TJ d’Évry : « Vous faites peur à votre maman, là » !

Publié le 02/04/2024
TJ d’Évry : « Vous faites peur à votre maman, là » !
Barrington/AdobeStock

Un homme vulnérable et sous traitement médical a menacé de mort sa propre mère, et a commis des violences contre une policière après son interpellation. Son lourd casier, mais aussi sa capacité à minimiser ses actes et leur impact ont joué dans la balance lors de sa comparution immédiate au tribunal judiciaire d’Évry-Courcouronnes.

Monsieur K. est un petit homme frêle d’une quarantaine d’années, le bras en écharpe, le visage crispé comme s’il était traversé par une gêne ou une douleur permanente. « Ça va ? Bonjour Madame le président, bonjour Madame le procureur », lance-t-il à son arrivée dans le box de la 10e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire d’Évry-Courcouronnes pour sa comparution immédiate en raison de trois délits en récidive, des menaces de mort réitérées à l’encontre de sa mère, et des dégradations et des violences contre une personne dépositaire de l’autorité publique.

Des policiers ont été appelés à Corbeil-Essonnes pour des menaces de mort au domicile de Madame L. Emmené au poste, l’homme, qui était interdit de séjour à Corbeil-Essonnes dans le cadre de son sursis probatoire, s’en est pris le lendemain à une policière. À peine la juge a-t-elle pris la parole pour exposer les faits que Monsieur K. la coupe et tente de se justifier en invoquant sa situation médicale : son absence de traitement au moment des faits, son épilepsie, sa blessure à l’épaule, une autre – bien plus ancienne – à la tête résultant d’une agression qui lui a laissé une impressionnante cicatrice sur tout le haut du crâne. Il n’avait pas d’ordonnance au matin des faits, ce qui l’a conduit à se rendre chez Madame L., malgré une interdiction de paraître chez elle, où il a tout cassé, l’a insulté et menacé en arabe de l’égorger.

« Boire, c’est volontaire, c’est pas une météorite qui vous tombe dessus ! »

Monsieur K. tente de minimiser : « Y’a des mots que je dis… » Pourtant la juge a beaucoup d’éléments sous les yeux prouvant que sa famille vit dans la peur. Elle cite les déclarations de Madame L., du frère de Monsieur K., qui tendent à montrer que ses problèmes psychiatriques ont longtemps été mis de côté par la famille et que Monsieur K. a longtemps bénéficié d’une place surprotégée, une place de « chouchou ». « J’ai jamais cassé, j’ai toujours été propre », se défend-il dans le box.

La juge en vient aux faits qui se sont déroulés le lendemain au commissariat.

– « Après, avec la policière, vous vous souvenez ?

– Non, je me souviens pas ! »

Pour lui rafraîchir la mémoire, elle cite le témoignage de la victime : « Il me regarde et porte un coup dans mon écran d’ordinateur. Tous les objets volent dans ma direction. » En garde-à-vue, Monsieur K. a vu le psychiatre mais n’en garde pas un bon souvenir : « Il ne parlait pas avec moi, il était au téléphone. Il ne voulait pas m’écouter, après il a dit que j’étais apte, on ne m’a pas expliqué. » Dans le rapport, il apparaît que le prévenu a une tendance à banaliser les faits reprochés. En outre, sa consommation de substances psychoactives peut entraîner des troubles psychotiques.

– « Mais j’ai tout arrêté, j’ai un traitement de substitution !

– Oui mais le mal est fait.

– Je regrette…

– Vous faites peur à votre maman, là ! »

La procureure intervient pour demander la révocation du sursis probatoire, du fait de la récidive. Dans son casier judiciaire, Monsieur K. a 23 mentions. Il lève la main pour expliquer que concernant l’une d’elles, il avait pris de l’alcool. Une justification qui n’aide pas son cas. « Boire, c’est volontaire, c’est pas une météorite qui vous tombe dessus, c’est jamais une circonstance atténuante », rétorque sèchement la juge.

« Il ne peut pas dire qu’il est victime de la situation, ce n’est pas vrai »

L’avocat de la partie civile, représentant la policière, pointe le « deux salles, deux ambiances » que tente de démontrer le prévenu. « Il a l’air de bonne composition, stable », un état qui tranche radicalement avec les raisons qui ont conduit à une intervention de la police au domicile de Madame L. parce que Monsieur K. menaçait toute la famille. L’avocat loue le comportement de la policière, qui a essayé de le calmer et de le canaliser avant de lui poser des questions, avant de se faire insulter et de voir valdinguer tout son matériel dans son bureau. « Madame est payée pour subir les foudres de Monsieur K. ? Je ne crois pas. » Il rappelle le climat familial où tout le monde vit dans la peur face aux insultes et aux menaces qui surgissent n’importe quand chez cet homme qui fait peu de cas des obligations sociales. « Stabilisé, il peut être très agréable », reconnaît-il avant de demander des dommages et intérêts ne dépassant pas les 500 euros au titre du préjudice moral.

« L’explication de l’alcool n’est pas satisfaisante », renchérit la procureure. « Ce qui m’inquiète, c’est que ce passage à l’acte ne le fait pas réfléchir sur sa consommation de stupéfiants. » Elle déplore une famille épuisée par la situation et surtout un prévenu qui minimise sa violence. Elle cite la mère de Monsieur K. : « Je vis dans la peur constante, j’ai besoin de retrouver de la sérénité. » Que faire de lui, s’interroge le parquet qui ne croit pas au bâclage de l’expertise qu’il a dénoncé. « L’expert psychiatre a produit trois pages détaillées qui montrent qu’il est accessible à la sanction pénale. Il est entièrement responsable, il ne peut plus se cacher derrière ses addictions. Il ne peut pas dire qu’on ne l’a pas aidé, qu’il est victime de la situation, ce n’est pas vrai. » Elle demande une peine ferme d’un an avec mandat de dépôt et la révocation de son sursis probatoire à hauteur de trois mois.

L’avocat de Monsieur K. commence par rappeler qu’il lui a été impossible de rencontrer et de s’entretenir avec lui avant l’audience. « J’ai entendu qu’il a fait le choix de consommer des substances, ce n’est pas si facile d’en sortir, il semble si différents par rapport à la situation. Ce n’est pas si simple quand une personne en arrive à insulter sa propre mère. » Il estime que la situation relève d’un échec collectif et d’une problématique sanitaire « qui nous met face à notre impuissance et à l’inefficience de l’emprisonnement ». Pour la défense, la révocation du sursis probatoire, ainsi que la remise en détention de Monsieur K. sont inadaptées : « À quelle vertu sociale on peut arriver avec une telle proposition de sanction ? » Avant d’être sorti du box, Monsieur K. sort une lettre et la lit de façon très enfantine : « Ma maman dit que j’ai fait des bêtises à la maison… » Il insiste pour payer les dégradations de l’ordinateur.

Monsieur K. est déclaré coupable et condamné à un an d’emprisonnement. Il voit son sursis probatoire révoqué à hauteur de trois mois et est donc maintenu en détention. « Là je vais en prison ? », demande-t-il abasourdi et l’air de ne pas y croire.

– « Votre maman, elle doit être tranquille », lui rétorque la juge.

– « Ma maman, elle est malade, elle s’inquiète », tente-t-il encore en désespoir de cause avant de sortir du box.

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