Tribunal de Bobigny : « Si je ne vole pas, je ne me sens pas bien »

Publié le 27/07/2021

Mardi 20 juillet, devant la 18e chambre correctionnelle à Bobigny (Seine-Saint-Denis), Clarisse Sauvant, avocate commise d’office, a enchaîné les dossiers de prévenus jugés en comparution immédiate. Un kleptomane et des maris violents. Rien d’inhabituel, pourtant elle regrette que cette procédure ne permette pas d’approfondir la relation avec le client.

Tribunal de Bobigny : « Si je ne vole pas, je ne me sens pas bien »
Palais de justice de Bobigny (Photo : ©M. Barbier)

 « Monsieur, vous avez le choix. Vous pouvez être jugé aujourd’hui ou bien solliciter un renvoi de l’affaire à une date ultérieure afin de préparer votre défense », répète le président Sanson pour la quatrième fois depuis qu’il a ouvert l’audience. Dans le box, encadré de trois policiers, Abdel réfléchit, secoue la tête comme s’il mettait de l’ordre dans les tiroirs de son cerveau et, d’un regard, appelle à l’aide son avocate, Clarisse Sauvant. D’un signe discret, elle l’encourage : lui seul doit répondre. Une heure plus tôt, dans le dépôt au sous-sol du tribunal de Bobigny, ils ont toutefois convenu qu’il serait préférable de bien étudier son dossier épineux.

« Je préfère revenir un autre jour », concède-t-il enfin. Puis il se retourne, prêt à repartir sans savoir où. « Monsieur, nous allons désormais décider si nous vous remettons en liberté jusqu’à votre procès ou si nous prenons une mesure de détention. Pour cela, nous n’aborderons pas les faits mais examinerons les éléments de votre personnalité », explique le juge. Abdel est désarçonné. La Code de procédure pénale est un mystère insondable, pour les justiciables.

« Vous vous êtes inventé un cancer ? »

 Prévenu de « violences répétées » envers sa deuxième épouse, après avoir battu la première, il aurait même tenté de l’étrangler. Assise au banc des parties civiles, Maha est pourtant grande et forte quand lui est petit, chétif dans son polo bleu ciel. Il ressemble à un moineau affamé. Tout en lui est pointu : le nez dépassant du masque, les coudes, les phalanges, les os des poignets. On n’en saura pas plus sur les actes reprochés, mais on comprend que la défense veuille les étudier à la loupe. Surtout lorsqu’on sait que les brutalités commises en 2014 ne lui ont valu qu’un rappel à la loi.

On apprend donc qu’il a suivi en France son père Algérien venu travailler en 2005, qu’il a la double nationalité et qu’il était agent de tri avant d’être une victime collatérale de la pandémie : plus de travail, que des dettes, et l’alcool pour se consoler. Il semblait heureux avec son épouse, en tout cas il ne voulait pas rompre, ni être séparé de leur fille âgée de 2 ans.

« – Je lis que vous vous êtes inventé un cancer ? interroge une assesseure.

– C’était pour que Maha revienne auprès de moi. »

Le procureur Adrien Luneau estime qu’un simple maintien sous contrôle judiciaire suffira, à condition qu’il se soigne et se tienne éloigné de Maha. Me Clarisse Sauvant loue l’humanité du parquetier et propose même que son client pointe chaque semaine au commissariat.

« Kleptomane, moi ? Oui, peut-être… »

Tandis que le tribunal délibère, l’avocate explique combien « c’est difficile d’opter pour un délai car on ignore à quelle date se tiendra l’audience, si le prévenu sera emprisonné jusque-là ». Laborieux, aussi, de multiplier les commissions d’office en comparution immédiate : « Prévenus en matinée, nous voyons notre client quelques minutes, nous n’avons pas le temps ou la possibilité de joindre ses proches, survolons le dossier et appréhendons mal la réalité des faits et sa personnalité. »

Sans l’avoir entendue, le président Sanson partage son avis : « Nous avons hésité à vous accorder la liberté, dit-il à Abdel, parce qu’il est impossible de savoir si vous ne mettrez pas votre femme en danger d’ici au procès, le 7 septembre. » Abdel est placé sous contrôle judiciaire et, dès le 26 juillet, il pointera chaque semaine. Il ne pourra plus approcher Maha mais garde le droit de voir sa fille.

Willy, un imposant Martiniquais de 47 ans, n’a frappé personne, du moins pas cette fois. Les 20 mentions à son casier judiciaire font bien référence à des violences mais elles datent de 1996. Depuis, il préfère voler un peu de tout, du matériel, des parebrises, des clés, des titres de séjour, des chèques ou des véhicules. « Kleptomane, moi ? Oui, peut-être… », admet-il quand une assesseure suggère qu’il soit atteint de ce trouble psychologique. « Je ne suis sûr que d’une chose : si je ne vole pas, je ne me sens pas bien. Mais ce n’est pas par nécessité », ajoute Willy.

« Ses séjours en détention ne servent à rien »

 Le 18 juillet, à Noisy-le-Grand, il a été arrêté au volant d’un camion volé dont il a changé les plaques d’immatriculation, elles-mêmes dérobées. Il y avait entreposé six clés subtilisées la veille à Saint-Ouen-l’Aumône, dans le Val-d’Oise. Vêtu d’un maillot de basket noir portant le numéro 92, sans que l’on sache s’il est fan de DeShawn Stevenson des Nets de Brooklyn, ce célibataire sans enfant a quitté le centre pénitentiaire du Havre en février. Depuis, il enchaîne les petits boulots payés au black pour un certain Adel dont il ignore le patronyme. Autant dire qu’il n’est pas le candidat idéal à la remise en liberté.

Le ministère public aimerait croire à ses « pulsions incontrôlables mais la préparation de [ses] actes prouve le contraire ». Il requiert un an de prison ferme avec mandat de dépôt. « Je regrette d’être sévère », dit le procureur à Willy. Me Sauvant ignore « si les vols sont organisés. Il ne sait rien faire d’autre, son expérience facilite le passage à l’acte. Sans suivi après sa sortie sèche de prison et, d’après son parcours, on constate que ses détentions ne servent à rien ». Qu’ajouter d’autre ? « Il n’appartient qu’à vous de rompre le cycle », suggère le président Maximin Sanson. Réincarcéré pour un an, il est menotté et embarqué.

Comme Romuald qui, le 18 juillet à Clichy-sous-Bois, s’est déchaîné sur sa femme aussi ivre que lui. C’est le troisième dossier plaidé par Me Clarisse Sauvant. Avec la même énergie, elle s’est battue pour qu’il aille en prison quatre mois au lieu des huit sollicités et qu’il puisse conserver un lien avec sa fille. Reconnaissant, il l’a remerciée. Affaire suivante.

Tribunal de Bobigny : « Si je ne vole pas, je ne me sens pas bien »
Me Clarisse Sauvant au tribunal de Bobigny le 20 juillet (Photo : ©I. Horlans)

 

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