TJ d’Évry : « Pour ces deux personnes, les violences, c’est autre chose »

Publié le 15/01/2025
TJ d’Évry : « Pour ces deux personnes, les violences, c’est autre chose »
La salle des pas perdus du tribunal judiciaire d’Évry, le 18 juillet 2022. (Photo : ©I. Horlans)

Un prévenu débordant de stress a fait face à une victime à l’attitude très détachée. Dans ce dossier de violences conjugales par ex-conjoint, l’un comme l’autre ont minoré leurs actions.

Malgré sa petite trentaine, Stéphane* a la démarche d’un gamin peu assuré pris en faute, il se dandine, se tort les mains, baisse la tête dans le box de la 10e chambre correctionnelle. Il est présenté en comparution immédiate pour violences, il a tiré les cheveux de son ex-compagne quelques jours plus tôt à Longjumeau, des faits en récidive puisqu’il a déjà eu une condamnation en 2022.

Veut-il être jugé aujourd’hui ? « Si je demande un délai, est-ce que je retourne en prison ou pas ? » La juge lui informe que ce sera au tribunal d’en décider ensuite. Il pèse rapidement le pour et le contre et opte pour aujourd’hui.

C’est une passante qui a prévenu les policiers en fin de journée qu’une dispute se déroulait devant le Franprix de Longjumeau. Elle a décrit un individu en doudoune noire donnant des coups à une dame blonde. Dépêchés sur place, ils ont repéré deux individus correspondant et les ont séparés. Stéphane s’empresse de contester : « J’ai pas tiré les cheveux ! J’étais violent, agressif, j’ai insulté mais j’ai pas porté de coups, y’a des caméras ! »

« Je comptais pas la frapper, j’étais énervé »

Du fait de l’obscurité, de la présence d’une seule caméra rotative peu exploitable, rien ne permet de corroborer les déclarations du prévenu. En audition, Iris* a indiqué qu’il a été insistant avec elle. Stéphane tente souvent d’intervenir et met la patience de la juge à rude épreuve dans la lecture du résumé des faits. Lui et Iris partagent un appartement, ou plutôt il vit dans son appartement à elle avec leur fils et elle dort souvent chez des amis. Les insultes sont récurrentes, leurs relations mauvaises. Aux policiers, elle n’a pas fait état de « violences extrêmes », mais qu’il lui « met des petits coups de boule » pour « la faire chier », qu’il l’appelle au téléphone pour l’insulter. Leurs disputes sont connues du voisinage, d’après l’enquête.

Stéphane reconnaît qu’il l’a bien tirée par la capuche. « Je comptais pas la frapper, j’étais énervé. C’est vrai, j’ai insulté. C’est moi qui garde mon fils, je fais tout, elle m’aide pas ! J’ai déposé mon fils chez ma mère, c’était pas prévu de la voir, mais elle va vous dire, elle est là ! » La juge s’en étonne. « Mais enfin, Madame, faut venir ! » Son nom a pourtant été appelé par l’huissière en tout début d’audience, mais elle n’a pas daigné se manifester et est restée assise au fond de la salle. « Je voulais pas me constituer partie civile », explique-t-elle. La juge l’invite cependant à approcher et à s’asseoir avant de reprendre ses questions.

– « Vous l’avez croisée ?

– Je suis tombé sur elle. Je l’ai laissée finir ses courses et j’ai attendu devant le Franprix. J’ai pas voulu tirer les cheveux. Je voulais parler de mon fils, ça fait trois semaines que je l’ai pas vue. Je l’ai pas insultée directement et après je me suis énervé. »

L’attitude de Stéphane tient de celle d’un gamin geignard.

« Vous savez pourquoi vous réagissez comme ça ?

– J’étais trop énervé, je sais pas…

– Vous envisagez la suite comment ?

-… Normale ?

– Si vous réagissez comme ça, quand vous n’avez pas de nouvelles ! »

Stéphane voudrait établir un jugement devant le juge des affaires familiales et admet qu’il doit s’éloigner de son ex le plus possible. Déjà condamné en 2020, il avait reçu une obligation de soins. Il a aussi arrêté le cannabis.

– « Au-delà de ça, vous avez un problème d’impulsivité, Monsieur.

– Non, pas du tout. »

Léger silence gêné.

– « Peut-être un peu. »

« Je ne me sens pas victime »

Iris est appelée à la barre. Autant son ex dans le box se dandine et déborde de stress, elle est d’un calme presque nonchalant en mâchant un chewing-gum.

– « Je faisais les courses avec ma cousine, il m’a vu, il m’attendait devant le Franprix, pour m’insulter, me menacer, me harceler. C’est souvent comme ça. C’est des bousculades.

– Tirer des capuches, c’est pas grave pour vous ? Vous n’avez pas voulu être entendue par les services de police.

– Je veux juste qu’il comprenne que c’est terminé. C’est surtout lui qui s’occupe de notre fils car je travaille quasi à 100 %. J’ai fui le domicile justement pour ça, j’aimerais que tout s’arrange, récupérer mon domicile avec mon enfant, chez moi, et qu’il puisse voir son fils. »

Leurs disputes sont régulières, c’est même à chaque fois qu’ils sont amenés à se voir.

– « Pourquoi vous ne dénoncez pas ces situations ?

– Je riposte aussi beaucoup. On est tous les deux en tort, même si c’est lui qui commence. Je ne me sens pas victime, en fait.

– C’est aussi ce que disent vos familles.

– Oui, on a chacun nos torts. »

Si elle a la garde de leur fils de 6 ans, c’est aujourd’hui Stéphane qui assume tout. Le sursis probatoire prononcé quelques années plus tôt avait été respecté sans problème, Iris affirme même qu’il a amélioré les choses. Après une nouvelle tentative d’interruption et un rappel à l’ordre de la juge, Stéphane semble au plus mal et au bord des larmes. Il a sept mentions à son casier judiciaire. « Juste j’ai pas envie de retourner en prison. Hier, c’était la première fois. J’ai fait mes conneries, mais depuis la naissance de mon fils, j’ai arrêté les conneries. »

« Peut-être un peu de mal à se canaliser et à gérer sa frustration »

La procureure souligne le climat de violence accepté et banalisé des deux côtés « Monsieur nie les violences mais reconnaît être allé au contact. Madame dit ne pas avoir reçu de coup de poing. Mais des “petits coups de boule”, ça constitue déjà des violences ! Monsieur n’est peut-être pas en mesure de verbaliser que ce sont des violences, il a peut-être un peu de mal à se canaliser et à gérer sa frustration. » Elle constate en outre que l’incarcération dans l’attente de l’audience de ce jour a provoqué un choc carcéral. Elle requiert huit mois d’emprisonnement assortis de quatre mois en sursis probatoire et le reste aménagé sous surveillance électronique.

« On est en présence d’un papa particulièrement présent et attentif, relate l’avocate de Stéphane. Il construit sa vie autour de cet enfant. Cet homme vit pour cet enfant. » Dans le box, Stéphane s’est effondré. « Il a du mal à gérer ses émotions, ça explique aussi sa manière de s’exprimer aujourd’hui. Un départ en détention, c’est sa vie parentale qui s’écroule, sur lui mais surtout sur cet enfant. » Elle tient aussi à souligner la dynamique particulière de ce couple séparé : « Pour ces deux personnes, les violences, c’est autre chose. » Comme le parquet, elle préconise une interdiction de contact et de se tenir éloigné de son ex-compagne. « Juste, j’ai pas envie d’aller en prison, Madame », lance une dernière fois le prévenu.

Il est finalement reconnu coupable et écope d’une peine de six mois entièrement assortie du sursis probatoire. Il aura une obligation de soins, de travail et l’interdiction de contacter Iris ou de paraître à son domicile. La juge insiste sur ce point : « Votre enfant ne peut pas être un prétexte. Vous ne reprenez pas la vie commune. Ce n’est pas vous ou Madame qui décidez. Même si ça va mieux, vous n’avez pas le droit. » Il remercie la juge en sanglotant encore.

*Les prénoms ont été modifiés.

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