TJ d’Évry : « Je ne veux pas qu’il vienne chez moi, chez ma mère, ni sur mon lieu de travail »

Publié le 11/12/2024
TJ d’Évry : « Je ne veux pas qu’il vienne chez moi, chez ma mère, ni sur mon lieu de travail »
La salle des pas perdus du tribunal d’Évry est aux trois-quarts dédiée à la tranquillité des victimes. (Photo : ©I. Horlans)

Contestant les faits et multipliant les sous-entendus graveleux à l’égard de la victime, un homme était présenté à la justice pour des faits de violences sur sa conjointe en récidive.

Monsieur M. est introduit dans le box de la 10e chambre correctionnelle tandis qu’une jeune femme prend place côté partie civile. Il comparaît pour violences habituelles sur sa conjointe n’ayant pas entraîné d’ITT, des faits qui se sont déroulés sur une période de plusieurs semaines entre octobre et novembre 2024.

Deux semaines plus tôt, les policiers de Morsang-sur-Orge sont appelés en pleine nuit pour intervenir dans le cadre d’une violente dispute. Sur place, Madame B. raconte que son conjoint, Monsieur M., est rentré ivre, lui a fait une clé de bras, l’a griffé et étranglé. Il a par la suite pris la fuite mais est rapidement retrouvé en train de rôder aux alentours. L’interpellation a été compliquée, puisqu’il s’est débattu et les policiers ont dû faire usage du taser. En audition, il a déclaré avoir été victime de violences de la part de Madame B. et qu’il n’a fait qu’essayer de freiner ses coups. Concernant les marques de coups repérées par les policiers sur place, il a expliqué qu’elle avait dû se faire mal dans d’autres circonstances.

Madame B. a été à son tour placée en garde-à-vue et entendue en audition. Elle a maintenu que son conjoint était rentré tard et lui avait sauté dessus. Elle a raconté des violences et des menaces récurrentes, notamment qu’il lui avait dit qu’il la tuerait si elle le quittait. Elle a manifesté son désir de quitter le domicile, et a rapporté d’autres faits de violences dans les semaines précédant l’intervention de la police et a pu montrer des photos de ses blessures.

« Un couple adorable et gentil » a affirmé un voisin lors de l’enquête de voisinage… sauf quand la soirée dégénère et que « des cris retentissent ». Le fils de Monsieur M., âgé de 12 ans, était dans sa chambre au moment des faits. Il a raconté avoir « entendu des cris, comme d’habitude » et a évoqué la consommation régulière d’alcool et de drogues de son père et de sa conjointe, ainsi qu’un climat de jalousie à l’égard de Madame B. et d’un collègue. Dans une seconde audition, Monsieur M. a maintenu que les blessures prises en photo ne sont pas de son fait, que Madame se cogne au travail ou en faisant le ménage.

« Tout allait bien avec Madame ? Votre fils parle de cris habituels. »

Devant la juge, le prévenu maintient ses déclarations et nie être l’auteur des violences. Il ne se souvient globalement pas, à l’exception d’une marque à la cuisse qu’il justifie par des ébats sexuels : « Elle aime bien que ce soit un peu sauvage », justifie-t-il tout en finesse. Il charge aussi Madame B. en décrivant une consommation excessive d’alcool et des « black-out ». La juge sort plusieurs photos du dossier et les tourne vers le prévenu, lequel commente : « Elle marque vite, hein ? » Il affirme ne pas avoir vu ses marques. Autre photo, cette fois d’une trace rouge en forme de main, autre commentaire de Monsieur M. : « Parfois, elle demande un peu fort, moi j’exécute. » Une autre photo montre un doigt gonflé et provoque chez lui ce commentaire : « Le pire c’est qu’on prend des douches ensemble, j’ai rien vu ! »

– « Elle se blesse fréquemment ?

– Elle boit fréquemment. »

Lui nie avoir une consommation excessive. « De l’alcool de temps en temps, le shit c’est interdit à mon travail, il y a des tests. Et je tiens à mon travail. » Un des juges assesseurs s’enquiert de la façon dont il envisage la suite de cette relation :

– « C’est fini.

– Tout allait bien avec Madame ? Votre fils parle de cris habituels.

– Elle parle comme ça, moi j’ai pris l’habitude. Moi, je vais prendre un autre appartement. »

Questionné sur sa fuite à l’arrivée des policiers, il continue de nier :

– « Je suis parti fumer une cigarette en bas devant chez moi. J’ai pas fui.

– Vous étiez d’une particulière violence…

– C’est pas ça…

– Il n’est pas poursuivi pour des faits de rébellion, intervient son conseil.

– D’accord c’est une petite promenade pour aller fumer, vous maintenez que vous avez été très calme ? »

Le parquet insiste sur un autre point du dossier : « Les policiers voient les bleus aussitôt. Vous, vous n’avez rien vu de la journée ? » Et s’il maintient qu’il a aussi reçu des coups, comment se fait-il qu’aucune blessure n’ait été constatée ?

« Je n’ai pas de bleus, comme j’suis black. »

« On a espoir que ça va changer »

Madame B. est appelée à la barre. Elle se présente sans avocat et maintient les faits tels qu’ils ont été décrits par la juge. Elle conteste les dires de son conjoint sur sa consommation d’alcool : elle travaille dans la sécurité aéroportuaire et doit régulièrement faire des tests. Le couple boit de l’alcool le week-end et ensemble, décrit-elle. Les violences ne sont pas récentes, puisqu’une plainte pour violences a déjà été déposée en mai dernier, avec une condamnation à six mois d’emprisonnement, lors d’une audience où ni lui ni elle n’était présent.

– « Pourquoi avoir continué la relation ?

– On a espoir que ça va changer. Et puis il y a eu les menaces.

– Vous souhaitez déménager ?

– Je ne veux pas qu’il vienne chez moi, chez ma mère, ni sur mon lieu de travail. »

Elle souhaite se constituer partie civile et obtenir des réparations pour le préjudice subi à hauteur de 1 500 euros. « Elle fait sa vie, bonne chance pour elle, je lui souhaite que du bonheur », a pour toute réaction Monsieur M. À 42 ans, il a à son casier judiciaire 7 condamnations pour des violences et des délits routiers. « Ma jeunesse », élude-t-il.

La procureure évoque aussi une autre plainte, celle d’une ex, « une amie, pas plus », selon le prévenu, pour des violences. La défense veut rappeler le contexte familial du prévenu, le fait qu’il a la garde de son fils de 12 ans depuis qu’il est bébé. C’est son aîné de 22 ans qui a récupéré le jeune garçon lorsque Monsieur M. a été placé en détention.

« Les UMJ sont habituées à voir des bleus sur des peaux noires ! »

« On sent d’énormes problèmes, et peu de remise en question, déplore la procureur. Il y a beaucoup d’éléments et peu viennent corroborer la version de Monsieur. Madame dit qu’elle a été violentée, cinq blessures sont repérées aussitôt. » Elle souligne aussi certaines déclarations du prévenu en garde-à-vue : « Elle joue avec mon casier, elle veut m’envoyer en taule. Elle se cogne au travail pour me faire porter la faute. » L’excuse de l’hématome indétectable sur peau noire ne tient d’ailleurs pas davantage : « Les UMJ sont habituées à voir des bleus sur des peaux noires ! », s’agace-t-elle. La procureure rappelle aussi le contenu des messages envoyés par Madame B. à des proches : « Il me gifle », « il me défonce la gueule », le tout photos à l’appui. Le parquet constate que le prévenu n’exécute pas forcément ses peines et craint la réitération : il requiert 18 mois d’emprisonnement avec mandat de dépôt avec interdiction de contact et de paraître au domicile de la victime.

« Ma tâche n’est pas aisée, reconnaît l’avocate de Monsieur M., mais on lui demande d’avoir des explications sur tout après 48 heures de garde-à-vue. Il est angoissé pour son fils. On a appelé la mère qui n’a pas de droit sur cet enfant, qui l’a vu une ou deux fois en six ans. Il faut comprendre son état de tension. » La défense veut nuancer la position de victime de Madame B. et dépeint un couple qui n’entretient pas une relation saine où l’alcool et la drogue sont présents. Elle estime les photos et conversations WhatsApp peu convaincantes : « Un inventaire à la Prévert, du déclaratif et des photos pas datées ! Des traces ont réellement été constatées, mais on est sur des violences réciproques. » Elle demande la relaxe.

Monsieur M. est reconnu coupable et condamné à une peine de dix mois d’emprisonnement assortis du sursis probatoire, avec interdiction de paraître au domicile de la victime, sur son lieu de travail, ainsi que chez sa mère. Il devra indemniser Madame B. à hauteur de 1 200 euros au titre du préjudice moral.

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