TJ d’Évry : « Vous serez toute votre vie obligé de payer des dommages et intérêts ! »
Un jeune conducteur, dont le permis avait été suspendu quelques mois plus tôt, a été impliqué dans un accident de la route, bouleversant la vie de toute une famille. Après la révocation de son contrôle judiciaire, il a enfin été présenté devant le tribunal judiciaire d’Évry-Courcouronnes.
La salle d’audience de la 10e chambre correctionnelle est pleine et l’ambiance un peu fébrile lorsque pénètre dans le box Sébastien* tout de noir vêtu, le visage impassible. C’est la famille N. qui lui fait face et qui a pris place sur le banc : les parents, tous deux âgés, dont Madame qui se déplace avec une béquille, et trois jeunes femmes, qui sont deux de leurs filles et une nièce. Un interprète en tamoul est également présent pour assurer la traduction auprès de Monsieur et Madame N..
Sébastien est présenté pour des blessures involontaires dans le cadre d’un accident de la route survenu le 5 juin 2023 et pour conduite sans assurance. Il a été déféré devant le procureur en août et placé sous contrôle judiciaire. Début octobre, le dossier a été renvoyé. Mais quelques jours plus tard, c’est son contrôle judiciaire qui a été révoqué : Sébastien a été interpellé au volant d’une voiture alors qu’il en avait l’interdiction. Le jeune homme est donc en détention provisoire depuis près de deux mois.
L’avocate de la famille N. commence par demander un nouveau renvoi. Elle souhaite apporter d’autres éléments médicaux pour établir les dommages et intérêts des victimes directes « et indirectes ». La juge ne cache pas son scepticisme face à la demande : « Il n’y a pas d’autres parties civiles », relève-t-elle avant de laisser chaque partie donner son avis. Ni la défense, ni l’avocat de l’assurance, ni la procureure ne tiennent à renvoyer encore ce dossier, d’autant que la famille N. s’est une fois de plus rendue disponible. L’audience est suspendue. Quelques minutes plus tard, et un autre renvoi, la juge annonce qu’il n’y aura pas de renvoi pour ce dossier et que Sébastien sera bien jugé ce jour.
« Tout assumer de A à Z »
Sébastien est ramené dans le box. La juge rappelle les faits : il lui est reproché d’avoir percuté une voiture à l’arrêt, stationnée en pleine nuit sur une route de Saint-Germain-lès-Corbeil à une vitesse de 80-90 km/h et d’avoir conduit sans assurance.
Ce 5 juin, dans la nuit, des policiers sont requis pour un accident de la circulation sur une nationale de l’Essonne. En cause, une Peugeot avec deux passagers qui a percuté une BMW avec cinq personnes à l’intérieur. La famille N. rentrait d’un anniversaire lorsque la conductrice a constaté une perte de vitesse du moteur sur cette route non éclairée mais avec beaucoup de trafic. Le véhicule s’est arrêté, les feux de détresse ont été enclenchés. La conductrice a appelé la propriétaire du véhicule, puis la police, et a dû télécharger une application de géolocalisation. C’est à ce moment qu’un autre véhicule les a percutés. Toute la famille a été hospitalisée, ainsi que Sébastien et la passagère à ses côtés. Madame N., très touchée par l’accident, a été emmenée à l’hôpital de la Pitié Salpêtrière. Elle est polytraumatisée, avec un traumatisme crânien et plusieurs fractures osseuses. Son ITT a été évaluée à 140 jours. Son mari a lui reçu 30 jours, deux de leurs filles 4 et 7 jours, quant à la cousine, elle a reçu 100 jours.
La passagère du véhicule qui a percuté la BMW a eu une fracture cervicale et a affirmé n’avoir aucun souvenir de l’accident car en état d’ébriété au moment des faits. Sébastien a aussitôt reconnu sa responsabilité. S’il était au volant d’une voiture, c’est parce qu’un ami lui a demandé de la ramener. Il roulait à la vitesse autorisée, sur bitume sec et affirme n’avoir pas vu le véhicule à l’arrêt, qui était selon lui sans warnings et sans feux. En outre, il ignorait aussi que la voiture n’était pas assurée.
La juge ne peut s’empêcher de revenir aux mois qui précèdent l’accident et surtout sur le parcours de ce jeune conducteur : un permis obtenu en janvier 2023, suspendu en avril pour une durée de six mois suite à une infraction de conduite sous stupéfiants. Autant d’éléments qui ne jouent pas vraiment en sa faveur : « En garde-à-vue, vous avez dit que vous vouliez rendre service à quelqu’un et que vous alliez tout assumer de A à Z », note-t-elle. Les seuls frais d’hôpitaux s’élèvent à 32 000 euros, pour le moment versés par la CPAM.
En octobre dernier, alors qu’il est sous contrôle judiciaire et ne doit pas conduire, Sébastien est contrôlé au volant d’une voiture et condamné à un an avec sursis simple.
Dans le box, Sébastien fait part de ses excuses d’un ton morne. « Je regrette énormément ». La procureure veut comprendre pourquoi le jeune homme a persisté à reprendre le volant cet automne alors qu’il était sous contrôle judiciaire et surtout qu’il ne devait pas conduire. « C’était pour me rendre au travail. »
« Vous en avez pour toute votre vie ! »
Le prévenu est-il inconscient ou naïf au point d’accepter de conduire la voiture d’une connaissance alors qu’il n’en a pas le droit ?
La juge tente de savoir pourquoi il était au volant le 5 juin :
– « Pourquoi il n’est pas allé chercher son véhicule tout seul ?
– Pour ne pas faire le trajet à une seule voiture.
– C’était potentiellement une voiture volée…
– C’est quelqu’un de très droit.
– Mais la voiture n’était pas assurée !
– J’ai pas vérifié ».
La juge ne lâche pas. Pourquoi Sébastien n’a-t-il pas simplement refusé de faire ce trajet en voiture ?
– « Vous recevez cet appel à minuit 30, c’était si urgent ? Votre mère n’est pas mourante, y’a pas de raisons !
– C’est vrai.
– Vous aviez tout oublié du code, ou quoi ? ».
Sébastien est l’aîné d’une fratrie. Suite à la séparation récente de ses parents, il tente d’aider sa mère et travaille depuis ses 18 ans comme intérimaire. Le rapport de fin septembre dans le cadre de son contrôle judiciaire fait état d’un jeune homme coopératif, qui a produit tous les justificatifs nécessaires, honoré ses rendez-vous et a reconnu les faits. La juge le met encore une fois en garde sur les sommes qu’il va devoir payer pour la famille N. « Ça va être énorme, vous en avez pour toute votre vie ! ». Détaché, Sébastien affirme qu’il sait ce qu’il attend : « J’ai fait mes recherches après les faits ».
Dans son casier judiciaire, une seule mention… pour conduite sans permis avec usage de produits stupéfiants en novembre 2022. La juge est dépitée. Sébastien avait alors suivi un stage de sécurité routière :
– « Vous vous rendez compte ? ! On vous suspend votre permis et deux mois après on vous retrouve au volant ! La route c’est notre bien à tous, c’est pour ça qu’il y a des règles, elle ne vous appartient pas ! Ça ne vous a pas marqué, ce stage ?
– Si, ça m’a sensibilisé ».
« Son comportement est en contradiction avec ses actes »
Après la plaidoirie de l’avocat de l’assurance, au tour de celui de la famille N. Elle met l’accent sur le bouleversement total vécu par les deux parents, leurs vies dévastées par les hospitalisations, les soins, la perte d’autonomie, les retentissements physiques et psychologiques. « Le préjudice moral ne peut pas disparaître en un jour ». Elle sollicite la condamnation de Sébastien sur l’action pénale, mais aussi civile pour obtenir des dommages et intérêts. En outre, elle demande la condamnation de l’assurance chargée du versement des provisions, pour le moment largement insuffisantes.
« J’entends les excuses mais son comportement est en contradiction avec ses actes », estime la procureure. « Les répercussions, les séquelles, peu importe les excuses, ne disparaîtront pas ». Elle rappelle que les versions des victimes concordent pour établir qu’elles avaient bien indiqué leur présence à l’arrêt sur le bord de la route. « C’est un jeune conducteur, il aurait dû prendre d’autant plus de précautions, il a pris beaucoup de risques ». Depuis les faits, il a été condamné à douze mois avec sursis, rappelle le parquet qui requiert deux ans d’emprisonnement dont un an en sursis probatoire. Il va de soi que la peine doit être aménagée pour permettre à Sébastien de travailler pour indemniser les victimes. À cela s’ajoutent l’annulation de son permis et l’interdiction de le passer pendant un an.
L’avocat de la compagnie d’assurances demande que les demandes faites par l’avocate de la famille N. soit ramenée à de plus justes proportions.
Enfin la défense de Sébastien reconnaît les faits très graves commis par le prévenu. « Graves mais involontaires, ils auraient pu être dramatiques ». Il estime que Sébastien a eu des difficultés à s’exprimer mais qu’il a conscience des conséquences de ses gestes. L’avocat veut revenir sur les quelques éléments qui jouent en sa faveur : pas de vitesse excessive, une route non éclairée, un test d’alcoolémie et de consommation de stupéfiants négatif. « Je regrette qu’il n’y ait pas eu d’audition de la passagère de la Peugeot, ni de l’ami de Sébastien, car il y aurait eu besoin de confirmer si oui ou non les feux de détresse de la BMW étaient allumés ». L’avocat va même plus loin en notant que la famille N. n’a pas rempli les consignes de sécurité de base lorsqu’on se range sur le bas-côté : mettre un triangle réfléchissant, enfiler un gilet jaune, et surtout, sortir de la voiture et passer derrière la barrière de sécurité. « Ils sont restés 20 minutes dans la voiture, l’accident aurait été seul s’ils étaient sortis, là, cinq vies sont en jeu ». Sébastien ne devrait pas retourner en détention, après ces deux mois incarcéré, affirme la défense qui plaide pour un sursis probatoire. « La peine est pour toute sa vie d’un point de vue indemnitaire ».
Au délibéré, Sébastien est déclaré coupable et condamné à deux ans d’emprisonnement dont un assorti du sursis probatoire. Sa peine sera aménagée en détention avec bracelet électronique pour les dix prochains mois. « Vous serez toute votre vie obligé de payer des dommages et intérêts ! », insiste fortement la juge, qui détaille ensuite les provisions à verser aux différents membres de la famille N.
Le visage jusque-là sans expression de Sébastien s’est éclairé, réjoui, presque triomphant, face à la famille qui accueille silencieusement ce verdict. Cette condamnation à une détention à domicile semble visiblement un soulagement pour le jeune homme qui jette une œillade au fond de la salle. Un petit hochement de tête, un pouce levé avant de sortir du box, tandis que deux amis sortent en lui faisant signe comme s’ils allaient se retrouver devant le tribunal. La famille N. sort sans un mot avec leur avocate.
*Le prénom a été modifié.
Référence : AJU011y4