TJ d’Évry : « Si je me casse, si je fuis, ils vont chez ma mère »

Pris dans l’engrenage d’une dette de stupéfiants, un prévenu a tenté de faire comprendre sa situation inextricable, mais n’a pas pu échapper à une lourde condamnation.
À la question s’il souhaite être jugé aujourd’hui ou avoir un délai pour préparer sa défense, Laurent*, 22 ans, lance un regard interrogateur à son avocat. « Aujourd’hui », dit-il avec un air las. Il est présenté en comparution immédiate dans la 10e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire d’Évry pour transport de stupéfiants en récidive légale, ainsi que refus d’obtempérer et conduite sans permis.
« Comment ça s’arrête tout ça ? »
Laurent a été interpellé deux jours plus tôt par un fonctionnaire de police en dehors de son service après une course-poursuite sur les routes d’Athis-Mons. La fouille du véhicule a donné lieu à la découverte d’importantes quantités de cannabis, de cocaïne et une importante somme d’argent, 1 165 euros. Il a rapidement reconnu être en train de livrer des stupéfiants. Version qu’il ne change pas devant la juge :
« Je suis pris sur le fait accompli. Après, il y a des circonstances.
– Expliquez-nous, Monsieur.
– Il y a des gens qui m’ont demandé de rembourser une certaine somme.
– Une dette de stupéfiants ?
– Ils ne m’ont pas laissé le choix ce jour-là.
– Vous faites ce transport depuis combien de temps ?
– Je ne l’ai fait que ce jour-là. »
Laurent ne les connaît pas, il a seulement été contacté et a reçu l’adresse pour récupérer un véhicule avec une consigne d’assurer la livraison.
« Tout est déjà à l’intérieur.
– Vous savez ce qu’il y dedans ?
– Pas au début. Mais quand on est dedans, on sent, on sait très bien ce qu’il y dedans. Ça sent à mort et ça se voit. »
Il a eu le temps de faire deux ou trois courses avant d’être pris en chasse. Son interpellation risque de « creuser sa dette », constate la juge.
– « Comment ça s’arrête tout ça ? Pour vous ?
– Vous savez très bien comment ça va finir.
– Vous allez prendre une peine, vous allez l’exécuter et dans quelques mois, on vous retrouve à la même place ?
– Je vais faire en sorte que non. »
« Je savais très bien que c’était pas le bon choix »
Malgré la fatigue qui se lit sur son visage, Laurent veut saisir sa chance d’expliquer à la justice sa situation, l’impasse dans laquelle il s’est trouvé : « Quand vous savez que vous avez une dette, ils ont l’adresse de vos parents, vous réfléchissez pas trop. Je savais très bien que c’était pas le bon choix. Si je me casse, si je fuis, ils vont chez ma mère. Je fais quoi, je la laisse ma mère ? » Et aller à la police ne mène à rien, selon lui, tant qu’on ne lui a « rien fait ».
Laurent a sept mentions à son casier judiciaire. Il a en outre une condamnation à dix mois d’emprisonnement ramenée à exécution aujourd’hui : il va devoir l’exécuter quelle que soit la décision du tribunal.
Sorti de prison en septembre 2024 avec une sortie sèche, il a été accompagné par l’association FAIRE pour se réinsérer mais n’a pas retravaillé depuis. Il a sur le dos des amendes judiciaires et des factures impayées. Depuis sa première peine, il a complètement mis un stop à sa consommation de cannabis.
« Vous envisagez la suite comment ?
– Me faire aider et essayer de sortir de tout ça. Mentalement, c’est pas vivable. C’est le même cercle vicieux. Pour être honnête, quand je suis sorti, j’avais pas de lien avec ces gens-là. Et ils sont arrivés comme ça. »
« Une punition aussi lourde, ça me donnerait encore plus de problèmes derrière »
Les faits sont parfaitement caractérisés, note la procureure. « Je ne fais pas semblant d’ignorer la violence du monde du trafic de stupéfiants. Si c’est interdit et puni par la loi, c’est que ce trafic cause tout un tas de problèmes au sein de la société et pas seulement au niveau de la santé, c’est aussi un problème d’ordre public, ça génère des règlements de comptes, une économie souterraine. À Marseille on parle désormais de narco-homicides. » Elle demande une peine lourde, qu’elle assume comme sévère : 24 mois d’emprisonnement avec mandat de dépôt.
« Les faits sont reconnus et assumés, il a expliqué les circonstances qui l’ont amené à ça, il est là pour dire que c’est un cercle vicieux. » La défense de Laurent met en avant la volonté de s’en sortir du jeune homme et demande qu’on lui « tende la main ».
« Je reconnais tout ce qui m’est reproché, je ne vais pas nier, c’est comme ça, je cache pas », insiste Laurent à qui la parole est donnée en dernier. « Aller en prison, c’est un autre monde. Fleury-Mérogis, c’est vraiment un autre monde. Je peux pas vous demander d’être gentil avec moi, honnêtement, mais je vous demande de comprendre la situation. Une punition aussi lourde, ça me donnerait encore plus de problèmes derrière. Je mérite d’être puni, c’est un fait, mais pas autant. »
Laurent est reconnu coupable et condamné à 20 mois d’emprisonnement, auxquels vont donc s’ajouter les dix mois qui l’attendaient. Trente mois en tout. Il est abasourdi. La juge se veut rassurante : « Vous ne sortirez pas avec une peine sèche. »
*Le prénom a été modifié.
Référence : AJU016v0
