal, je me sentais pas bien.

– Le contrôle vous agace ?

– Je réponds au policier que c’est impossible, ma SPIP m’aurait prévenu si j’avais une fiche ! Il me dit qu’il doit m’embarquer. J’étais à trois jours de mon anniversaire. J’ai arrêté toutes les bêtises que je faisais avant pour avoir une vie saine. Ça a été difficile de comprendre ma maladie. »

Il assure avoir été mis à terre aussitôt et menotté et que l’arrivée de renforts a décuplé son état de stress. Il regrette que son ami présent n’ait pas été entendu à titre de témoin. Dans le véhicule, Valentin s’est encore débattu, il raconte qu’on le « strangule », qu’il reçoit des coups de taser. La juge lit les déclarations des policiers : « Ils décrivent qu’ils ont essayé de négocier pour vous faire rentrer dans le véhicule. Vous avez commencé à racler votre gorge et à faire des crachats ensanglantés. » Au point qu’ils ont fait un arrêt pour acheter des masques afin d’éviter les crachats. Deux des policiers ont reçu dix jours d’ITT : « Comment je peux mettre des coups à quelqu’un si je suis assis, menotté, j’ai pris des coups de taser ? J’ai porté aucun coup à aucun policier, volontaire ou involontaire, par contre, moi, j’ai reçu des coups. »

« Ça a été un moment très pénible pour moi et mes collègues »

Monsieur C., un policier particulièrement baraqué que Valentin surnomme le Marseillais en raison de son accent, arrive à la barre. Il n’a reçu aucun jour d’ITT. Il revient sur les conditions du contrôle : « Le fichier des personnes recherchées précisait qu’il fallait l’interpeller sur-le-champ pour une affaire d’appels malveillants. Il a dit que c’était impossible. J’ai menotté le poignet droit, ça allait, puis il s’est énervé et on a été obligé d’être à trois sur lui car impossible de finir le menottage. »

– « Vous étiez présent quand il disait qu’il pensait que c’était pas des vrais flics ?

– Quand il a vu le véhicule banalisé, il a commencé à crier que c’était des faux policiers et a refusé de monter dans le véhicule. »

Monsieur C. l’affirme, Valentin n’a « pas porté de coup franc » sur les policiers, ni n’a commis d’outrage, mais il était très agité.

À la barre, Monsieur D., qui a reçu dix jours d’ITT, se montre bien plus vindicatif à l’égard de Valentin. « Il a nié notre fonction de policiers, il disait qu’on ressemblait à des jeunes de cité, il m’a pris pour un médecin. Il a essayé d’haranguer la foule. » Chef de bord du véhicule, il a craint un accident, en raison des coups de pied que Valentin portait au chauffeur. « On lui a mis un masque, qu’il s’est évertué à retirer, il a continué à cracher, j’en ai reçu un au niveau du visage, à donner des coups de pied. Il était cohérent, son but était d’empêcher le transport, de se venger de l’interpellation dont il a fait l’objet. » Il tient aussi à raconter une conséquence de l’interpellation qui n’est pas mentionnée dans le procès-verbal : « On ne parle pas du risque sérologique, mais Monsieur a refusé de procéder à un test VIH et hépatite, donc nous avons dû prendre un traitement en trithérapie. Ça a été un moment très pénible pour moi et mes collègues. Y’avait une volonté de faire mal. »

La juge temporise : « Ça, ce sont vos déclarations. On va en rester aux faits objectifs ». Interrogé par l’avocate de Valentin, Monsieur D. maintient que s’il ne nie pas son « passé psychiatrique », il voit une « cohérence dans ses actes. » Un des assesseurs lui demande de préciser ce qu’il entend par là. « Il se débattait dans un certain but, je pense que Monsieur ne souhaitait pas être transporté, j’y vois un lien de causalité. » La juge réitère : « On est là pour objectiver et pas donner son impression. » Monsieur C. demande la parole pour un détail : il explique que la caméra piéton n’a pas marché : « Ce n’est pas un oubli ou une volonté, elle n’a juste pas fonctionné. J’en suis le premier désolé. »

La défense veut revenir sur le déclencheur de cette interpellation, la fameuse fiche, très contestée par Valentin : « J’aimerais que cette fiche puisse être mise au débat. » La juge soulève l’ironie de la situation : le prévenu est poursuivi aujourd’hui pour un tout autre motif. « Le contrôle d’identité est ce qu’il est, mais l’interpellation n’est motivée que par cette fiche », rappelle l’avocate de la défense.

– « Oui et ?, rétorque le conseil des parties civiles.

– Oui et rien, je le mets au débat !

– Si ça valait le coup ou pas de l’interpeller ?

– Et si le ministère nous dit que la fiche était caduque ? Ce serait intéressant de le savoir ! »

Valentin a 26 mentions à son casier judiciaire. Il a été diagnostiqué schizophrène et bénéficie d’une mesure de curatelle renforcée avec un traitement médicamenteux qu’il suit bien. Une imprévisibilité dans le comportement peut survenir, il n’est pas atteint d’un trouble psychique ou neuropsychique. Au moment des faits, il venait de sortir d’une hospitalisation de trois mois sous contrainte. « Le tribunal d’Évry me connaît depuis longtemps, j’ai eu une vie difficile. Je suis désolé par rapport à ce qui s’est passé, je voulais pas que ça se passe comme ça. J’ai eu peur, j’ai cru qu’ils allaient me faire du mal, je voulais pas casser du policier. »

« Quelques centaines de mètres et trois blessés dans un véhicule administratif ! »

Pour l’avocate des policiers, « les choses n’auraient jamais dû se passer ainsi », peu importe la fiche de recherche : « Ils voient “à interpeller”, les vérifications seront faites après, ce n’est pas leur boulot. Quelques centaines de mètres et trois blessés dans un véhicule administratif ! Je veux bien tout entendre, mais ces violences ne sont pas légitimes. » L’avocate insiste sur la contrainte de prendre un traitement post-exposition pour ces policiers qui ont reçu des crachats. « Nous dire que les méchants c’est les fonctionnaires de police, ce n’est pas possible ! » Elle formule des demandes de dommages et intérêts pour les cinq victimes, en fonction du nombre de jours d’ITT reçus, allant de zéro à dix.

La légitimité du contrôle n’est pas contestée, rappelle le ministère public. Et si les violences sont graves, la question du discernement s’est posée, d’où la demande d’une deuxième expertise psychiatrique. Les deux ne disent pas que Valentin n’est pas du tout aux prises avec la réalité. Elle requiert trois ans d’emprisonnement dont 18 en sursis probatoire pendant trois ans et le maintien en détention pour la partie ferme.

« Il ne sera pas question de violences policières dans ma plaidoirie », prévient l’avocate de Valentin. « Mon propos est clair depuis le départ : Monsieur souffre de problèmes psychiatriques suffisamment importants, son discernement est aboli. Je demande au tribunal de prononcer la relaxe. » Son comportement relève de la paranoïa, voire d’un état de transe. « Le chauffeur a dit qu’il était incohérent. Il appelle à l’aide, pense qu’il s’agit de faux policiers. Vous comme moi, on aurait compris que c’était des fonctionnaires de la BAC. » Abolition ou altération, les faits ne méritent pas trois ans d’emprisonnement, maintient-elle. « Je pense qu’il lui faut un accompagnement. »

Alors qu’il a la parole en dernier, Valentin en rajoute une couche pour expliquer qu’il n’a pas pu donner de coups dans la voiture, comme s’il était encore temps de rejouer le match. Son avocate l’invite à se taire. Il est déclaré coupable et condamné à 18 mois d’emprisonnement dont huit mois avec sursis probatoire. Le reste pourra être aménagé à domicile. Il devra indemniser les parties civiles. « Y’a pas d’autre formule d’aménagement de peine ? Genre, semi-liberté ? », tente Valentin. Avant d’être emmené, sa mère et son frère prennent le temps d’échanger avec lui et de le rassurer.

*Le prénom a été modifié.

Plan