TJ d’Évry : « L’intérêt aujourd’hui, c’est de garder Monsieur dans la société »
Un prévenu sous bracelet qui n’aurait pas dû prendre le volant s’est retrouvé – une fois de plus – devant la justice. Sa compagne est venue à la barre pour éclairer les circonstances des faits.
L’avocate de Monsieur F. arrive en courant dans la 10e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire d’Évry-Courcouronnes alors que son client a déjà été introduit dans le box. Il est présenté en comparution immédiate pour conduite après avoir consommé des stupéfiants, des faits commis en récidive.
Le prévenu a été contrôlé sur la N20 une semaine plus tôt en fin de journée. Il est porteur d’un bracelet électronique et son véhicule n’est pas assuré. Mais le problème, c’est surtout le dépistage salivaire qui se révèle positif au cannabis. En audition, Monsieur F. a expliqué sa situation : ce véhicule est un achat récent et il n’a pas eu le temps de faire les démarches pour l’assurer. S’il était au volant, c’est parce qu’il rentrait de chez sa petite amie et devait être chez lui avant 18 h 30, bracelet électronique oblige. Il a reconnu avoir bu un verre de rosé et fumé un joint 30 minutes avant de conduire.
« Là, ce qu’on vous reproche, c’est la consommation de cannabis »
Devant la juge, il maintient ses déclarations. Elle s’intéresse à sa consommation de cannabis, ce à quoi Monsieur F. répond sans détour qu’il a l’intention d’arrêter : « J’ai 30 ans, ça commence à faire gros, reconnaît-il. Mais c’est pas juste une question de volonté, c’est vraiment une addiction. J’ai commencé assez jeune. » Il affirme être très conscient des difficultés que sa consommation pose au quotidien, notamment pour la conduite d’un véhicule. Monsieur F. a eu le permis en 2023. La défense souligne que la carte grise n’est pas à son nom.
Le casier judiciaire de Monsieur F. comporte 17 mentions dont 15 condamnations, principalement des délits routiers, des vols et des affaires de stupéfiants. Il a été condamné à six mois assortis du sursis probatoire en 2022, puis à une peine avec bracelet électronique l’année suivante pour vol aggravé. Un enchaînement qui risque de ne pas jouer en sa faveur.
Monsieur F. a quitté le système scolaire au lycée, il vit chez sa mère, chez qui il paie un loyer, et est inscrit à Pôle emploi. Il se montre coopératif et respectueux dans son suivi avec le SPIP.
– « Comment vous expliquez autant de mentions ?, veut comprendre la juge.
– J’ai fait beaucoup d’erreurs dans ma jeunesse. J’suis pas du tout fier.
– Toutes les mentions sur du routier, c’est pour la conduite sans permis. Là, ce qu’on vous reproche, c’est la consommation de cannabis. »
En outre, pourquoi n’a-t-il pas fait les démarches administratives pour assurer le véhicule, s’étonne encore la juge. Au fond de la salle d’audience, une femme intervient – la mère du prévenu –, mais est sèchement reprise par la magistrate. « Je l’avais acheté quelques semaines plus tôt », justifie Monsieur F., aussitôt questionné par la procureure : « Et avec quel argent ? » Car c’est avec l’argent de sa petite amie qu’il s’est procuré le véhicule, elle qui n’a pas encore le permis. « C’est de la bêtise, j’ai fait les mauvais choix, je peux que regretter amèrement… » Penaud, il conclut par cet engagement :
– « Je vais arrêter de fumer, j’aurai plus affaire au cannabis, même si je vais en prison.
– « C’est bien de vous l’entendre dire, mais la dernière fois, vous n’avez pas dit la même chose ? Les avertissements ont été donnés, Monsieur.
– Oui, c’est vrai. J’étais mineur quand j’ai commencé. Si je vais en prison, j’arrête.
– Et si votre petite amie avait un accident de la route à cause de quelqu’un qui a fumé avant de conduire, vous en penseriez quoi ? »
« En un claquement de doigts, on ne rentre pas dans le droit chemin ! »
Justement l’avocate de Monsieur F. souhaiterait la faire intervenir, puisqu’elle est dans la salle. Elle peut éclairer les faits, assure-t-elle. La juge consulte rapidement les assesseurs, et fait signe à Tina* d’approcher à la barre. Maman de deux enfants, elle est à l’heure actuelle en train de passer son permis en formation accélérée. « S’il a acheté la voiture, c’est à ma demande, explique-t-elle. J’ai deux enfants à charge, et ce jour-là, je lui ai demandé un service. Il fallait que j’aille les chercher, j’étais en retard, je lui ai pris la tête par rapport à ça. »
Monsieur F. a donc fait le chemin depuis Étampes jusqu’à Combs-la-Ville pour la conduire et lui permettre d’être à l’heure pour aller chercher les deux petits, âgés de 6 et 3 ans. « Sont-ils montés dans la voiture ? », s’inquiète un des juges assesseurs. Non, puisqu’il s’agissait juste de permettre à Tina de les récupérer et de rentrer ensuite à pied avec eux. Tina est remerciée et retourne s’asseoir. L’avocate de Monsieur F. insiste aussi sur la volonté de son client d’avancer dans sa vie professionnelle, lui qui souhaite travailler dans le domaine du sport.
Avec son casier chargé et sa double peine de bracelet, Monsieur F. a une « personnalité compliquée », estime la procureure. « On a déjà révoqué son sursis probatoire, et je peux entendre qu’il a compris mais au bout de quatre révocations, quand est-ce que le message va passer ? La problématique, c’est la prise de conscience. » Elle entend les justifications du prévenu : prendre le volant pour être à temps chez lui et ne pas faire sonner son bracelet chez le juge d’applications des peines… ou bien assumer qu’il ne peut pas prendre le volant et faire le trajet en transport (soit plusieurs heures !) ? Il a choisi le risque et la facilité. Le parquet requiert une peine de quinze mois avec mandat de dépôt, avec la révocation du sursis probatoire, et un an d’interdiction de permis, ainsi que la confiscation du véhicule.
La défense de Monsieur F. reprend chaque élément : la dispute avec sa compagne, le fait qu’il n’a pas fait monter les enfants dans le véhicule, le choix de prendre la route pour éviter un retard qui l’aurait mis en difficulté. « Je ne dis pas que c’est bien ou normal, mais il faut apprécier la situation dans son ensemble. » Elle déplore la réquisition d’un mandat de dépôt qui « mettrait à néant les efforts de réinsertion » opérés depuis plusieurs années : « En un claquement de doigts, on ne rentre pas dans le droit chemin ! » Et elle compte aussi sur un sursaut de maturité : « Quand ils trouvent la femme de leur vie, les mauvais garçons se calment. » Elle demande à la juge de prononcer une peine de jours-amendes, ou bien un quantum de moins de douze mois, et que cette peine soit aménageable. Enfin, elle demande de ne pas prononcer d’annulation de permis, mais une simple suspension. « L’intérêt aujourd’hui, c’est de garder Monsieur dans la société. »
La juge déclare Monsieur F. coupable et le condamne à 100 jours-amendes à 10 euros, ainsi que l’interdiction de lui délivrer le permis pendant quinze jours. Le véhicule ne lui sera pas confisqué puisqu’il ne lui appartient pas.
*Le prénom a été modifié.
Référence : AJU016j7