TJ d’Évry : « S’il avait voulu mettre le feu, il n’aurait pas été empêché par quoi que ce soit ! »

Publié le 10/12/2024
TJ d’Évry : « S’il avait voulu mettre le feu, il n’aurait pas été empêché par quoi que ce soit ! »
La salle des pas perdus du tribunal judiciaire d’Évry, le 18 juillet 2022. (Photo : ©I. Horlans)

Une bagarre de voisinage a bien failli prendre une tournure dramatique après une tentative d’incendie. Un homme originaire de Moldavie a dû en répondre devant la justice.

Monsieur C. a attendu patiemment assis dans la salle d’audience de la 10e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire d’Évry-Courcouronnes. C’est enfin son tour et il s’avance accompagné d’une interprète en Moldave qui prête serment.

Le trentenaire, vêtu d’un jogging gris, comparaît pour des faits de destruction du bien d’autrui commis quelques mois plus tôt à Étampes. Dans la nuit du 25 septembre 2024, les policiers sont sollicités pour une rixe de voisinage : une voisine a appelé pour signaler qu’un homme a tenté de provoquer un incendie en aspergeant d’essence une porte d’habitation, et qu’une femme a aussi reçu des jets de liquide inflammable.

L’auteur de la tentative d’incendie est Monsieur C., retrouvé par les policiers en état d’ébriété et blessé au visage. Monsieur F., l’homme dont la porte a été aspergée, a reconnu lui avoir donné un coup de poing et que c’est son épouse qui a reçu de l’essence sur elle. Tous deux sont absents de l’audience.

La témoin, qui a filmé la scène, a été auditionnée, de même que Madame F. : elle raconte avoir entendu du bruit à sa porte, vu Monsieur C. en train de verser un bidon. Elle a ouvert puis aussitôt refermé la porte. À cause du vent et de la pluie, la tentative de mettre le feu a visiblement échoué. Madame F. n’a pas souhaité porter plainte mais a souhaité que le prévenu prenne conscience de ce qu’il a fait. Monsieur F. a de son côté raconté une dispute plus tôt dans la soirée entre plusieurs voisins, qui a dégénéré en violences. Plusieurs coups de poing ont été portés aux uns et aux autres. Lui non plus n’a pas porté plainte.

À son audition, Monsieur C. a déclaré qu’il avait voulu calmer la situation entre deux voisins. S’il a versé du gasoil devant la porte, c’est parce que son voisin s’était plaint qu’il avait sali devant chez lui avec sa débroussailleuse. Il a contesté avoir voulu mettre le feu et affirmé que Monsieur F. fait peur à tout le voisinage. Il a reçu dix jours d’ITT pour le coup reçu au visage, mais sa plainte a été classée sans suite.

« J’avais promis que je ne consommerais plus »

Devant la juge, Monsieur C. maintient sans sourciller ses déclarations dans le plus grand des calmes.

– « Vous aviez consommé beaucoup d’alcool le jour des faits ?

– Seulement 25 centilitres de vodka.

– Vous aviez un taux de 1,20 gramme par litre de sang, c’est très important. On parle ici d’une vodka artisanale. Vous en consommez régulièrement ?

– Non, seulement lors des fêtes. »

Monsieur C. affirme avoir été très violemment frappé par Monsieur F., le plongeant dans un état second :

– « Il n’y avait pas de problème, on faisait un barbecue tous ensemble, mais il m’a frappé très fort une fois, deux fois, ma tête a tapé le sol en ciment.

– Pourtant vous êtes allé chercher un jerrican d’essence, c’est pas anodin.

– Je voulais salir sa porte. Tout a bougé dans ma tête.

– Vous n’avez pas réfléchi ?

– Sur le coup, j’ai pas pensé. J’avais bu, je ne me suis pas rendu compte.

– Vous contestez avoir voulu mettre le feu ?

– J’avais rien dans les poches.

– Mais plusieurs personnes vous ont vu essayer d’allumer le feu.

– Ils ont donné une version en groupe, mais je n’avais pas de briquet. Je voulais juste salir. »

Et ce briquet retrouvé près de la clôture ? Un hasard, tout le monde fume dans le voisinage, assure le prévenu. Lui aussi, d’ailleurs, mais il maintient ne pas avoir été en mesure de faire partir un incendie.

– « Et si votre voisin était sorti avec une cigarette ?, rétorque la procureure.

– Il ne fume pas !

– C’est la seule réaction que vous avez ? ! »

Monsieur C. se reprend : « Non, c’est pas correct. C’est pas normal ce qui s’est passé, je regrette, j’avais été frappé très fort, ma tête n’était pas claire. »

Son casier judiciaire est vierge. Cet électricien père de deux enfants est en situation irrégulière. Actuellement sous contrôle judiciaire, il a interdiction de contact avec les victimes et de paraître à Étampes. Qu’en est-il de son obligation de soins ? Monsieur C. affirme avoir vu quelqu’un à Paris, mais confond avec l’expert psychiatre. En somme, il n’a consulté aucun professionnel de santé pour aborder sa consommation d’alcool.

– « J’avais promis que je ne consommerais plus.

– Mais vous devez le justifier ! »

Depuis Monsieur C. et sa famille ont déménagé. Le ministère public insiste sur l’enjeu de l’alcool dans cette affaire :

– « Vous dites que vous ne buvez que de façon festive, c’était quel événement ce soir-là ?

– Il y avait des invités, on a mangé, parlé, il n’y avait pas de problèmes…

– D’accord, c’était juste une soirée entre amis, et vous êtes à 1,20 gramme.

– En Moldavie, on se retrouve et y’a rien de particulier.

– Ce n’est pas normal de consommer autant. »

« Il n’a pas agi pour se protéger mais pour se venger »

Ce n’est pas le dossier le plus grave ni le plus spectaculaire de cet après-midi… « mais les conséquences auraient pu être dramatiques ! », commente la procureure, qui ne peut que constater la difficulté à comprendre ce qu’il s’est passé ce soir-là, qui a frappé qui et pourquoi. « Je prends les déclarations de Monsieur avec des pincettes. Il n’a pas agi pour se protéger mais pour se venger. » Le fait d’avoir été violenté ne justifie en rien un tel comportement. Quant à l’alcool, elle rappelle que le prévenu avait parlé d’une seule bière à l’audition et que le voisinage a décrit un homme souvent alcoolisé qui crée des nuisances. Elle requiert une peine de sept mois assortie du sursis probatoire avec une obligation de soins à laquelle il devra réellement se tenir.

Côté défense, c’est sur la caractérisation des faits que l’avocat va mettre l’accent : « Rien ne justifie la dégradation, à la rigueur la tentative de dégradation, mais la porte n’est pas abîmée, le parterre non plus. » Il nuance aussi le vecteur alcool comme un déclencheur. « S’il avait voulu mettre le feu, il n’aurait pas été empêché par quoi que ce soit ! » Il demande la relaxe et si la juge en venait à entrer en voie de condamnation, l’exclusion de la mention au casier judiciaire. « Il n’a fait aucune démarche pour respecter les obligations du contrôle judiciaire », rétorque la procureure. Avant le délibéré, Monsieur C. veut faire amende honorable : « J’ai compris que c’était grave, j’avais même pas idée de faire ce genre de choses. Je travaille en France, j’apprends la langue, mes enfants vont à l’école ici. »

La juge le reconnaît coupable et opte pour une peine de sursis simple de six mois en prononçant aussi une dispense d’inscription au bulletin numéro 2 de son casier judiciaire.

Plan