TJ d’Évry : « Vous l’avez vue, cette photo de Madame et de son œil qu’elle ne peut plus ouvrir ? »

Publié le 13/12/2023
TJ d’Évry : « Vous l’avez vue, cette photo de Madame et de son œil qu’elle ne peut plus ouvrir ? »
H_Ko/AdobeStock

Après s’être présenté au commissariat pour dénoncer des violences de la part de sa conjointe, un homme est finalement présenté en comparution immédiate au tribunal judiciaire d’Évry-Courcouronnes pour des violences conjugales en présence d’un mineur ayant entraîné moins de huit jours d’ITT.

Maillot de foot sur le dos, le visage fermé, Assane* est amené dans le box dans la 10e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire d’Évry. Quelques jours auparavant, des policiers d’Athis-Mons l’ont vu arriver dans leurs locaux à minuit passé, avec son enfant en bas âge dans les bras. Il tenait un couteau à la main et a expliqué avoir été victime d’une tentative d’assassinat.

Une dispute a eu lieu avec sa compagne, leur a-t-il affirmé, au cours de laquelle elle s’est précipitée sur lui avec un couteau. Il lui a alors jeté une chaise pliante. Elle s’est jetée sur lui et il lui a asséné un coup de poing au visage. « Je l’ai fracassée parce qu’elle m’a menacé avec un couteau », explique Assane.

Sur place, les policiers ont découvert que sa compagne portait plusieurs blessures, avait le visage tuméfié, au point qu’elle a été transportée aux urgences pour des maux de tête et a reçu cinq jours d’ITT.

« J’étais hors de moi car ma femme m’a menacé de mort »

La juge tient à en savoir davantage sur les raisons qui ont conduit à cette situation.

– « J’ai pas balancé la chaise », rectifie Assane. « Elle s’est précipitée avec un couteau. J’avais mon fils dans les bras, j’ai eu peur. J’ai frappé sur ses mains avec la chaise. » Il parle d’un couple qui ne va pas bien, des reproches constants, de cet accès de colère de sa compagne pour une « histoire d’infidélité ».

– « Vous n’avez pas eu le temps de poser votre enfant ?

– Il a glissé le long de ma jambe, il m’a échappé, il est tombé à hauteur de mon genou. Une fois qu’elle a été désarmée, je me suis calmé un peu. J’étais hors de moi car ma femme m’a menacé de mort. »

Il maintient avoir donné un seul coup de poing, avoir pris son fils, emporté le couteau et être finalement parti.

– « La scène, c’était un peu du cafouillage.

–  Là, c’était plutôt très clair, dans votre récit », répond la juge qui évoque alors la version de sa compagne, une version sensiblement différente.

Selon la compagne d’Assane, les désaccords et tensions sont nombreux à propos de l’infidélité d’Assane, mais aussi sur son manque de contribution aux charges du foyer. En août dernier, il lui a par ailleurs craché dessus. Lors de cette soirée, elle a raconté que tous les deux se sont insultés, saisis par les vêtements, poussés. Elle souhaitait qu’il sorte de chez elle.

– « Vous aviez remarqué qu’elle avait saigné du nez ?

–  Non.

– Mais c’était avant le coup de poing. »

Des gouttelettes de sang ont en effet été repérées au domicile. « Vous n’aviez pas de marques particulières après les gifles qu’elle vous a assénées ? » Seulement des yeux rouges et une sensibilité au poignet.

La juge insiste tout de même, face au flegme du prévenu qui maintient un seul coup de poing dans son récit, en agitant devant elle une photo du visage de sa compagne : « Vous l’avez vue, cette photo de Madame et de son œil qu’elle ne peut plus ouvrir ? »

La question courante de ce genre d’affaires revient : comment le prévenu envisage-t-il l’avenir de son couple ?

– « On va essayer de trouver une situation stable et de s’occuper de notre fils. On est séparés.

–  Oui, mais vous voyez bien que la cohabitation ne se passe pas bien.

–  Y’aurait pas eu le couteau, je serais pas là devant vous.

– Vous envisagez une séparation physique ?

– Oui. »

« Quand on voit les blessures de Madame, on a du mal à voir le caractère proportionnel »

Assane a trois mentions à son casier judiciaire. Ce Sénégalais d’une trentaine d’années a vu son titre de séjour expirer en 2014 et est en cours de démarche pour le renouveler. Sa compagne s’est constituée partie civile. Elle souhaite l’interdiction de contact avec le prévenu et l’interdiction de paraître au domicile.

« Un enfant qui entend, qui voit des violences conjugales, ça reste un traumatisme », rappelle la procureure. « Les répercussions sont réelles, on a six fois plus de chances de devenir soi-même auteur ou victime. » Elle s’attache plus particulièrement à démonter la légitime défense présentée par le prévenu, notamment sur un critère, celui de la proportionnalité. « Quand on voit les blessures de Madame, on a du mal à voir le caractère proportionnel. On a un hématome qui l’empêche d’ouvrir l’œil, un saignement du nez. Ce n’est pas crédible de parler d’une seule blessure. » Elle rappelle que le prévenu a ri à plusieurs reprises pendant l’enquête à l’évocation des blessures de sa compagne, parlant de « cinéma » quand elle tombe. Elle requiert une peine mixte, dix mois d’emprisonnement dont sept mois de sursis probatoire pendant deux ans, une obligation de soins, et l’interdiction de contact et de paraître au domicile pendant deux ans.

L’avocate d’Assane ne l’entend pas de cette oreille, le présentant comme une victime qui se rend au commissariat avec son enfant, car menacé. « Je ne vais pas plaider la légitime défense, mais ça m’interroge : qu’est-ce qu’il aurait fallu qu’elle fasse subir pour qu’elle soit dans le box pour violences réciproques ? » Elle rappelle que la compagne d’Assane a sorti un couteau pour qu’il sorte du domicile. « C’est disproportionné, et ça, c’est traumatisant pour le mineur. » Elle dénonce une procédure à charge contre lui où les enquêteurs ont même exploité son portable pour prouver son infidélité. Enfin, elle décrit son client comme un homme traumatisé par la mort d’un de ses amis en 2005, tué par sa compagne, un élément qui explique selon elle ses réactions. « Je ne vois pas d’éléments qui montrent qu’il est une personne violente », conclut-elle en demandant une peine d’avertissement.

Déclaré coupable, Assane est condamné à douze mois d’emprisonnement intégralement assortis d’un sursis probatoire avec obligation de soins, interdiction de paraître au domicile et interdiction de contact. Il devra indemniser la partie civile.

*Le prénom a été changé.

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