TJ d’Évry : « Quand on fournit une fausse identité, c’est qu’on a quelque chose à se reprocher »
Un trafiquant récidiviste pour la procureure, un homme en cours de réinsertion pris dans un mic-mac judiciaire entre deux pays pour la défense. Le cas d’Amin*, présenté en comparution immédiate, a donné du fil à retordre à la juge.
Tandis qu’Amin*, la vingtaine, pénètre dans le box de la 10e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire d’Évry-Courcouronnes, une interprète prête serment. Le prévenu est néerlandais mais s’exprime en arabe. Il est présenté en comparution immédiate pour prise du nom d’un tiers pouvant déterminer des poursuites pénales et pouvant déterminer l’enregistrement d’une condamnation judiciaire ou d’une décision administrative dans le système national des permis de conduire, ainsi que pour conduite d’un véhicule malgré une interdiction judiciaire, pour usage illicite de stupéfiants, et pour maintien irrégulier sur le territoire français, le tout en récidive. Les faits ont été commis à Athis-Mons.
Quelques jours plus tôt, une voiture de policiers est contrainte de se déporter pour éviter une collision avec un véhicule arrivant à leur hauteur. Le conducteur est alors contrôlé. Dans le véhicule, plane une forte odeur de cannabis. Placé en garde-à-vue, le conducteur, Amin, a déclaré vivre aux Pays-Bas mais venir régulièrement voir sa compagne en France. Il affirme que la voiture est un véhicule de location et que le cannabis trouvé sur lui est destiné à sa consommation personnelle. Le contrôle de ses empreintes digitales a cependant révélé qu’il n’est pas du tout celui qu’il a dit être aux policiers : il a donné l’identité de son frère. Et pour cause, deux interdictions pèsent sur Amin, celle de paraître sur le territoire français et celle de conduire.
La victime, le frère d’Amin donc, est absente de l’audience. Devant la juge, le prévenu reconnaît les faits : « J’ai paniqué, c’est pour ça que j’ai donné le nom de mon frère. » Reste qu’il n’aurait pas dû prendre le volant, suite à une condamnation en juillet 2024. « Pour moi, c’était pas une sanction. Je savais pas ! Dans ma tête, j’avais qu’une interdiction de territoire », assure le prévenu qui parle avec agitation et beaucoup de gestes, d’une voix forte, mais sans pour autant être en colère, plutôt agacé.
– « Monsieur, qu’est-ce que ça veut dire être interdit d’être sur le territoire français ?
– J’ai été naïf, j’ai pas réfléchi, j’avais oublié… dans ma tête, je savais pas.
– En garde-à-vue, vous avez déclaré que vous saviez…
– C’est le policier qui l’a dit ».
« Comment ça se fait que votre dépistage salivaire soit négatif ? »
Amin explique que ses venues régulières en France sont liées au fait que sa petite copine travaille ici et qu’elle est mère d’un enfant en bas âge. « C’est pas une raison pour violer les interdictions », rétorque la juge qui embraye sur la prise d’identité de son frère : « Vous connaissez les conséquences ? Il peut être condamné ! » Quant à la question des stupéfiants, la présidente soulève un point étrange du dossier : « Vous avez dit consommer une à deux fois par jour du cannabis, comment ça se fait que votre dépistage salivaire soit négatif ? C’est pas logique ! Qu’est-ce que vous venez faire en France ? »
Le prévenu proteste aussitôt : « On ne m’a pas fait de test ! La dernière fois en juillet, oui, mais pas cette fois ! »
Au tour du ministère public de revenir sur l’interdiction de conduire :
– « Vous n’avez pas compris que vous aviez interdiction de conduire ?
– Je l’ai su que le jour où le policier l’a dit.
– Alors pourquoi vous donnez un autre nom quand vous êtes interpellé ?
– Parce qu’on m’a retiré mon permis en Hollande. J’ai paniqué. »
La procureure demande la requalification du maintien irrégulier sur le territoire français en pénétration non autorisée du territoire après une interdiction. Interrogé par la défense, Amin affirme qu’il ne vit pas en France : « J’ai ma maison en Hollande. » C’est aussi là-bas qu’il est suivi par un psychiatre suite à une obligation de soins. La juge revient sur sa consommation de cannabis et s’étonne que le prévenu nie toute addiction :
– « Vous avez dit que vous fumez deux joints tous les soirs.
– Oui, avant de dormir.
– Et que vous consommez depuis vos 13 ans…
– 14, 15 ans.
– Donc, je repose ma question.
– Non, je ne suis pas addict, j’arrête quand je veux ! »
« Si je vais en prison, je vais tout perdre »
Amin touche des aides en Hollande, les équivalents d’une aide au logement et de l’AAH, étant en incapacité de travailler. « Je peux pas, je peux pas, le psychiatre a dit », insiste-t-il dans un français chancelant, repassant en arabe pour expliquer qu’il souffre d’un trouble de l’attention.
Il y a deux mentions à son casier judiciaire, dont celle en 2021 suite à un accident de voiture ayant entraîné la mort d’un des passagers. « On a tous été condamnés », explique Amin sans pour autant apaiser la juge : « Pourquoi on vous retrouve trois ans après ? Vous prenez des risques, vous connaissez les conséquences judiciaires ? En récidive, on encourt le double ! » Amin raconte comment sa sortie de prison l’a rangé : en Hollande, il respecte son contrôle judiciaire et son suivi psychiatrique, il est en train de payer ses amendes. « Tout ce problème, je le règle au fur et à mesure. » Reste qu’en juillet dernier, il a à nouveau été condamné à six mois pour des infractions similaires.
– « Je n’ai pas réfléchi.
– Vous aviez rendez-vous avec le juge d’applications des peines, vous n’y êtes pas allé, le parquet a mis en exécution cette peine et a demandé votre incarcération.
– Si je vais en prison, je vais tout perdre. Des fois je suis naïf, je sais pas ce que je fais.
– Vous n’êtes pas naïf, Monsieur, vous avez reconnu les faits. »
Au tour de la procureure de renchérir, en rappelant que le jugement de 2021 ne concerne pas une simple balade en voiture : « C’était un go fast avec 20 kg de stupéfiants. » Et d’ajouter, cinglante : « On reconnaît sans reconnaître, on assume sans assumer, ça en dit long sur votre positionnement. »
« J’ai déjà eu des jours-amendes pour des mêmes faits ! »
Son réquisitoire repose sur les raisons du passage d’Amin en France et sous-entend un rôle dans un trafic de stupéfiants. « Quand on fournit une fausse identité, c’est qu’on a quelque chose à se reprocher. Il a utilisé celle de son frère parce qu’il n’avait rien à faire au volant, et rien à faire sur le territoire français. » Le parquet dénonce une « volonté de camoufler son identité et d’échapper à ses responsabilités », des « déclarations contradictoires ». Elle balaie d’un revers de main la demande d’aménagement de peine, « antinomique et incompréhensible », et requiert sept mois d’emprisonnement pour les faits de pénétration non autorisée sur le territoire français, d’usage de stupéfiants et de conduite, ainsi que deux fois quatre mois pour les faits de prises de nom d’un tiers.
La défense insiste sur un enjeu bien particulier de ce dossier : son client n’a pas la nationalité française et pour cette raison, l’enjeu de l’aménagement des peines est un casse-tête qui risque d’allonger la durée de son incarcération bien plus que s’il était de nationalité française. Cette injustice est au cœur de sa plaidoirie, mais elle insiste aussi sur le changement opéré par Amin depuis sa mise en couple, la stabilité qu’il a gagné, le soutien qu’il apporte à sa compagne et son enfant. « On le condamne beaucoup trop lourdement, il a été sous-entendu qu’il était trafiquant, alors que la perquisition a été négative, qu’il a donné les codes de son téléphone et que l’exploitation n’a rien donné. Tout ça pour un test négatif qu’il dit ne pas avoir fait ! » Une peine de 15 mois, poussée à 21 avec la peine qui vient d’être mise à exécution n’a pas de sens pour l’avocate, qui déplore à nouveau un deux-poids deux-mesures incompréhensible : « J’ai déjà eu des jours-amendes pour des mêmes faits ! »
Après requalification, Amin est relaxé concernant la consommation de stupéfiants. Il écope d’une peine de cinq mois concernant l’interdiction de territoire et l’interdiction de conduite. Concernant les deux infractions de prises de nom d’un tiers, il est condamné à deux fois 120 jours-amendes à cinq euros.
*Le prénom a été modifié.
Référence : AJU015w9