TJ d’Évry :« Même en prison, je ne me suis pas fait taper comme ça ! »
Un couple est présenté dans le box des accusés en comparution immédiate au tribunal judiciaire d’Évry-Courcouronnes, tous deux pour des faits de violences l’un contre l’autre. Un cas complexe examiné dans une ambiance électrique, où se mêlent violences conjugales et une dynamique de relation toxique.
D’un côté, Julien*, grand type baraqué et visiblement tendu, accusé d’avoir porté un coup au tibia et à la cuisse de Jessica* devant ses enfants. De l’autre, Jessica, bien plus petite, le visage encadré par des dreadlocks rouges, accusée d’avoir porté des coups au visage et sur le corps de Julien. Tous les deux ont les traits tirés en cet après-midi du 5 septembre à la 10e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire d’Évry.
« Je vous demanderais de ne pas vous parler, de ne pas vous interrompre, de ne pas vous invectiver », prévient d’abord le juge. Les deux prévenus sont présentés en comparution immédiate pour des faits de violences. Ce jour-là, Jessica téléphone à la police pour une dispute avec son compagnon, dans un contexte de jalousie. Elle dit avoir reçu un coup de poing. Quand des agents débarquent, Julien a déjà quitté les lieux, en prenant avec lui un couteau. Il est interpellé dans un parc, où les policiers remarquent qu’il porte de nombreuses marques de coups. Julien les attribue à Jessica.
« On m’appelle BFM »
Difficile de comprendre ce qu’il se passe entre les deux membres du couple lors de leur garde-à-vue. L’un et l’autre attribuent leurs violences à une volonté de se défendre contre des coups. C’est Julien qui est questionné en premier par le juge. Son débit de mitraillette rend compliqué la compréhension totale de son récit, dans lequel il tente de remonter au-delà des seuls faits pour expliquer le contexte de cette relation. Il assure tout filmer, notamment les enfants quand ces derniers lui jettent des objets, encouragés par leur mère. Un moyen pour lui de se protéger de ce dont on pourrait l’accuser à tort. À force de dégainer son portable pour filmer, « On m’appelle BFM », clame-t-il. Il parle d’emprise, du pouvoir que Jessica aurait sur lui. « Même en prison, je ne me suis pas fait taper comme ça ! »
Jessica a l’air aussi distante et presque blasée, que Julien semble sur les nerfs et prêt à craquer. Elle raconte de son côté que son compagnon a voulu prendre son téléphone, qu’il a changé son mot de passe, a appelé ses copines.
– « Il dit que vous montez tout un environnement violent contre lui.
– J’essaie juste de me défendre. Il parle d’emprise, mais je lui ai dit de partir. »
Les deux versions s’affrontent, chacun secoue la tête pendant que l’autre avance dans son récit. « Les seules choses que je peux croire dans ce dossier, ce sont les certificats médicaux, car vous avez des bleus tous les deux », déplore le juge.
« J’ai été chercher quelqu’un qui était en prison. J’ai pas pris les bonnes décisions »
Dans le box, Julien semble au plus mal, se lève, tourne sur lui-même comme en proie à une montée d’anxiété, finit par se calmer à l’appel du juge. La trentaine, il n’a pas de ressources, pas de travail. L’arrivée de Jessica dans sa vie est racontée comme un sauvetage : elle est venue le voir au parloir pendant un an, trois fois par semaine, sans jamais manquer un rendez-vous. « Elle est venue comme un ange ». Mais une fois dehors, leur relation n’a vraisemblablement pas été aussi idyllique qu’espéré, et au contraire mouvementée, empreinte de violences. « Elle me dit « t’es beau quand tu t’énerves », je fais quoi avec ça ? J’ai pas besoin de piment dans ma vie ! ». Julien n’est pas du genre à boire, mais fume beaucoup de cannabis, seul moyen de tenir.
– « Si j’avais pas fumé, je sais pas comment j’aurais fait », explique-t-il au juge sur sa consommation, notamment en détention. « Quand je suis trop conscient des trucs, je fais des crises d’angoisse. »
– « Ça vous calme ?
– Oui, je consomme tous les jours, je fais pas des choses déraisonnables. »
Son casier judiciaire est bien chargé, y compris pour des faits de violences, notamment pour violences et menaces de mort sur conjoint. Julien a déjà sept ans de prison au compteur. « Oui, je me considère comme quelqu’un de violent », reconnaît-il. Des comportements qui l’ont conduit à l’isolement à plusieurs reprises pendant ses séjours en détention. « Vous dites que vous avez fait une introspection ? », interroge son avocate. « Oui, en prison, j’ai largement eu le temps. »
Au tour de Jessica. Cette mère de deux enfants nés d’une précédente relation s’est toujours occupée seule d’eux. « Mes enfants passent avant moi. » Elle admet que sa relation avec Julien n’est pas saine, qu’il est temps pour eux « de ne plus être en contact jusqu’à… à vie, en fait », admet-elle. L’émotion monte d’un cran à l’évocation de ses enfants qui viennent d’être placés par l’aide sociale à l’enfance. Sa voix se brise et elle souffle en essuyant quelques larmes : « Je les ai mis en danger, c’est ma faute. J’ai été chercher quelqu’un qui était en prison. J’ai pas pris les bonnes décisions » !
Sur son passé judiciaire, elle n’a que deux mentions, une pour vol, et une procédure en cours qui concerne des faits de violences contre Julien perpétrés au mois d’août, pour lesquels elle a été placée en garde-à-vue et est ressortie avec une composition pénale avec interdiction de contact avec son compagnon, interdiction qu’elle n’a donc pas respectée. Jessica se constitue partie civile, pas Julien.
Une relation teintée de violences et de pressions mutuelles
Pour la procureure, ce couple fonctionne « de façon pathologique avec beaucoup de souffrance et de colère ». Elle pointe une dynamique toxique bien installée, où chacun vit dans la peur des agissements de l’autre et d’une menace de l’institution judiciaire, la crainte que son bracelet soit compromis pour Julien, la crainte d’une dénonciation des conditions de vie des enfants pour Jessica. « On parle d’une bagarre avec violence réciproque, c’est très difficile de savoir ce qu’il s’est passé. On retient des versions claires qui correspondent aux observations médicales. »
La dernière condamnation de Julien a été prononcée en avril 2021, 18 mois avec six mois de sursis probatoire déjà révoqué à hauteur de deux mois. Il n’a pas respecté l’obligation de soins, avec aussi un manquement réitéré du chargement de son bracelet. « Il ne fait pas ce qu’il faut pour se tenir loin de la violence. » La procureure requiert six mois d’emprisonnement. Jessica, elle, n’a pas respecté l’interdiction de contact prononcée le mois passé. La procureure demande six mois d’emprisonnement avec un sursis probatoire total. À l’annonce des peines requises, les deux prévenus se parlent en chuchotant dans le box et sont rappelés à l’ordre.
L’avocate de Julien insiste sur l’angoisse qui pointe dans le débit de parole impressionnant de son client. Elle revient sur cette relation : « Quand il la rencontre dans le cadre de sa détention, elle arrive « comme un ange », pas un parloir fantôme en un an. Il investit cette relation, il se met à nu, elle connaît tout son passé, elle sait ce qu’il risque au moindre écart. » Mais l’avocate maintient qu’il n’a pas répondu aux violences de Jessica, et qu’à chaque hausse du ton, il s’est contenu, il n’a eu que des gestes de défense. Face à sa carrure à lui et à son petit gabarit à elle, une réponse violente aurait été forcément terrible, déduit-elle. « Peu importe son passé, je vous demande la relaxe, il s’expliquera sur l’absence de recharge de bracelet auprès du juge d’application des peines. »
Pour l’avocat de Jessica, il est capital de prendre en compte l’affaire dans son ensemble, des déclarations faites aux services de police à celles qui viennent d’être prononcées pendant l’instruction. « Tout est confus dans ce dossier, des vidéos, des griffures sur lui, des hématomes sur elle. » Il estime que la jeune femme ne doit pas être condamnée.
Au délibéré, Julien est reconnu coupable et condamné à un an d’emprisonnement dont six mois assortis d’un sursis probatoire de deux ans, avec une obligation de soins, interdiction de domicile et de contact avec Jessica, et obligation d’une activité professionnelle. Le prévenu comprend qu’il va être conduit à la maison d’arrêt, il s’agite dans le box, s’effondre sous le choc, se relève, s’énerve. Il tente de parler avec Jessica, qui s’est collée à l’autre paroi du box pour se tenir éloignée. « Je t’ai tout donné », lance-t-il avant de fondre en larmes. « J’ai plus rien, je suis pas un animal. » Il est emmené hors du box.
Jessica est également reconnue coupable et condamnée à six mois d’emprisonnement avec sursis probatoire pendant deux ans avec interdiction de contact, obligation de travail ou de formation, obligation de soins psychologiques. Le juge insiste pour qu’elle s’astreigne à ses obligations. « Et mes enfants ? » Le juge lui explique qu’ils ont été placés par l’aide sociale à l’enfance et qu’elle sera bientôt convoquée devant le juge des enfants. Elle est à son tour sortie du box.
* Les prénoms ont été changés.
Référence : AJU010h0