TJ d’Évry : « La scène telle qu’elle est décrite doit a minima laisser des traces »

Publié le 16/01/2025
TJ d’Évry : « La scène telle qu’elle est décrite doit a minima laisser des traces »
La salle des pas perdus du tribunal d’Évry est aux trois-quarts dédiée à la tranquillité des victimes. (Photo : ©I. Horlans)

Un prévenu qui traite la victime de menteuse, une victime qui tient des déclarations constantes. Toutefois, le manque d’éléments probants a conduit la juge à prononcer la relaxe dans ce dossier de violences conjugales.

François*, dans le box de la 10e chambre correctionnelle du tribunal judicaire d’Évry, fait face à Anita* assise côté parties civiles. Il est présenté devant la justice pour des violences sur elle ayant occasionné deux jours d’ITT, des coups de poing et des coups de pied sur le corps. En garde-à-vue, il a contesté les faits et les conteste toujours aujourd’hui.

« C’est archi-faux »

C’est elle qui s’est déplacée au commissariat avec le souhait de déposer plainte, elle a indiqué une discussion vive, un conflit, après que François a demandé une relation sexuelle qu’elle a refusée. Elle a déclaré aux policiers qu’il l’a jetée contre le mur et lui a porté des coups, qu’il lui a pris son téléphone et ses clés pour l’empêcher de partir, avant de la pousser contre le meuble à chaussures. La scène a eu lieu devant son fils.

– « C’est complètement faux, On fait chambre séparée, je vais pas l’agresser sexuellement.

– Ce sont ses déclarations sur l’origine de la dispute.

– Elle m’a demandé l’argent du prélèvement du loyer. Je lui ai dit que je vais pas donner l’argent, j’ai demandé que chacun paie sa part. »

Outre cette version radicalement différente, il assure qu’elle l’a déjà menacé de lui « mettre la vie difficile ». La juge détaille à nouveau les violences et dégâts.

– « Pour vous ça n’a pas existé ?

– C’est archi-faux. Tout était calme à la maison.

– On a quand même des photos du cou de madame, on a des photos du meuble.

– C’est peut-être elle-même qui a cassé ça. »

Son avocate intervient : elle n’a aucune idée d’où viennent ces photos, ni de quel meuble il s’agit. De plus, leur fils de 5 ans n’a pas été entendu. « Elle a de l’influence sur lui », glisse François. La juge note qu’Anita s’est sentie mal au moment de sa déposition et que le médecin de l’unité médico-judiciaire a soupçonné un traumatisme crânien.

– « Elle travaille là-bas à l’hôpital », lance à nouveau François.

– C’est le médecin judiciaire, Monsieur, ce n’est pas là où elle travaille.

– Madame, la vérité, je ne l’ai pas vue de la journée ! »

Séparés depuis quelque temps, les deux ex-conjoints cohabitent dans une ambiance tendue, en témoigne cette anecdote lunaire où François raconte comment Anita est partie deux jours avec la couette de leur lit. « Vous avez appelé la police pour une histoire de couette ? », demande la juge un peu abasourdie. De son côté, Anita a raconté aux policiers que deux semaines avant la dispute, François a planté un couteau dans le canapé et l’a menacé avec un marteau.

« Je veux plus qu’il s’approche de moi »

Elle est appelée à la barre et maintient ses déclarations, revenant sur différents détails de la dispute. Elle assure avoir enregistré la scène sur son portable.

– « Je croyais que vous n’aviez pas votre téléphone ?

– Si au tout début. Puis il a pris le téléphone et l’enregistrement s’est coupé. »

Elle ne conteste pas les différents quant au loyer : de fait, elle dispose de messages où elle lui demande de participer car ils ont un arriéré. Impossible pour Anita de partir, elle n’en a pas les ressources, n’a aucune famille en région parisienne. Pourquoi alors ne pas avoir appelé la police dès l’incident du couteau il y a quelques semaines ?

– « J’avais peur.

– Comment vous envisagez l’avenir ?

– Je suis chez une amie qui m’héberge. Cette relation est terminée, je veux plus qu’il s’approche de moi, je veux m’occuper de mes enfants et de moi. »

Il est mentionné que les photos de son cou sont anciennes et datent de janvier 2024. Anita évoque une main courante en 2020, une remise en couple puis une séparation. Reste que son refus d’être prise en photo à l’unité médico-judiciaire fait planer un doute. Anita affirme que le médecin n’a pas proposé et que sa bosse à la tête avait disparu.

– Souhaitez-vous vous porter partie civile ?

– Ça veut dire ?

– Ça veut dire être officiellement reconnue comme victime. Vous êtes en lien avec une association d’aide aux victimes ?

– Pas encore, mais j’ai le numéro. »

Anita se constitue finalement partie civile mais ne formule aucune demande. « Je veux juste une mesure d’éloignement. » L’avocate de François souligne un aspect étonnant de la procédure :

– « Vous avez été entendue à trois reprises par la police mais je n’ai pas vu l’exploitation de l’enregistrement dont vous faites état. Vous n’en avez pas parlé, pourquoi ?

– J’en ai parlé ce matin, mais on n’a pas été plus loin. »

François trépigne dans le box. « Y’a beaucoup de mensonges dans ce qu’elle a dit ! » La juge lui intime de se taire.

« Un schéma assez classique d’un climat de violence conjugale »

Le prévenu n’a qu’une mention à son casier pour conduite après avoir consommé de l’alcool. Son titre de séjour est en cours de renouvellement. Sa situation professionnelle est stable, il est chef d’équipe dans une société de transport. « Je suis pas quelqu’un d’agité ou violent, je n’ai pas de problèmes… à part avec son frère en 2020, ils sont venus nous séquestrer dans la forêt de Bondy. »

« C’est une affaire où vous avez un schéma assez classique d’un climat de violence conjugale, note la procureur, qui affirme qu’en dépit des dénégations du prévenu, Anita est restée constante dans ses déclarations. C’est un dossier caractéristique des violences intrafamiliales, avec la description d’un climat délétère depuis longtemps, un fonctionnement de plus en plus violent. » Le parquet veut une peine qui tiendra compte de la situation pénale de François et requiert huit mois entièrement assortis du sursis probatoire pour éviter la réitération des faits et protéger la victime.

« On vous demande de prononcer un jugement de culpabilité au moyen que les fonctionnaires de police ont fait des constatations, qu’elle s’est présentée immédiatement après les faits, qu’on a un rapport de l’UMJ. Je n’ai pas autant de certitudes. » Sans asséner que l’un ou l’autre a menti, elle remet en doute certains éléments des déclarations d’Anita : « Je ne suis pas médecin, mais il me semble que la scène telle qu’elle est décrite par Madame, une vraie violence, doit a minima laisser des traces. » Elle lit le rapport et insiste sur « l’absence de lésions traumatiques récentes sur les membres inférieurs et supérieurs. ». Pour la défense, il n’y a pas d’éléments probants pour entrer en voie de culpabilité dans ce dossier « parole contre parole » : l’attitude joyeuse des enfants à l’arrivée des policiers, l’absence d’exploitation du téléphone, pas de trace d’une main courante, pas d’enquête de voisinage, un prévenu stable. Elle demande logiquement la relaxe.

Au délibéré, François est effectivement relaxé. « Nous n’avons pas assez d’éléments pour vous condamner », indique la juge.

*Les prénoms ont été modifiés.

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