TJ d’Évry : « Malgré de nombreuses mains tendues, des soins, on le retrouve au volant après sept verres ! »

Publié le 11/09/2024
TJ d’Évry : « Malgré de nombreuses mains tendues, des soins, on le retrouve au volant après sept verres ! »
Orapun/AdobeStock

Quelle sanction mais surtout quelle prise en charge pour un homme alcoolique qui persiste à prendre le volant, malgré le danger qu’il représente pour lui et les autres ?

Monsieur V. arrive dans le box de la 10e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire d’Évry. Il a pris le volant malgré le retrait de tous les points de son permis, mais aussi sous l’emprise d’alcool en récidive malgré une condamnation en août 2022 à Blois, énumère la juge devant laquelle il est présenté en comparution immédiate. Le prévenu accepte d’être jugé aujourd’hui en haussant les épaules, comme s’il n’avait pas vraiment le choix.

La veille dans l’après-midi, des policiers en patrouille ont aperçu le passager d’une voiture jeter une canette par la fenêtre. Le véhicule est contrôlé, c’est Monsieur V. qui est au volant. L’homme a aussitôt déclaré qu’il n’avait plus son permis de conduire, annulé en 2023. Il est positif à la consommation d’alcool mais n’a pas consommé de stupéfiants. Emmené au commissariat, il est placé en garde-à-vue mais celle-ci est levée un temps car incompatible avec l’état de Monsieur V. Il a déclaré avoir pris le volant car l’autre passager n’était pas en état de conduire. Lui l’était-il pour autant ? Il a bu « cinq, six, sept verres de whisky coca ».

« Que vous ayez un problème de consommation d’alcool, c’est une chose »

Devant la juge, Monsieur V. explique qu’il cherchait un hôtel où s’arrêter lui et les trois autres passagers de la voiture.

– « Vous étiez le seul à pouvoir conduire ?

– Peut-être pas dans cet état…

– C’est même sûr ! »

La juge s’agace, insiste sur les deux raisons qui auraient dû l’empêcher de prendre le volant, son état d’ébriété, et l’absence de permis de conduire. Visiblement, le prévenu a un grave problème d’addiction, ce qu’il reconnaît aussitôt : « J’ai essayé d’arrêter, mais souvent on rechute… ».

– « Que vous ayez un problème de consommation d’alcool, c’est une chose, mais ce qui est problématique, c’est qu’à chaque fois, vous prenez le volant. À 1,43 gramme, on n’a pas les mêmes réflexes ! Vous vous mettez en danger, vous mettez les autres passagers en danger, et vous mettez les autres usagers de la route en danger ! Vous avez déjà fait une cure ?

– Oui, mais ça n’a pas marché, enfin juste un certain temps. J’ai fait huit jours de cure, mais c’était pas assez. Le médecin a dit que c’était bon. Au bout d’une semaine, j’ai revu des collègues, j’ai bu une bière…

– Comment vous envisagez la suite ?

– Je voudrais repartir en cure.

– Monsieur, vous ne pouvez pas attendre que ce soit la justice qui vous le dise !

– Non, je veux le faire moi-même, mais c’est dur. »

« Boire, je vois ça comme un besoin »

Monsieur V. a 13 mentions à son casier judiciaire, dont plusieurs qui concernent de la conduite après avoir consommé de l’alcool. Plusieurs accompagnements ont déjà été tentés, mais ont visiblement échoué. Le prévenu vit aujourd’hui hébergé chez une personne âgée, en échange de l’entretien de sa maison. Une situation qui dure depuis huit ans. En somme, il est comme un auxiliaire de vie mais n’est pas déclaré. La juge l’interroge sur la compatibilité entre sa consommation d’alcool et le fait de s’occuper d’une personne de 89 ans.

– « Boire, je vois ça comme un besoin. Pour pas trembler.

– C’est un passage obligé ?

– Sinon je suis pas bien. Je bois depuis mes 14 ans. J’ai déjà vu un addictologue, je sais qu’il ne faut pas arrêter d’un coup. Mais j’arrive pas, j’arrive pas… »

Son état de santé en pâtit, il commence à avoir des douleurs dans les poumons et au foie. Son avocat lui demande d’en dire davantage sur les cures qu’il a déjà faites. L’une a réussi à le tenir éloigné de l’alcool pendant six mois.

– « Vous seriez prêt à aller en cure ? Vous êtes demandeur ?

– Demandeur et motivé ! », acquiesce Monsieur V.

Pour la procureure, ce dossier reste inquiétant : « Malgré de nombreuses mains tendues, des soins, on le retrouve au volant après sept verres ! La prochaine fois, ce sera peut-être pour des faits de blessures ou d’homicide involontaires. Au parquet, on a l’habitude d’être appelés au milieu de la nuit parce qu’une personne a été tuée sur la route dans ces circonstances. » Le parquet souligne que les mises à l’épreuve n’ont pas toujours été respectées. « Je ne vois pas quoi demander à part du ferme, il faut qu’il prenne ses responsabilités. » Elle requiert douze mois avec mandat de dépôt.

« C’est quelqu’un qui se détruit à petit feu, reconnaît la défense, qui ne peut pas faire une garde-à-vue sans une perfusion parce qu’il est en manque. Il va falloir faire quelque chose. » L’incarcération sèche est-elle pour autant une bonne solution ? L’avocat demande un peu d’imagination plutôt que de jeter Monsieur V. en prison : un régime de semi-liberté où l’on s’assurera de son retour en détention sobre. « La seule solution qui permettrait d’obtenir un résultat. »

Avant de sortir du box, Monsieur V. s’approche du micro : « Ma peine je vais l’accepter, j’aimerais me rapprocher de mes proches à Blois pour me préparer. » Au délibéré, il est déclaré coupable et condamné à 18 mois d’emprisonnement dont six assortis du sursis probatoire avec obligation de soins. La juge ordonne un mandat de dépôt pour Fresnes. « Vous négligez vos problèmes de santé, vous laisser sortir sans suivi n’est pas une bonne idée, il n’y a pas d’autres alternatives pour le tribunal. » Monsieur V. semble sous le choc en comprenant qu’il va être emmené dès maintenant en détention.

– « Là, c’est pour tout de suite, tout de suite ?

– C’est pour tout de suite, tout de suite.

– Mais… j’ai pas d’affaires…»

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