TJ d’Évry : « Peut-il aller plus loin et commettre un acte terroriste ? »
Radicalisé ou pris dans une spirale d’addiction à des vidéos ultra violentes ? Un jeune majeur comparaissait après avoir partagé plusieurs vidéos d’exécutions ou appelant au djihad sur les réseaux sociaux.
Des vidéos de l’État islamique, d’Oussama Ben Laden, mais aussi faisant l’apologie du terrorisme, ou montrant des exécutions… C’est pour avoir publié ce genre de contenus sur plusieurs comptes TikTok entre juillet et septembre 2024 qu’un jeune majeur, Sami*, comparaît devant la 10e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire d’Évry-Courcouronnes. Conduit dans le box, il paraît à peine sorti de l’adolescence avec son maillot du PSG. Il a été interpellé deux jours plus tôt, après un signalement de la DGSI. Il doit répondre de faits de provocation à un acte de terrorisme et apologie publique d’un acte de terrorisme. Sa famille est dans la salle.
« Cette personne, elle est là avec vous dans le box ? »
Sa mère et son père ont été entendus : l’un et l’autre ont été extrêmement surpris devant la teneur des contenus postés par leur fils, décrit comme un jeune sans problèmes. Des milliers de vidéos et d’images ont été trouvées sur son portable. En audition, Sami a déclaré avoir posté ses vidéos pour « avoir des vues » et « faire parler de lui ». Reconnaît-il les faits aujourd’hui ?
– « Pas totalement.
– Vous avez publié des photos ?
– Certaines oui. »
D’autres contenus, notamment un enfant que l’on voit en train d’égorger des peluches, ont été publiées, dit-il, par C., une personne avec qui il est en lien sur l’application Telegram.
– « Vous lui avez donné vos codes pour publier sur votre compte ?
– Oui.
– Vous ne savez absolument pas qui c’était ?
– Oui.
– Vous en pensez quoi ?
– … j’sais pas.
– Et cette personne, elle est là avec vous dans le box ? Il n’y a que vous. »
Sami s’avère peu loquace, non par défiance ou mépris. Il semble juste peu au clair avec ses actes et ses pensées.
– « Pourquoi vous êtes attiré par ce type de vidéos ? Par des vidéos de décapitation ?
– C’est de la curiosité. »
« Vous avez conscience que vous encourez sept ans d’emprisonnement ? »
Ses réponses restent peu développées, laissant peu de compréhension sur son degré d’adhésion aux messages qu’il poste. Au tour d’une des assesseures de tenter de trouver la faille dans la coquille du jeune prévenu pour comprendre ses motivations.
– « Vous pensez quoi de la décapitation ?
– C’est violent.
– Vous avez commencé à en regarder à quel âge ?
– Vers 14 ans. »
Sami détaille à demi-mot sa consommation de vidéos ultra violentes. Il n’en parle jamais à ses amis. Personne n’est au courant.
– « Vous pensez que c’est une addiction ou du plaisir ?
– Une addiction », murmure-t-il après une hésitation.
La procureure a elle aussi des questions et soulève des éléments inquiétants trouvés dans le portable du prévenu. Comme cette capture d’un message où S., un interlocuteur, affirme « préparer une attaque ».
– « Vous ne prévenez personne ?
– Il ne me l’a pas dit à moi. C’était un screen, c’est pas un message pour moi.
– Monsieur, c’est pas crédible, quelqu’un vous envoie ce screen, on ne reçoit pas des screens par hasard !
– C’est pas moi, c’est S. ! »
Autre screen qui alerte le ministère public, celui d’un message expliquant comment agir lorsque l’on se retrouve convoqué par la police. Pour la procureure, la curiosité dont parle Sami est largement dépassée, dès lors que l’on détient 2 000 vidéos d’actes barbares sur son portable, avec pour tout alibi un simple : « Elles se sont téléchargées automatiquement ».
L’avocate de Sami veut rebondir sur un des posts publiés par le jeune homme affirmant qu’il préfère la loi de la charia à celle de la démocratie :
– « La charia, c’est en rapport avec ma religion, explique Sami.
– Vous savez faire la différence entre la charia et la démocratie ?
– …
– Ça donne l’impression que vous ne faites pas la différence entre les deux. »
Lycéen sans histoires, Sami a un casier vierge. L’examen psychiatrique a noté son attitude peu loquace et a indiqué une immaturité des affects. Le juge reprend :
– « Vous évoluez dans une famille soutenante, aimante, comment expliquez-vous les faits ?
– Je peux pas les expliquer.
– Vous vous êtes déjà confié sur votre addiction ?
– Non.
– Pourquoi ?
– Ça faisait bizarre de poser ce genre de questions.
– Vous avez 18 ans, vous avez conscience que vous encourez sept ans d’emprisonnement ? Vos parents sont dans la salle, ça vous fait quoi ? »
« Je ne vois pas un terroriste, juste un jeune pris dans un engrenage »
L’ombre des attentats perpétrés en France ces dernières années plane sur l’audience, relève la procureure, qui met en garde contre la menace que représente cette propagande faite sur les réseaux sociaux et qui va toucher des personnes jeunes, vulnérables, pratiquantes mais sans plus. « Le rôle de l’État, c’est de prévenir ce type d’infraction, d’empêcher la propagation. » Elle s’inquiète des versions contradictoires du prévenu. « Je pense que c’est un jeune intelligent, qui a une sympathie pour l’islam radical. Il n’a pas le couteau sous la gorge, ce n’est pas un mouton à qui on a dit de partager des vidéos sans se poser de questions. Je pense qu’il partage cette idéologie. La théorie de la curiosité morbide ne tient pas, ce n’est pas juste du gore. Il a été sous influence, il a pu aussi en influencer d’autres. » Elle demande une peine mixte de deux ans, dont un avec suivi socio-judiciaire obligatoire.
« Au-delà du contenu, peut-il aller plus loin et commettre un acte terroriste ? Rien ne dit qu’il peut y avoir un passage à l’acte ou une préparation d’attentat », estime la défense. Après cinq ans à avoir accès à des scènes de décapitation, Sami ne savait pas comment s’en sortir, comment en parler, exactement comme dans une situation d’addiction à la pornographie. « Je ne vois pas un terroriste, juste un jeune pris dans un engrenage. Il n’est même pas capable de répondre, il est gangréné dans ses idées sans pour autant être capable de les appliquer. Il n’est pas radicalisé, il est pris dans quelque chose qui le dépasse. » Une obligation de soins, de formation, voilà la clé pour le sortir de la spirale, estime l’avocate, et lui éviter une incarcération qui serait la porte ouverte à la radicalisation. Dans le box, Sami vacille.
En le reconnaissant coupable, le juge prononce finalement une peine de douze mois de détention avec bracelet électronique. Sami pourra purger sa peine auprès des siens.
*Le prénom a été modifié.
Référence : AJU015p5