Tribunal de Bobigny : « Pourquoi donner 17 identités différentes aux policiers ? »
Face aux magistrats du tribunal de Bobigny (Seine-Saint-Denis) qui le jugeaient pour avoir agressé un touriste, Nour n’a pas compris qu’en donnant trois versions des faits reprochés et 17 identités aux policiers qui l’ont arrêté plusieurs fois depuis 2019, il n’était pas crédible.
Assise au premier rang de la 17e chambre correctionnelle, ce lundi 9 août, la « fiancée » en robe rouge n’en finit pas de pleurer, de se moucher, de se battre avec son masque sanitaire, son téléphone, de fouiller dans le sac en plastique qui paraît contenir sa vie, de commenter les remontrances faites à Nour. Sa patience mise à l’épreuve, le président finira par ordonner son expulsion d’un tonitruant : « Madame, dehors ! » Dans le box, entouré de ses gardes, le jeune Algérien n’a pas eu un regard, durant les débats, pour celle avec qui il prétend vouloir « fonder une famille ».
A sa compagne comme aux reproches des juges et du procureur, Nour, 18 ans, est indifférent. Prévenu de vol aggravé par la violence en récidive, il est soupçonné d’agression d’un touriste néerlandais à Paris le 1er août et a été interpellé le 5, à Aubervilliers. Il comparaît à l’issue de sa garde à vue et ne sollicite aucun délai pour préparer sa défense. Il est pressé d’en finir avec la justice, convaincu d’aisément persuader ses représentants qu’il y a méprise.
« Ne nous prenez pas pour des idiots ! »
Hélas pour lui, il ignore que le président Jean-Louis de Ré compte parmi ces magistrats qui instruisent minutieusement les dossiers. Ressemblant à l’acteur anglais Christopher Lee, du temps où il jouait le comte Dooku des premiers Star Wars, il affiche une physionomie douce mais l’on devine un esprit mordant derrière ses yeux perçants. Aussi peut-il répéter à l’envi la question qui fâche.
Nour vend des bricoles le week-end sur le marché de Montreuil, ce qui lui rapporte 60 euros par jour. Le reste du temps, il est apprenti coiffeur. Pour tester sa pratique, il a eu la mauvaise idée de décolorer des mèches de son épaisse chevelure brune, volumineuse sur le sommet du crâne et courte à hauteur des tempes. Sa coiffure tient de la robe d’un zèbre. Le Hollandais rossé à coups de poing et avec un objet contondant, projeté à terre lorsqu’il a refusé de lâcher son coûteux téléphone, l’a reconnu sans hésiter sur la planche de photos anthropométriques.
« Je ne suis pas le seul à avoir des mèches blanches », s’insurge le prévenu qui nie le vol avec vigueur. « Votre physique est particulier, la victime est formelle, gronde le procureur Bertrand Macle. Ne nous prenez pas pour des idiots ! » Le président aimerait savoir pour quelle raison Nour a fourni trois versions depuis qu’il a été appréhendé avec le portable.
« Vous rappelez-vous être venu dans ce box le 3 avril ? »
Débute alors la kyrielle de questions embarrassantes. Nour se tortille dans son survêtement couleur groseille, visiblement énervé.
« – Vous maintenez aujourd’hui que c’est votre appareil ?
– Oui, je l’ai acheté 180 euros dans la rue.
– Donc, vous l’avez acquis à vil prix et ça constitue un recel.
– Non, le vendeur m’a menti, il m’a raconté des histoires.
– Mais vous avez d’abord déclaré que ce Samsung n’était pas à vous ?
– …
– Puis vous avez dit l’avoir acheté aux Pays-Bas il y a cinq mois ?
– Non, en fait, c’était le jour du vol. »
Et ainsi de suite, sans pour autant déstabiliser le jeune homme. Jean-Louis de Ré et Bertrand Macle se penchent maintenant sur les identités de Nour.
« – Ces dernières années, vous en avez fourni 17 aux policiers…
– Je donne toujours mon nom, ce sont eux qui notent mal ! »
Les magistrats énumèrent les patronymes qui n’ont rien à voir avec le sien.
« – Ouais, ben c’est parce que j’avais peur.
– Avez-vous déjà comparu pour vol avec violence ?
– Non.
– Vous rappelez-vous être venu dans ce box le 3 avril dernier ?
– Euh… peut-être.
– Vous avez été condamné à trois mois de prison avec sursis probatoire de dix-huit mois, ça vous rafraichit la mémoire ?
– Oui… Mais aujourd’hui, je suis innocent. »
« Il recherche la stabilité et va demander ses papiers »
On apprend donc que Nour, arrivé illégalement en France en 2016, a déjà été sanctionné deux fois pour le même chef de prévention ainsi que pour détention de psychotropes qu’il achète 1€ le comprimé à La Courneuve. Il les revend ou les avale, selon son besoin d’argent ou son état d’anxiété. Il ne déclare pas ses revenus puisqu’il n’a pas de titre de séjour. « Vous savez que c’est illégal ? », demande le juge. « Ben ouais ! », répond-il.
Face à ce prévenu qui fait le rodomont, le procureur requiert un an ferme avec mandat de dépôt à l’audience. La fille en robe rouge s’attaque à son deuxième paquet de mouchoirs.
En défense, Me Nadia Snoussi tente le vice de procédure, arguant de deux problèmes : une erreur de date sur le procès-verbal du 5 août ; un livreur à l’identité approchante entendu à sa place le 6. Le ministère public balaie l’argument, ce sont des fautes de frappe. L’avocate commise d’office doute néanmoins de sa culpabilité : « Sur la planche de photos que les policiers ont présentée à la victime, un seul homme portait des mèches blanches. Je suis dubitative. » Puis elle se concentre sur la personnalité de son client : « Il est en couple, il se fiance dans deux mois, il recherche la stabilité et va demander ses papiers. » Me Snoussi plaide la relaxe.
Quinze minutes de délibéré suffisent au président et à ses assesseurs. Mais l’interprète a disparu. Policier, avocate et huissier font le tour du tribunal, en vain. Nour redescend attendre au dépôt. Et tandis que l’affaire suivante est examinée, la promise en robe rouge continue de pleurer, de commenter comme s’il lui incombait de compatir pour chaque suspect qui comparaît. « Madame, dehors ! », hurle Jean-Louis de Ré. Elle refuse et doit quitter la salle sous escorte. Il en sera de même pour Nour trois heures plus tard, à la réapparition de la traductrice : condamné à neuf mois de prison ferme avec maintien en détention, il repart menotté et très fâché.
Référence : AJU238270